Mai-HiME Index du Forum Mai HiME
 FAQFAQ   RechercherRechercher   Liste des MembresListe des Membres   Groupes d'utilisateursGroupes d'utilisateurs   S'enregistrerS'enregistrer 
 ProfilProfil   Se connecter pour vérifier ses messages privésSe connecter pour vérifier ses messages privés   ConnexionConnexion 

Guren [Fanfic mai Hime, sans surprise XD]
Aller à la page Précédente  1, 2, 3, 4, 5  Suivante
 
Poster un nouveau sujet   Répondre au sujet    Mai-HiME Index du Forum -> Les créations Mai-HiME
Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant  
Auteur Message
Miyaki
Trias


Inscrit le: 08 Fév 2006
Messages: 691

MessagePosté le: Ven Mar 13, 2009 3:38 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Yopyopyop...
Je repasse en coup de vent avec un nouveau chapitre...
Enjoy ! *Repart bosser*


http://www.fanfiction.net/s/4344508/7/Guren

Les premiers jours que passa Natsuki avec Alyssa bouleversèrent profondément sa routine.
La solitaire réalisa vite qu’elle ne pouvait pas se permettre de laisser sa sœur seule dans son appartement et aller en cours comme si de rien n’était.
Personne dans l’administration ne connaissait leurs liens de parenté et elle renonça à appeler le service de la scolarité pour leur expliquer la situation. Finalement, Natsuki passa un coup de fil à l’infirmerie et laissa un message à Youko en espérant que cela suffirait.
La jeune fille raccrocha avec une impression étrange et se rendit compte en regardant le téléphone que c’était la première fois qu’elle prenait la peine de justifier une de ses absences.

Alyssa passa toute la première semaine dans sa chambre. Voir sa jeune sœur se morfondre ainsi dans une pièce plongée dans la pénombre toute la journée la désolait, mais Alyssa refusait de bouger, lui opposant un mur de tristesse et un silence désespéré.
Parfois Natsuki l’entendait pleurer. Quand Alyssa était incapable de retenir ses sanglots, elle s’asseyait au coin du lit, pour simplement offrir sa présence.

Elle se revoyait alors à l’époque pénible de sa convalescence peu après l’accident de voiture. De nombreuses fois elle avait voulu s’isoler de tous, suffoquant dans une pièce sans intimité. L’idée d’exposer son désespoir aux yeux d’un autre lui était alors intolérable. Elle voulait panser seule ses blessures. Mais parfois, le poids de sa solitude était tel qu’elle avait passé des nuits entières roulée en boule sous ses couvertures, à sangloter en espérant que quelqu’un, n’importe qui, passerait la porte de sa chambre d’hôpital.

Et alors, Natsuki prenait sa petite sœur entre ses bras, incertaine, ou s’éclipsait discrètement selon ce qu’elle croyait être le mieux.

Pourtant, elle proposa plusieurs fois à la fillette de quitter cette chambre sombre, au moins pour les repas. En vain. Natsuki lui apporta donc à manger sur un plateau, mais décida de prendre ses repas avec elle, assise en tailleur sur le lit.

Le reste du temps, Natsuki s’affairait dans les autres pièces. Sa chambre, occupée par Alyssa, était un peu à l’écart des pièces communes. Consciente que sa sœur préférerait garder un maximum d’intimité dans son nouvel environnement et que cette partie de l’appartement convenait le mieux pour cela, elle décida de déménager ses quartiers dans le salon.
Elle troqua son canapé contre un futon et assembla une commode et une armoire qui prirent place contre le mur.

La première fois qu’Alyssa voulut prendre une douche, Natsuki courut dans la salle de bain pour lui expliquer quelques détails avant.

- Tiens regarde, c’est un peu compliqué. Il faut faire attention quand tu ouvres l’eau, des fois c’est mal enclenché et l’eau chaude n’arrive pas…il faut faire comme ça, tu vois ?

Le bruit de la douche cessa lorsque Natsuki décidait d’une date de rendez-vous avec un plombier.

- Et avant jeudi, ce n’est pas possible ? Bon…Les serviettes sont dans le placard sous le lavabo ! cria-t-elle à travers la porte en couvrant le téléphone d’une main.

Depuis, une feuille de papier couverte de rappels avec un signal danger tracé au marqueur rouge était scotchée à côté du tuyau de douche dans une pochette plastique à l’étanchéité discutable.

Natsuki avait passé le restant de la journée à vérifier chaque recoin de l’appartement en quête d’objet dangereux, de coins de tables acérés et de carrelages glissants.
Tout ça avait un air de déjà-vu, songea-t-elle en essayant de réparer l’interrupteur d’une vieille lampe qui exhibait des fils électriques dénudés.
Ses premiers temps ici, perdue et livrée à elle-même, n’avaient pas été une partie de plaisir. Elle scotcha un post-it sur le frigo, pour ne pas oublier d’expliquer à Alyssa comment marchait la plaque électrique et lui éviter la splendide brulure qu’elle s’était faite la première fois qu’elle s’en était servie.
Après réflexion, elle colla aussi un autre papier d’avertissement à côté de la plaque.
La cuisine. C’était peut-être l’endroit qu’elle détestait le plus à l’époque. Jamais elle n’oublierait la première fois qu’elle s’était rendue à l’école avec un bento minable dont la confection lui avait pris deux heures pénibles et vexantes, alors que les autres enfants déballaient des paniers-repas colorés préparés par leurs mères. Des années étaient passées depuis, mais elle se sentait encore misérable en y repensant.
Un bento, pensa-t-elle en collant un autre bout de papier sur le frigo. Il ne faudrait pas qu’elle oublie d’en faire un pour sa sœur, quand elle retournerait à l’école.

Les jours passèrent et l’appartement et le frigo se couvrirent de post-it.

À la fin de la semaine, Natsuki ne tenait plus en place.
Après avoir remis un peu d’ordre dans une cuisine déjà impeccable, la jeune fille s’assit devant la télé et zappa en regardant l’écran d’un œil distrait. Les minutes s’écoulèrent avec une lenteur exaspérante et elle ne tarda pas à trouver l’inaction insupportable.
Natsuki finit par jeter la télécommande sur le canapé et fut devant la chambre en deux enjambées. Elle crut au départ que la pièce était vide avant qu’elle n’aperçoive une mèche de cheveux qui dépassait de la pile de draps roulés en boule dans un coin du lit.

Ce fut le déclic. Natsuki tira les rideaux sans prévenir et ouvrit la fenêtre en grand.

- Debout là-dedans !

L’attitude d’Alyssa l’inquiétait et lui inspirait une sorte d’impatience agacée. Une chose lui paraissait évidente à cet instant : il était hors de question qu’elle laisse plus longtemps la fillette se morfondre au lit jusqu’au soir, ça ne pouvait rien lui apporter de bon.

La tête d’Alyssa émergea des couvertures et elle la gratifia d’un regard contrarié. Tant mieux, songea Natsuki. Elle préférait ça à l’expression abattue qu’elle affichait les autres jours.

- Allez jeune fille, à la douche ! tu ne vas pas rester en pyjama toute la journée ! on dirait un poussin qui sort de son œuf…

Alyssa fit une moue boudeuse en passant une main dans ses cheveux ébouriffés, marmonna quelque chose et finit par se lever, pour le plus grand soulagement de sa grande sœur.

Plus tard, alors que l’eau coulait dans la salle de bain, Natsuki constata avec une pointe de panique qu’à part un pyjama et des sous-vêtements, la fillette n’avait plus grand-chose de propre à se mettre sur le dos. La jeune fille songea en pestant qu’elle aurait dû y penser plus tôt et téléphona à Mai pour lui demander de se rendre chez Miyu et récupérer quelques affaires, pendant la pause de midi.

- Tu as les clés pour entrer chez elle ? Bon…merci encore, je préfère ne pas quitter l’appartement tout de suite.

La solitaire retourna en vain placards et penderie en espérant retrouver de vieux vêtements qui pourraient convenir, avant de se résoudre à lui prêter un de ses tee-shirts et un jean devenu trop court pour elle. Encore quelque chose dont il faudrait s’occuper. Dès qu’elle le pourrait, il faudrait qu’elle ramène les affaires de la fillette. Des habits, ses jouets, des photos…elle en profiterait pour vider entièrement son ancienne chambre.

Quand Alyssa émergea de la salle de bain, l’air peu convaincu, Natsuki du bien reconnaître qu’elle flottait dans ses vêtements.

- On va te trouver quelque chose d’autre, la rassura sa grande sœur en la voyant essayer de marcher sans se prendre les pieds dans son pantalon qui trainait par terre. Mai va venir avec des habits pour toi.

Natsuki l’emmena dans le salon avec un sèche-cheveux et ralluma la télé, zappant jusqu’à ce qu’elle tombe sur ce qui ressemblait à un anime pour enfant. Est-ce que ça sœur regardait ce genre de chose ? se demanda-t-elle, un peu nerveuse, alors qu’un générique coloré faisait clignoter l’écran. Elle posa la télécommande à côté d’elle, au cas où la petite fille voudrait changer de chaîne.

Alyssa marqua un temps d’arrêt et considéra tous les petits papiers qui avaient fleuri sur les murs et le mobilier des salles communes.

- Euh…Natsuki ? fit-elle après en avoir lu quelques-uns. J’ai…j’ai dix ans, tu sais ?

Son aînée la détailla d’un coup d’œil. Encore plus pâle et frêle que d’habitude avec un tee-shirt qui lui arrivait aux genoux, Alyssa aurait tout aussi bien pu en paraître cinq. Natsuki fit une moue gênée en espérant qu’elle n’avait pas vexé la fillette.

- Quand j’avais dix ans, il m’est arrivé quelques bricoles ici, au début. Alors…tiens, regarde, dit-elle en dégageant les mèches de cheveux de son front.

Elle désigna une fine cicatrice qui se profilait juste au-dessus de l’arcade sourcilière.

- J’ai glissé et je suis tombée sur un coin de la table basse, expliqua-t-elle.

C’était juste après avoir quitté la clinique où elle s’était remise de l’accident de voiture. Elle avait trébuché en se précipitant pour ouvrir la porte d’entrée, persuadée que c’était son père qui rentrait. En ouvrant, le visage en sang, elle était tombée nez à nez avec un vieil homme qui l’avait immédiatement conduite à l’hôpital.

- L’avantage dans tout ça, c’est que j’ai fait connaissance avec mon voisin. Depuis, j’ai changé la table basse, fit-elle tapotant les coins arrondis.

Alyssa la regardait, l’air peu convaincu et Natsuki réalisa que sa façon de présenter les choses infantilisait encore la fillette.

- Me regarde pas comme ça ! j’étais …je ne sais plus combien de fois je me suis brûlée en préparant les repas et…

Natsuki s’interrompit en rougissant et se sentit soudain un peu bête.

- On ne sait jamais.

Alyssa détourna la conversation avec indulgence.

- Et ton voisin ? Il est toujours là ?

- Non. Il a déménagé deux mois plus tard.

Natsuki n’en dit pas plus. Le vieil homme était parti s’installer en maison de retraite, mais il avait gardé un œil sur elle au moment où elle en avait le plus besoin.

- Allez, assis toi, je vais te sécher les cheveux.

Lorsqu’elle eu finit, Natsuki hésita de nouveau, une brosse à la main. Jusqu’à présent, Alyssa avait simplement gardé ses cheveux détachés.
Est-ce qu’elle se coiffait seule habituellement ou bien était-ce Miyu qui s’en occupait ? Il lui semblait qu’à son âge, elle se débrouillait par elle-même…
Dans le doute, elle entreprit de s’en charger. Alyssa ne broncha pas jusqu’à ce que la brosse accroche un nœud :

-Aïe !

-Désolée…j’ai presque fini.

La suite fut nettement plus délicate. C’était la première fois que Natsuki coiffait quelqu’un d’autre et elle n’avait aucune envie de tirer les cheveux de sa sœur. Quand elle eut finit, un autre anime défilait à l’écran et elle se rendit compte avec effarement qu’elle était à des kilomètres du résultat escompté. En la voyant faire la moue, Alyssa fila s’observer dans la salle de bain et en revint aussi vite en riant aux éclats.

- Toutes mes excuses, j’ai fait ce que j’ai pu, avoua Natsuki d’un air mi-amusé, mi-dépité.

- Ce n’est pas grave, s’amusa Alyssa en ôtant les élastiques qu’elle avait dans les cheveux. Je vais les laisser comme ça, pour aujourd’hui.

Un voile de tristesse effaça son sourire et Natsuki en conclut que c’était probablement Miyu qui la coiffait, habituellement. Quelqu’un frappa à la porte, mettant un terme au silence maladroit qui s’étirait.

- Ce doit être Mai, je reviens.

La rouquine se tenait devant la porte, flanquée de deux gros sacs.

- J’ai fait aussi vite que j’ai pu ! j’ai pris un peu tout ce que j’ai pu trouver, tu feras le tri…et là-dedans, fit-elle en désignant l’autre sac, tu as de quoi faire un bon repas ce midi. Tu as de la chance, j’ai réussi à sauver ça de Mikoto !

En l’entendant, Natsuki écarquilla les yeux en constatant qu’elles avaient sauté le petit déjeuner.

- ça va ? Tu fais une drôle de tête…

- Oui, oui, tout va bien…j’essaye juste de m’en sortir sans faire n’importe quoi, résuma Natsuki en se frappant le front. Merci pour tout, Mai.

- Je t’en prie. Tu veux que je reste, ce midi ?

Natsuki accepta de bon cœur et l’entraina dans la cuisine avec un sourire soulagé. Son amie jeta un coup d’œil intrigué au frigo constellé de post-it avant de prendre les choses en main comme si elle avait passé des années dans cet appartement. Le repas fut prêt en quelques instants et les trois filles s’installèrent à table pendant que Mai leur rapportait les derniers événements survenus à Fuuka en faisant passer les plats.
La cuisine de la rouquine était excellente et Natsuki insista pour servir copieusement sa sœur qui regardait la nourriture avec une morosité peu convaincue. Il suffit d’une bouchée pour qu’Alyssa se mette immédiatement à dévorer le contenu de son assiette sous les regards ravis des deux autres.
Mai en profita pour raconter les derniers exploits d’Haruka au conseil des élèves et réussis même à arracher un sourire à la petite fille. Natsuki lui fut reconnaissante d’évoquer la routine simple de l’Académie : après avoir passé deux jours enfermée ici, une nouvelle présence dans l’appartement et des nouvelles fraiches du monde extérieur ne pouvait faire que du bien à la fillette.

- Tu t’en sors pas si mal que ça, on dirait, observa Mai alors qu’elle aidait Natsuki à essuyer la vaisselle.

Alyssa était dans le salon, installée devant la télévision.

- Tu trouves ? demanda son amie avec une certaine reconnaissance. Je fais ce que je peux. Mais ça fait bizarre d’avoir quelqu’un d’autre ici…je ne me sens pas très à l’aise.

Mai la regarda froncer les sourcils avec amusement. Il lui semblait que Natsuki était bien plus nerveuse à l’idée de faire un faux pas avec sa sœur plutôt qu’à celle de se retrouver avec une présence inhabituelle dans son appartement. Peut-être son ami ne se rendait elle-même pas compte que sa gêne était plus un manque de confiance en soit qu’autre chose.

La rouquine posa une assiette sur le plan de travail en désignant les papiers colorés qui tapissaient le frigo d’un air goguenard.

- Tu ne vas pas t’y mettre non plus hein…elle est peut-être moins maladroite que moi à son âge, mais on ne sait jamais, marmonna Natsuki d’un air boudeur.

Mai éclata de rire.

- Tu t’en sors bien, répéta-t-elle, pour la rassurer.

C’était la vérité. Au moins, Alyssa ne se trouvait pas prostrée dans un coin de l’appartement, en larmes, et elle sentait suffisamment de prévenance dans les gestes de la solitaire pour estimer que la fillette était entre de bonnes mains.

- En vérité, je sais à qui je ferais appel pour garder Mikoto la prochaine fois…

Natsuki lui lança un regard catastrophé avant de réaliser que Mai plaisantait.

- Soit tranquille, je réserve cet honneur à Reito…ça va aller, cette après-midi ?

- Oui, ne t’inquiète pas. On devrait y arriver, j’ai quelques idées !

Les quelques idées de Natsuki se résumaient essentiellement à quitter cet appartement et prendre l’air pour se changer les idées. Elle réussit à convaincre sa sœur de sortir quelques heures pour se promener au parc, lui offrir une glace et discuter un peu avec la fillette si elle le souhaitait.
La solitaire savait qu’il était difficile d’aborder un sujet de conversation avec Alyssa sans évoquer Miyu. Pourtant, elle y parvint dans la plupart des cas et le reste du temps, la fillette faisait ce qu’elle pouvait pour contrôler sa tristesse. Alyssa avait un certain courage, reconnut son aînée avec un curieux sentiment de peine et de fierté, impressionnée par la vitesse à laquelle sa jeune sœur avait décidé de se reprendre en main. Le temps passa, les mots devinrent plus naturels et les silences plus paisibles.

Lorsque l’après-midi toucha à sa fin, Natsuki proposa de l’emmener au cinéma, mais Alyssa préféra rentrer et retrouver le calme de l’appartement. Sa sœur dépoussiéra sa vieille Playstation devant les yeux pétillants de la fillette et la laisser jouer pendant qu’elle préparait le repas du soir, amusé de la voir aussi enthousiaste pour quelques jeux vidéos. Pour la première fois de puis la mort de Miyu, Alyssa trouva le sommeil sans verser de larmes.

Dès lors, de nouvelles habitudes se mirent en place.
Natsuki du décaler son réveil afin d’avoir le temps de préparer un petit déjeuner digne de ce nom et aider sa sœur à se préparer pour aller à l’école : elle ne pouvait plus se permettre de quitter son appartement, une tartine à la main, pour filer à l’Académie à moto, un quart d’heure avant le début des cours.
Ce fut probablement le fait de devoir désormais prendre le bus tous les matins qui lui fut le plus difficile. Avec tous les arrêts, il fallait plus du double du temps à cet espèce de tas de ferraille plein à craquer pour les emmener à destination. Coincée au milieu d’une foule d’élèves trop compacte pour pouvoir simplement esquisser un geste, Natsuki ne pouvait s’empêcher de regretter la liberté qu’elle avait avec sa Ducati.

La première fois qu’elle accompagna Alyssa jusqu’à l’école, la solitaire eut vite l’impression désagréable d’être observée avec insistance. Elle se retourna pour constater que la plupart des gens la regardaient sans la moindre discrétion, clairement surpris. Natsuki les ignora et leva la main pour saluer sa sœur qui disparut dans le bâtiment.

Le même phénomène se produisit le soir, lorsque Natsuki revint chercher la fillette. Cette fois-ci, la solitaire ne put s’empêcher de lancer des regards agacés aux mères et étudiants qui venaient récupérer les enfants après les cours. La jeune fille avait le sentiment d’être devenue une sorte de bête curieuse.
Elle repéra vite Alyssa qui se trouvait en pleine discussion avec deux élèves du lycée à quelques pas de l’entrée.
En la voyant approcher, la petite fille lui fit signe et vint à sa rencontre.

- ça s’est bien passé, aujourd’hui ?

C’était son premier jour de classe depuis la mort de Miyu. Natsuki espérait sincèrement que l’on ne l’avait pas trop importunée avec des questions et que, d’une façon ou d’une autre, Youko avait trouvé une explication à fournir aux maîtres d’école.

- Alyssa nous a dit qu’elle restait chez toi, en ce moment, intervint une des lycéennes avant que la fillette ne puisse répondre.

Natsuki considéra l’expression soucieuse et étonnée de son interlocutrice en se demandant ce qu’il y avait de si inquiétant à cette déclaration.

- Euh…oui, répondit-elle simplement en tentant de se remémorer le prénom de son interlocutrice.

Etait-ce Ayuki ? Imari ? Elle l’avait pourtant croisé des dizaines de fois dans les couloirs. Elle remarqua alors le garçon qui se tenait à côté d’elle.

- Oh, ton frère est dans sa classe ? Ça tombe bien, j’aurais voulu récupérer les cours qu’Alyssa a manquées ces derniers jours, si ça ne te dérange pas. Tu pourrais me prêter ça ? demanda-t-elle au gamin. On te les ramène demain.

La lycéenne la regarda comme si elle venait de lui annoncer qu’elle était la fille cachée d’un alien et d’un pokemon et l’enfant piocha dans son sac quelques feuilles couvertes de gribouillis. Natsuki les rangea soigneusement dans un classeur, consciente que tout le monde la regardait faire. Sa nervosité monta d’un cran et elle du faire un effort pour tourner les yeux vers l’autre fille sans lui hurler d’arrêter de la considérer avec une telle tête d’ahurie.

- Merci ! bon allez, on y va, Alyssa ?

Elle fit demi-tour, les épaules crispées et le regard rivé devant elle. Elle sentit la main d’Alyssa se glisser timidement dans la sienne et ce fut probablement la seule chose qui lui permit de contenir son irritation jusqu’à la sortie de l’Académie.

Les jours suivants passèrent en un éclair. Avant même qu’elle ne puisse vraiment s’en rendre compte, Natsuki vit tout son temps libre partir en fumée. Elle avait évité de justesse un redoublement l’année dernière, en s’engageant à repasser les matières pour lesquelles elle avait échoué. Le surplus de travail alourdit davantage son emploi du temps, déjà bien rempli depuis qu’Alyssa accompagnée de son deuil, de ses soucis, et de toutes ces petites choses qui vont de pair avec une enfant de dix ans avait déboulé dans sa vie.
En vérité, la fillette se montrait suffisamment dégourdie pour pouvoir s’assumer seule dans la plupart des cas. Loin d’être inactive, elle aidait Natsuki du mieux qu’elle le pouvait et sa grande sœur constata vite qu’elle était bien plus mature que la plupart des fillettes de son âge. Les post-its disparurent les uns après les autres et bientôt, seuls les horaires de bus, l’emploi du temps de la fillette et la liste des courses furent épinglés sur le frigo.
Mais Natsuki refusait fermement de la laisser vivre sans garder un œil sur tout ce qu’elle faisait, que ce soit l’accompagner à la chorale, faire ses devoirs, cuisiner ses bento ou simplement préparer son sac de classe. Le jour où Alyssa en aurait assez de se faire chouchouter, elle lui le dirait, mais sa sœur voulait être sûre que la petite fille sache qu’elle avait quelqu’un sur qui compter.

La solitaire commença l’année scolaire en tachant de montrer la même prévenance envers ses propres études : plus d’absences, pas le moindre retard et tous ses devoirs étaient rendus au jour prévu, sans fautes.
La jeune fille se voulait irréprochable.
Lorsqu’Alyssa dormait enfin et qu’il lui restait du travail à finir, il lui suffisait de repenser aux regards posés sur elle le jour où elle avait accompagné sa sœur à l’école la première fois pour que l’énervement prenne le pas sur le découragement. Cette irritation sourde tapie au fond d’elle devint un véritable moteur. Elle avait désormais une fierté à défendre.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La nuit tombait sur la ville. Natsuki était à quatre pattes dans le salon, à la recherche de sa carte de bus. Elle songea en tâtonnant sous la table basse que son inconscient devait vraiment haïr ce bout de plastique pour qu’elle l’égare ainsi à chaque fois qu’elle en avait besoin. Ah, la voilà ! La jeune fille étira le bras et saisit la carte du bout des doigts, au moment précis où quelqu’un toqua contre sa porte.

Midori se tenait devant l’entrée, un grand sourire illuminant son visage.

- Ah, tu es encore là ! parfait, j’avais peur de t’avoir manqué.

- Midori ?

L’enseignante ne put s’empêcher de rire devant son air éberlué. Elle était ravie de constater que malgré sa surprise, Natsuki semblait contente de la revoir.

- Je viens te kidnapper, on va se faire une petite soirée tranquille, toutes les deux. Ça fait longtemps qu’on n’a pas discuté …depuis la dernière fois, insista Midori d’un air gêné en la voyant hésiter. Je voudrais être sûre que tout va bien de ce côté…

Natsuki n’avait plus aucune raison d’en vouloir à Midori et elle ne comprit pas tout de suite ce que son amie voulait dire. Elles avaient eu l’occasion d’en reparler au téléphone et pour elle l’affaire était close.

- Oh, je…je suis désolée, Midori. Ce n’est pas ça le problème, il faut que je m’occupe d’Alyssa. Je dois aller la chercher, elle m’attend à la chorale, s’excusa-t-elle en tripotant sa carte de bus.

- Ne t’inquiète pas pour ça, Mai doit déjà être là-bas ! elle s’occupe d’elle ce soir, comme ça tu as ta soirée de libre !

- Quoi ? Mais…non, je lui avais promis…

- C’est bon, pas de panique, insista Midori d’un ton apaisant. Il y aura Mikoto, aussi. Et ça ne te fera pas de mal de sortir un peu, on est vendredi soir !

La solitaire était insaisissable ces dernières semaines. Midori avait préféré lui laisser le temps de s’installer convenablement avec Alyssa avant de lui parler en personne, mais elle n’avait même pas eu l’occasion de la croiser dans les couloirs. Finalement, elle avait dû passer par le téléphone pour pouvoir revenir sur leur accrochage et mettre les choses aux points. Une discussion brève, maladroite, mais qui avait mis fin à cette histoire une bonne fois pour toutes. Midori s’en satisfaisait mal et avait décidé d’organiser cette soirée pour pouvoir discuter librement avec la solitaire et conjurer définitivement leur dispute.

Natsuki ne s’imaginait pas que Midori viendrait lui rendre visite seule à seule et elle se voyait mal refuser son offre. Mai et elle avaient visiblement tout prévu pour lui faire prendre l’air, observa-t-elle avec une certaine reconnaissance.

- Bon…ok, j’arrive tout de suite, j’en ai pour deux minutes.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le bar où la conduisit Midori lui rappela celui où elle avait l’habitude de rencontrer ses contacts et monnayer des informations sur le First District. Un brouillard de fumée de cigarette flottait au-dessus des tables dépolies qui luisaient faiblement dans la pénombre, sous la lumière faiblarde de quelques spots perdus au plafond. Une vieille chaine hi-fi passait en sourdine des accords de pop éraillés qui se mêlaient aux discussions des clients en un fond sonore ronronnant.

Midori interpella le barman et commanda deux pintes de bière. Elle paya et posa une des chopes devant Natsuki d’un air enthousiaste.

- Je ne sais pas si c’est une bonne idée que je boive tout ça, s’interrogea la solitaire en observant l’épaisseur de mousse qui débordait de son verre.

- Allons, pas de chichis, c’est le week-end ! Santé !

L’enseignante lui décocha un sourire radieux et leva son verre pour trinquer. Devant son air joyeux, Natsuki rendit les armes et l’imita.

- Santé !

La solitaire se laissa aller contre le dossier de sa chaise et eut l’impression de se détendre pour la première fois depuis la mort de Miyu. Mai prenait soin d’Alyssa et la petite fille allait bien, c’est tout ce qu’elle avait besoin de savoir pour l’instant.

- Alors, tout se passe bien ? demanda Midori en levant les yeux de son verre.

- Oui, j’ai l’impression qu’Alyssa va mieux. Ça a été un peu…maladroit au départ. Mais je crois qu’on a trouvé de bonnes pistes et on commence à bien s’entendre…

À mesure qu’elle prononçait ces mots, elle réalisa avec surprise que c’était la vérité. La gêne des premiers jours s’était estompée et quelque chose de plus naturel et spontané s’installait à la place.

- Il paraît que tu la chouchoutes, oui ! s’esclaffa Midori.

- Tu exagères.

- On n’entend que ça dans tout Fuuka.

- Tout Fuuka devrait se trouver une vie, maugréa Natsuki en fronçant les sourcils.

Midori éclata de rire devant son air grognon. Les potins de l’Académie, songea Natsuki avec énervement, quelle plaie ! Elle but quelques gorgées et reposa sa chope avec un soupir et un curieux tiraillement de tristesse au creux du ventre, comme si le gout âcre de la bière venait de calmer d’un coup son irritation. Son regard s’adoucit et elle finit par esquisser un sourire.

- C’est un peu de ma faute aussi, je suppose…depuis que je suis à l’Académie je me suis un peu comportée comme…

- Un grand méchant loup solitaire ? Proposa Midori en levant un sourcil d’un air amusé.

- J’avais un autre mot en tête, mais oui, disons ça comme ça, répliqua Natsuki sur le même ton.

Elle n’avait pas assez de mauvaise foi pour se voiler la face. Même si sa situation actuelle l’agaçait au plus haut point, Natsuki était consciente que son comportement y était pour quelque chose. A l’époque, elle était loin de s’imaginer que cela finirait pas la préoccuper autant. À l’époque, rien n’avait d’importance en dehors de sa vengeance. A l’époque, elle ne se faisait pas trop d’illusion et savait qu’elle mourrait probablement en se mesurant au First District si cela pouvait lui permettre de faire tomber l’organisation.
Mais Natsuki avait survécu et il lui fallait maintenant vivre avec les conséquences de ses actes et de l’isolement dans lequel elle s’était plongée. Peut-être que si elle commençait par assumer la réputation qu’elle s’était forgée avec les regards des autres, elle arriverait à changer cette image avec le temps.

- J’ai peut-être réalisé certaines choses, ces derniers jours, avoua-t-elle en considérant les marques circulaires laissées sur la table par sa chope humide.

- Du genre ?

- Du genre…parlons d’autre chose, veux-tu ? je n’ai pas envie d’en parler.

Quelque part en elle, la voix d’une petite fille de dix ans à peine, étendue dans un lit d’hôpital, sanglota que ce n’était pas sa faute et que tout ceux qu’elle aimait l’avaient affreusement blessée. Natsuki étouffa ces mots comme elle le put, consciente que la donne avait changé depuis. Midori la regardait se débattre dans ses pensées, surprise par cette confession.

- Je sais que les remises en question c’est de ton âge, mais ne te prends pas trop la tête. Tu as traversé beaucoup de choses ces derniers temps.

Le regret qui plissait ses traits s’effaça alors et Natsuki releva le menton, les yeux brillants de détermination.

- Mais il est hors de question que je me laisse traiter comme une incapable ! ces pimbêches de l’académie…à voir leurs têtes on aurait cru que j’allais battre Alyssa tous les soirs ! n’importe quoi…

Son amie ne fit pas de commentaires, un peu confuse. Après leurs disputes, elle avait cru un instant que Natsuki serait incapable de s’occuper de la fillette et avait été à deux doigts de lui enlever Alyssa sous le coup de la colère. Au dernier moment, elle avait réalisé qu’elle n’avait pas le droit de faire ça : Natsuki n’avait jamais été quelqu’un qui prenait les choses à la légère et l’image insensible qu’elle pouvait renvoyer était bien loin de la réalité. Et aujourd’hui, son amie s’en sortait mieux qu’elle ne l’aurait jamais imaginé. Midori en était sincèrement ravie et s’en voulait beaucoup d’avoir oser mettre en doute la prévenance dont la jeune fille pouvait faire preuve.

- Encore toutes mes excuses, pour l’autre jour, reprit Natsuki, comme si elle suivait ses pensées. Je me suis très mal exprimée…

- Laissons tomber ça. Les circonstances étaient…particulières, on en a déjà parlé. Je n’ai pas été un modèle non plus, dans cette histoire. Est-ce que je peux juste te demander si tu en as parlé à ta famille ?

Midori connaissait peu de choses sur les circonstances de la naissance d’Alyssa : elle savait que la fillette avait été créée à partir des cellules de la mère de Natsuki, et c’était à peu près tout.
Miyu avait refusé de la laisser chercher à contacter directement la famille de la solitaire en arguant qu’elle préférait que Natsuki soit mise au courant la première de leurs liens familiaux.
Midori n’avait pas insisté en pensant que Miyu voulait ainsi préparer le terrain et ménager les parents : à la façon dont la situation lui apparaissait, ils n’étaient certainement pas au courant qu’ils avaient une autre fille. La Sears avait du leur voler des cellules, peut-être en profitant d’une opération chirurgicale. La société ne manquait pas de ressources, après tout.

- Ma famille ? Mai ne t’as jamais raconté ? Ou Miyu ?

Midori secoua la tête et Natsuki remercia la discrétion des deux filles. Avec ses bases de données, Miyu devait probablement tout savoir à son sujet, mais avait choisi de garder tout ça pour elle, jusqu’au bout.

- Je sais juste que tu vis seule.

Natsuki leva son verre et avala une gorgée qui lui parut encore plus amère que les autres.

- Tu vois la route qui longe la falaise, à la sortie de la ville ? Notre voiture a traversé la barrière de sécurité, à un virage. J’étais sur la banquette arrière avec mon chien, ma mère conduisait. Je suis la seule que l’on ait pu repêcher.

Silence. Natsuki n’avait même pas envie de préciser les circonstances du drame, la trahison de sa mère et la responsabilité du First District dans tout ça. Un autre jour, peut-être.

- Je suis désolée, je ne savais pas. Et…ton père ?

- Mon père s’est barré quelque part avec sa maîtresse, pendant l’année que j’ai dû passer à l’hôpital, après l’accident. Il m’envoie des sous de temps à autre, mais on ne se parle plus. C’est comme ça depuis huit ans, à peu près.

- Oh.

Midori était abasourdie. Elle s’était imaginé que Natsuki était partie de chez elle, probablement suite à une dispute, et avait choisi de vivre sa vie toute seule de son côté en coupant les ponts avec sa famille. Elle ne pensait pas s’être trompée à ce point. L’enseignante ouvrit la bouche pour s’excuser, avant de constater que ce qu’elle pourrait dire blesserait plus son amie qu’autre chose.

Natsuki se força à boire pour se donner une contenance, et constata que le gout n’était pas si atroce.

- Je m’y suis faite, tu sais. C’est sur qu’Alyssa aurait pu débarquer dans une famille nettement plus joyeuse, fit-elle d’un ton plus léger. Mais au moins, moi, je suis là et je ne compte aller nulle part !

Midori esquissa un petit sourire. Quelques jours auparavant, l’enseignante avait songé lui demander si elle souhaitait que sa sœur reste avec elle ou si elle préférait retrouver son indépendance et lui confier la fillette le temps que leurs parents soient prévenus. Maintenant, elle n’avait même plus envie de lui poser la question. Natsuki était probablement la personne la mieux placée pour comprendre une orpheline et peut-être qu’aider la fillette lui permettrait de mieux appréhender son propre passé.

- Et tu es une grande sœur modèle, il me semble : conduite exemplaire en classe, assiduité…laisse-moi te dire que pour la rentrée tu fais une forte impression à tes profs ! s’exclama-t-elle pour changer de sujet.

Son amie considéra cette remarque un instant, se demandant s’il s’agissait d’un compliment ou non, et si elle devait s’énerver de nouveau ou estimer qu’il s’agissait d’une bonne nouvelle. Les émotions se succédèrent de concert sur son visage et Midori finit par éclater de rire.

- Oh, Natsuki ! tu es un vrai livre ouvert quand tu veux !

La solitaire piqua un fard, vexée d’avoir ainsi baissé sa garde sans s’en rendre compte.

- Je n’ai pas l’intention de passer un an de plus à Fuuka, marmonna-t-elle pour ne pas s’étendre sur le sujet. Et j’aimerais bien aller à l’Université, pour continuer des études.

- Des études en quoi ?

Natsuki leva les mains en signe d’indécision.

- Aucune idée. En Droit, peut-être. Je n’ai pas vraiment pris le temps d’y réfléchir.

Serait-ce encore possible, avec Alyssa ? se demanda Natsuki, pour la première fois. Midori l’empêcha de creuser davantage la question en la taquinant sur le choix de son orientation pendant les minutes qui suivirent. Au moment de partir, l’enseignante prit une pièce entre ses doigts et la présenta à la lumière des spots.

- Tu as encore des restes de l’époque ou on était des Himes ?

- Je ne peux plus matérialiser mes éléments et je n’ai plus de child, expliqua Natsuki.

- Et ça ?

Midori coinça la pièce par la tranche, entre le pouce et l’index, et la plia en deux comme elle l’aurait fait d’un morceau de carton.

- Jamais essayée avec une pièce, mais oui, je devrais pouvoir le faire sans trop de soucis, concéda son amie avec un sourire entendu.

- C’était super pratique, à l’époque ! Je pouvais faire tournoyer une hallebarde de plus de vingt kilos comme si c’était une tige en bambou ! s’esclaffa Midori. Je suis contente d’avoir gardé ma force de Hime, ça marche aussi pour plier les grosses règles en métal et c’est génial pour calmer les élèves qui font la foire en classe !

Natsuki leva les yeux au ciel.

- Bon allez, direction le bowling ! s’exclama l’enseignante en se levant d’un bond.

- De quoi ?

- Tu ne pensais quand même pas t’en sortir avec juste une petite heure au bar ? La nuit ne fait que commencer !

Natsuki reconnut avec une pointe d’appréhension le regard victorieux et le large sourire enthousiaste que Midori affichait à chaque fois qu’une soirée interminable était en vue. Elle n’était pas prête d’aller se coucher.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Alyssa referma le magazine qu’elle feuilletait distraitement et le reposa sur la table basse. Des ronflements légers montaient à côté d’elle, à l’endroit où Mikoto dormait, étendue de tout son long à même la moquette.
Il était presque deux heures du matin. Mai avait quitté la chambre peu avant dix heures, suite à un coup de fil de Tate en précisant qu’elle en avait pour une minute. Il lui semblait de plus en plus improbable que la rouquine rentre avant le lendemain.

Au départ intimidée par la présence de Mikoto, elles avaient fini par sympathiser en se défiant sur tous les jeux vidéos et tous les jeux de société que possédait Mai. Mikoto faisait preuve d’une imagination débordante, inventant des variantes et des nouvelles règles toutes les cinq minutes. Même si le caractère de la jeune fille était le plus parfait opposé du sien, Alyssa se surprit à apprécier son dynamisme et sa fantaisie et passa une bonne soirée.

Seulement, l’énergie dont faisait preuve son amie n’avait d’égale que la profondeur de son sommeil et Mikoto s’était endormie comme une masse alors qu’elles réfléchissaient à la façon de combiner le jeu de go et la bataille navale.

Désœuvrée, Alyssa ne se sentait pas assez fatiguée pour aller au lit et commençait à se trouver mal à l’aise dans ce studio qui lui était étranger. Peut-être ferait-elle aussi bien de rentrer chez Natsuki. Sa sœur n’habitait pas si loin, après tout, et le voisinage était tranquille. Sa décision prise, la petite fille recouvrit Mikoto d’un couverture et parti après avoir laissé un mot sur la table.

Il faisait froid dehors. Alyssa se mit en marche d’un pas rapide en empruntant la rue qui longeait le parc. Elle avait parcouru la moitié du chemin lorsqu’une ombre bougea sous un lampadaire. Alyssa ralentit le pas. Rien. Un chat, peut-être. Une centaine de mètres plus loin, un léger crissement derrière elle s’éleva dans l’air, comme si quelqu’un s’amusait à promener une lame de couteau sur le bitume.
Alyssa se figea, la bouche sèche et le cœur battant à tout rompre. La terreur se déversa dans ses veines. Le tiraillement qu’elle éprouvait au fond de son être ne faisait aucun doute : Jamais elle n’aurait pu oublier cette impression, ce sentiment qui l’envahissait à chaque fois qu’elle invoquait un orphan pendant la guerre des HiME.

La petite fille s’élança en avant et la chose qui la suivait se lança à ses trousses.
L’air siffla au-dessus d’elle. Par réflexe, Alyssa se jeta sur le côté. Une mâchoire d’acier se referma sur les pans de sa jupe et elle cria. Le tissu se déchira et elle sentit le souffle chaud et dégoutant de la créature contre sa jambe. Tremblante, Alyssa se redressa en trébuchant et se rua vers les grilles du parc. Elle eut à peine le temps de se faufiler entre les barreaux avant que des crocs aigus comme des poignards ne claquent sur ses talons.
C’était une sorte de gros félin, avec un long museau et une gueule qui s’ouvrait sur deux rangées de lames. Ses pattes ressemblaient à des serres d’oiseaux démesurées. Alors qu’elle s’enfuyait à travers le parc, elle pouvait se l’imaginer en train d’escalader un arbre pour passer de l’autre côté des grilles aussi distinctement que si elle le regardait faire. Ainsi était le lien qui les unissait.

- À l’aide !

L’orphan gagnait du terrain, jamais elle ne pourrait lui échapper. Les poumons en feu et une terreur sans nom au ventre, elle le sentait se rapprocher, de plus en plus vite. Il bondit. Alyssa fit volte-face et hurla avec l’énergie du désespoir.

- NON !

La créature fut projetée en arrière, comme si elle venait de heurter un mur invisible. Pantelante, la fillette le vit rouler à terre et se relever avec un grondement furieux.

- Va-t-en !

La créature ne s’enfuit pas, mais resta soudée au sol, incapable d’attaquer. Inconsciemment, Alyssa s’était servie de son pouvoir, de cette étrange capacité mentale qu’elle seule pouvait déployer pour contrôler ces créatures. Comme elle l’avait fait pendant le Festival.
Le monstre devant elle poussa un rugissement rageur, impuissant, et un combat de volonté commença.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Un choc sourd contre la porte d’entrée la tira de ses rêves. À peine consciente, Natsuki fronça les sourcils et se retourna avec un grognement contrarié. Le silence s’étira de nouveau et elle se sentit replonger avec délice dans le sommeil, jusqu’à ce que les coups reprennent.

La jeune fille daigna ouvrir un œil et marmonna un juron incompréhensible en constatant qu’il était à peine 5h. Elle plongea la tête sous sa couette en espérant que celui qui la dérangeait à une heure pareille se découragerait, mais on frappa une nouvelle fois.

- J’arrive ! hurla-t-elle d’une voix rauque de sommeil.

Natsuki se mit debout avec une fureur épuisée et l’impression d’avoir un corps en plomb.
Son regard embué de sommeil se vissa au sol, au niveau d’une paire de pieds qui avait l’air d’être à des kilomètres plus bas. Elle évita de justesse une basket qui trainait au pied du lit et contourna soigneusement un oreiller, trop fatiguée pour prendre le risque de l’enjamber.

- A tous les coups, c’est Midori….Putain, mon seul jour de grasse matinée depuis une éternité…Tu me traines en ville jusqu’à pas d’heure et tu débarques le lendemain avec ta tronche d’ahurie devant ma porte…je vais te tuer…

Son pied se prit traitreusement dans la manche d’une veste jetée à même le sol, à l’endroit où Natsuki l’avait laissé la veille alors qu’elle se déshabillait, épuisée, avant même d’atteindre sa chambre. Elle se rattrapa de justesse à une commode, mais son genou heurta violemment un coin de tiroir.

- Merde !

Des larmes de douleur lui piquèrent les yeux et le tambourinement contre sa porte reprit avec une énergie qui la mit hors d’elle.

- J’arrive ! rugit-elle de nouveau. Putain, où sont mes flingues…

Le coupable pouvait s’estimer heureux qu’elle ne puisse plus matérialiser ses éléments. En atteignant l’entrée, Natsuki plaqua un œil contre le judas avant d’ouvrir la porte en grand et étriper sur place le responsable de tout ce raffut.
Le fautif était bel et bien roux, mais d’une nuance trop claire pour que ce soit Midori.

- Mai, t’as intérêt à avoir une bonne excuse, marmonna-t-elle en guise de salut.

Son amie se précipita à l’intérieur sans jeter un seul regard à la solitaire échevelée, débraillée et terriblement endormie qui la regarda faire avec un regard assassin.

- Est-ce qu’Alyssa est ici ?

- Quoi ?

- Alyssa ?

La fatigue de Natsuki s’évapora d’un coup et un terrible pressentiment s’abattit sur elle telle une douche froide.

- Elle n’est pas chez toi ? demanda-t-elle tout en connaissant déjà la réponse.

Mai secoua la tête en regardant autour d’elle d’un air paniqué, comme si la fillette pouvait s’être cachée quelque part ici. Elle avait l’air au bord des larmes.

- Elle n’était pas dans la chambre quand je suis rentrée…Je suis sortie pour voir Tate et en revenant…elle a laissé un mot pour dire qu’elle rentrait…

Natsuki ne l’écoutait plus. Elle enfila un jean en sautillant et se rua sur une paire de baskets qu’elle chaussa sans prendre le temps de faire les lacets.

- Où…où tu vas ?

- Fouiller tout le voisinage ! cria Natsuki en s’élançant dehors. Appelle la police !

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Une part de son esprit avait conscience de la chaleur qui réchauffait lentement son corps transi de froid. Autour d’elle, la luminosité changeait, transformant les ténèbres en ombre imprécises. Il lui semblait même percevoir le chant des oiseaux qui accompagne la venue de l’aube. Elle pouvait aussi ressentir la sueur sur son visage crispé en un masque de concentration qui lui piquait la peau mais ces sensations étaient plus confuses qu’un rêve.
Alyssa ignorait depuis combien de temps elle se trouvait ainsi, debout dans ce parc, immobile comme une statue. Les yeux rivés sur ceux de la créature qui lui faisait face, le monde extérieur disparaissait dans une brume imprécise.
L’orphan grondait devant elle. Parfois, il faisait claquer ses mâchoires et sa queue fouettait l’air avec un sifflement menaçant comme pour rappeler qu’il lui suffirait d’une seconde pour la mettre en pièce.
Alyssa pouvait le sentir se débattre, ruer contre les entraves que lui imposait son esprit avec l’acharnement d’un fauve fou furieux : le premier qui baisserait le regard serait à la merci de l’autre.

Elle devait tenir, se répéta-t-elle. Le jour se lèverait, on finirait par remarquer son absence et des recherches seraient lancées. On la retrouverait vite. Elle serait sauvée.
Les bords de sa vision se brouillèrent, sa conscience vacilla et l’orphan rugit. Ses griffes labourèrent le sol et il se ramassa comme un tigre prêt à bondir. Sa concentration faiblissait. Alyssa se redressa et prit une grande inspiration, terriblement consciente qu’elle était à bout de force. L’orphan hésita. Le duel reprit. Elle devait tenir.

Natsuki courait à en perdre haleine. La panique enflait en elle comme une vague, mais elle s’obligea à garder la tête froide. Réfléchir. Alyssa connaissait très bien le trajet entre l’appartement de Mai et le sien. Si elle refaisait le chemin, elle trouverait surement un indice, une trace, qui lui permettrait de comprendre ce qu’il s’était passé. Peut-être…Peut-être avait-elle eu peur en route et s’était réfugiée chez un voisin. L’absurdité de l’hypothèse la coupa net dans son élan. Natsuki s’arrêta pour reprendre son souffle, les yeux clos, bloquant les images qui lui présentaient Alyssa poussée de force dans la voiture d’un cinglé. Elle en eut la nausée.

Elle redressa la tête et aperçut dans l’ombre un morceau de tissus bleu jeté sur le sol, à côté de la grille du parc. De la même couleur que la jupe qu’elle portait en allant chez Mai. Natsuki se précipita dessus et jeta autour d’elle des coups d’œil désespérés. Il faisait encore sombre, mais l’aube approchait. Les lampadaires clignotèrent avant de s’éteindre et lui firent lever les yeux. Son regard tomba sur les longues griffures qui zébraient le tronc d’un arbre, juste à côté, et disparaissaient dans les branches. Quelque chose l’avait escaladé, peut-être pour passer de l’autre côté de la grille.
Natsuki prit un peu d’élan et bondit, invoquant sa force de Hime. Elle parvint à attraper une branche basse et se hissa en hauteur en suivant les traces de griffes gravées dans le bois, jusqu’à se trouver au-dessus de la grille. Elle avait vu juste.

Natsuki sauta de l’autre côté et se rua en avant.

- Alyssa ! cria-t-elle à plein poumon.

C’est alors qu’elle les vit, au loin. Sa sœur, minuscule dans le soleil levant, faisait face à une créature deux fois plus grosse qu’elle. Le soulagement, la stupeur et la peur se mêlèrent dans ses veines et le sang de Natsuki ne fit qu’un tour. Elle ne ralentit sa course que pour ramasser une pelle oubliée par les jardiniers à côté d’un massif de fleurs. Natsuki s’élança, poussée par une fureur décuplée par une panique absurde.
La jeune fille bondit sur le monstre avec un hurlement de rage. Son arme improvisée fendit l’air et elle asséna un formidable coup de pelle dans le museau de la créature qui roula lourdement à terre.

- Alyssa, tout va bien ?

- Attention !

La créature se jeta sur elle et Natsuki eut à peine le temps de lever sa pelle pour se protéger. Des crocs effilés comme des aiguilles mordirent le bois avec violence. Elle réussit à bloquer une des pattes griffues du monstre à deux doigts de sa tête avec le manche, mais l’autre s’abattit sur son épaule. La jeune fille serra les dents avec une grimace de douleur en sentant les serres s’enfoncer dans sa chair.
Debout sur ses pattes arrière, l’orphan tentait de la faire basculer à terre. Si cela arrivait, Natsuki savait qu’elle était perdue. La créature l’éventrerait comme une poupée de chiffon.
La jeune fille poussa de toutes ses forces sur ses bras et décocha un grand coup de pied en avant. La chose lâcha prise avec un feulement de douleur.
Natsuki battit en retraite, le bras en sang.
Un éclair blond s’interposa entre l’orphan et la jeune fille. Alyssa, campée devant sa sœur, les bras tendus devant elle, lançait ses dernières forces dans l’affrontement. La créature rua, prise dans un filet invisible.

- Vas-y !

Natsuki ne se fit pas prier. Elle leva son arme au-dessus de sa tête et la fit tourner entre ses paumes. Le tranchant de la pelle s’abattit en sifflant sur la nuque de la créature et fit jaillir une gerbe de sang noirâtre.
L’orphan s’effondra avec un râle et son corps s’agita d’ultimes soubresauts avant que la vie ne le quitte pour de bon.

Natsuki se laissa tomber à terre avec un profond soupir. Alyssa à ses côtés l’imita. Sa grande sœur lui passa son bras valide autour des épaules et l’attira contre elle, terriblement soulagée. Ses mains tremblaient et son cœur battait la chamade.

- Ne me refait plus jamais ça, gronda-t-elle en lui ébouriffant les cheveux. Tu n’as rien au moins ? s’inquiéta-t-elle en la détaillant des pieds à la tête.

La petite fille avait l’air exténuée, ses mèches dorées plaquées sur son front par la sueur et les yeux voilés par l’épuisement.

-Je vais bien…

- Qu’est-ce qui t’as pris de partir de chez Mai comme ça, en pleine nuit ? interrogea-t-elle, furieuse.

- Je voulais juste rentrer…je n’étais pas à l’aise, chez Mai, pour y passer la nuit…

Alyssa s’interrompit d’un air penaud. La fatigue la rendait plus fragile que d’ordinaire et son aînée vit ses yeux se remplirent de larmes. Natsuki n’insista pas. Une part d’elle était colère, l’autre ravie que la petite fille considère leurs appartements comme son vrai « chez elle ». La solitaire se sentait de toute façon trop soulagée pour avoir le cœur à faire la leçon à la petite fille. Une autre fois, un autre jour.

- Tss…on est pas sœurs pour rien, toi et moi, marmonna-t-elle, en songeant à sa propre conduite pendant les fins de soirées et sa fâcheuse manie de s’éclipser pour rejoindre le calme de son appartement avant de s’endormir sur place.

- En tout cas toutes mes félicitations, tu t’en es très bien sortie, reprit-elle en songeant avec admiration à l’orphan, pétrifié et impuissant devant une gamine aussi frêle. Il va falloir que tu m’expliques comment tu as fait ça.

Devant elles, le corps de la créature se décomposait en une pluie de lumières vertes semblables à un essaim de lucioles. Natsuki frémit en voyant les étincelles se volatiliser dans l’air du matin, douloureux rappel de sa propre mort pendant la guerre des Himes.

- Allez, on va appeler Mai avant qu’elle n’alerte l’armée, la douane, le SAMU et les pompiers…si ce n’est pas déjà fait.

L’orphan avait tracé trois sillons sanglants dans son épaule. Ses pouvoirs de Hime lui garantissaient une guérison rapide et hors du commun, mais elle aurait probablement besoin de quelques points de suture au cas où .

-Mai ? C’est bon, Alyssa est avec moi…oui, elle va bien…oui…elle est saine et sauve, ne t’inquiète pas.

A l’autre bout du fil, son amie pleurait de soulagement.

-Je vais aller voir Youko… rien de grave, un petit accrochage avec le responsable de tout ce bazar…non, je peux pas le livrer à la police, je l’ai achevé à coups de pelle.

Mai étouffa une exclamation.

- Je t’expliquerais tout ça. Je crois qu’on a un très gros problème.

_________________
La culture anglaise comme vous ne l’avez jamais vue.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé Envoyer un e-mail Visiter le site web de l'utilisateur MSN Messenger
Briseglace
Otome Corail


Inscrit le: 21 Mar 2009
Messages: 164
Localisation: Sur le toit.

MessagePosté le: Sam Mar 21, 2009 10:18 am    Sujet du message: Répondre en citant

Yep, Miyaki!

Geez... cette fic est superbe! Je voulais poster une review sur un certain site de fanfiction mais puisque je suis là, j'en profite!

J'aime beaucoup ton univers (j'aime bien quand c'est un peu glauque et tendu comme ça Twisted Evil ), et la façon dont tu exploites le personnage d'Alyssa. Cette petite me fait complètement craquer dans ce chapitre (c'était déjà le cas dans l'anime mais là encore plus)!

J'espère que tu vas continuer à nous offrir des chapitres comme ceux-là, c'est grandiose! J'adore.

Bah quoi? Oui oui, j'attends la suite (tout de suite ça serait bien mais bon l'espoir fait vivre Sad )...
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Miyaki
Trias


Inscrit le: 08 Fév 2006
Messages: 691

MessagePosté le: Mer Avr 29, 2009 11:26 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Oula, il était temps que je passe, ça commence à sentir le sapin là-dedans...allez zou, enjoy (enfin j'espère XD) !

Oyabun ou Kaichou ou Kumicho: Signifient « parent », « chef » ou « chef de clan ». Comme la traduction l’indique, il s’agit du titre décerné à la personne la plus haut placée dans un clan Yakuza. « Clan » est employé au sens large : les membres d’un même clan ne sont pas forcément liés par le sang, bien que tous les titres yakuza aient une forte connotation familiale.

Kyodaï : Les grands frères. Sorte de lieutenant dans la hiérarchie des yakuza, ils constituent un rang intermédiaire avec les échelons inférieurs (constitués par les Shateï, « petits frères »).

Kumi-in :
Littéralement l’homme engagé. Ce terme désigne une personne extérieure au clan qui a un simple rôle d’exécutif. Si cette personne s’en montre digne, elle pourra par la suite intégrer les rangs de l’organisation.

Sarakin : Usurier. Ils sont une alternative aux banques, qui prêtent assez peu aux particuliers et petites entreprises. Beaucoup de sarakin sont (ou étaient) suspectés d’entretenir des liens avec des yakuza, et leurs méthodes ne sont pas toujours très morales…


Pachinko: Jeu typiquement japonnais, qui ressemble vaguement au flipper. Réputé pour être un véritable gouffre financier pour les accrocs aux jeux, et également le terrain de chasse des yakuza.


- Hé mon vieux, tu te souviens à qui tu dois ta boutique, quand même ?

Un bruissement de tissus et le son mat d’un poing percutant la chair s’élevèrent dans l’air une fois de plus. L’oxygène fut brutalement chassé de ses poumons et l’homme laissa échapper un grognement de douleur.

- Alors vieux ? rappelle-toi, fais un effort !

Le poing s’abattit sur son visage et il sentit la peau se déchirer alors que la douleur explosait sous son œil. À travers ses paupières tuméfiées, il pouvait à peine voir les silhouettes de ses agresseurs. Trois ombres s’étiraient dans la lueur approximative d’un lampadaire. La clarté frappait leurs dos et masquait leurs traits. Une quatrième figure était penchée sur lui, suffisamment proche pour qu’il sente son souffle contre lui à chaque fois qu’on l’attrapait par le col avant qu’un nouveau coup ne le projette contre le mur.

- C’est…c’est vous…ânonna-t-il en sentant le goût métallique du sang dans sa bouche.

- Qui ça ?

La voix était jeune, étonnamment désinvolte.

- Le Fujino-kai…

- Bien, on progresse !

Le poing tomba de nouveau et ses dents tremblèrent sous le choc.

- On a pas toute la nuit. Tu as l’argent ?

Un yakuza plus âgé avait pris la parole. Il pouvait voir le point rougeoyant qui apparaissait au bout de sa cigarette à chaque fois qu’il aspirait la fumée.

- Une…une…partie…

- Kumi-in, ça te dit un petit peu d’exercice sur le punching-ball ? lança son agresseur en le secouant comme un sac de farine.

- Sans façon.

Shizuru regardait l’homme à moitié conscient et les mains de Kohei agrippées à ses vêtements comme des serres. On aurait dit une poupée de chiffon. Une part d’elle-même lui hurlait de prendre ses jambes à son cou. Appeler à l’aide. Frapper ce yakuza qui ressemblait à un chat jouant avec une souris avant de la tuer. Au lieu de cela, elle se tenait devant eux en affichant la plus parfaite indifférence qu’elle puisse invoquer.

Ce n’était même pas difficile. Shizuru avait appris à mettre ses sentiments de côté depuis longtemps, au point qu’elle avait parfois l’impression que quelqu’un d’autre commandait ses actes. Une sorte de seconde personnalité, un garde-fou qui n’avait cédé que pendant le Festival.

C’est cette capacité à refouler tout ce qu’elle pouvait ressentir qui lui avait permis de survivre avant qu’elle ne quitte Kyoto et qui l’avait aidé à garder son rôle d’amie fidèle auprès de Natsuki pendant si longtemps, alors qu’une passion plus violente qu’un ouragan enflait derrière ces murailles qu’elle avait bâties.

Ryushi la considéra du coin de l’œil, reporta son attention sur le commerçant à demi mort et jeta sa cigarette.

- Tu comprendras qu’on ne peut pas se satisfaire « d’une partie », n’est-ce pas ? annonça-t-il en broyant le mégot sous son talon. C’est dommage, mais c’est les affaires. Kohei, lâche-le.

Il plongea la main dans les plis de sa veste et en tira un revolver. Le cœur de Shizuru fit un bond.

- Game over, mon ami, soupira-t-il en vissant un silencieux. Tiens.

La personne qui avait pris possession du corps de Shizuru tendit la main et prit l’arme qu’on lui tendait sans marquer la moindre hésitation.

- Descends ce minable. Les gars, venez.

Les yakuza allèrent se poster une vingtaine de mètres plus loin, à l’entrée de la ruelle. Dans son poing, le revolver était étonnamment lourd. L’homme sanglotait devant elle, avachi contre le mur et incapable de seulement faire un geste pour se défendre. Shizuru leva l’arme. Le coup partit avec un sifflement étouffé.

La balle avait fait sauter le revêtement de la paroi et avait laissé un trou suffisamment large dans le béton pour qu’elle puisse y glisser le canon de son arme. Shizuru tourna les talons, laissant l’homme effondré contre le mur, inconscient.

- Tu nous as fait quoi, là ?

Le jeune yakuza au sourire de loup fut sur elle en deux enjambées, la main levée. Shizuru saisit son poignet au vol, avant que le coup ne l’atteigne au visage. Elle sentait les tendons se tordre sous ses doigts, les muscles se crisper alors qu’il tentait de se dégager. Shizuru resserra sa prise sans sourciller, sans bouger d’un pouce.

Elle aurait pu lui briser les os d’une simple pression. À la façon dont le yakuza la regardait, les yeux écarquillés de saisissement, il le savait aussi bien qu’elle.

- Qui serait assez bête pour tuer un homme pour une poignée de yens ? demanda-t-elle simplement, sans élever la voix.

Un poids glacé vint se coller contre sa nuque accompagné d’un cliquetis métallique. Shizuru lâcha le yakuza qui recula précipitamment. Sa fierté lui interdit de se masser le bras et il se contenta de la toiser d’un regard furibond.

- Reste à ta place, Kumi-in, menaça Ryushi derrière elle.

Le canon de son pistolet quitta son cou et il reprit l’arme qu’il avait donnée à Shizuru.

- Félicitations, on ne te déposera pas chez les flics ce soir, fit-il simplement. Les gars, on se casse.

Shizuru les regarda monter dans la voiture qui démarra sur les chapeaux de roues, l’abandonnant sur place. La jeune fille soupira et eut un frisson lorsqu’elle s’autorisa à baisser sa garde. L’homme que les yakuza avaient passé à tabac gisait toujours sur le sol. Son visage marbré de coups avait enflé en déformant ses traits de façon grotesque. La jeune fille déglutit et appela immédiatement une ambulance. Ce n’était pas elle qui l’avait mis dans cet état mais elle ne pouvait pas se défaire de la certitude que Kohei y aurait mis moins d’enthousiasme si elle n’avait pas été là.

Ryushi n’avait rien voulu lui épargner. Un yakuza tel que lui, si bien placé dans la hiérarchie du clan, n’avait aucune raison de se salir les mains de la sorte pour une simple histoire de racket. Il avait voulu l’impressionner en la plongeant dans la violence des plus basses affaires du milieu. Qu’est-ce que ça serait, la prochaine fois ? se demanda Shizuru avec une rage froide. La tournée des prostitués ? le quartier des drogués ?
Elle avait réussi à garder les idées claires en se répétant que l’homme aurait la vie sauve : les sommes mises en jeu ne valaient pas la peine que les yakuza prennent le risque de le tuer.

La jeune fille eut un dernier regard pour l’homme et s’enfuit d’un pas rapide. Ryushi ferait tout pour la piéger et la provoquer. Elle eut un frisson dégoûté en songeant qu’elle devrait gagner le respect d’un tel homme pour espérer pouvoir mener son enquête sur les Gurentai sans éveiller les soupçons. Shizuru accéléra le pas en entendant la sirène d’une ambulance au loin, les épaules voûtées par le découragement et la culpabilité.

-----------------------------------

Ryushi n’avait pas desserré les lèvres depuis qu’ils avaient abandonné Shizuru et conduisait avec raideur. La contrariété du vieux yakuza était presque palpable et l’ambiance était lourde dans le véhicule. Le plus jeune craqua en premier, excité comme une puce et vexé par la façon dont Shizuru l’avait maîtrisé :

- Cette fille me flanque les jetons ! Même avec tout ce qu’on a fait à l’autre abruti elle n’a pas cillé, à croire qu’elle en avait rien à faire ! Quand tu lui as donné le flingue…j’ai cru qu’elle allait le tuer comme ça, sans se poser de questions !

- Ça m’aurait bien arrangé, gronda Ryushi. Kenjiro aurait dû la livrer aux autorités pour meurtre et on n'aurait plus entendu parler d’elle.

- Le Kumicho aurait fait ça ? À sa cousine ?

- Dans ce genre de cas, c’est elle ou nous. Si un civil est tué devant témoin, le coupable prend toute la responsabilité sur lui pour protéger le clan. Le Fujino-kai ne va pas s’amuser à revendiquer le meurtre d’un épicier, tout de même !

- Oui mais…ça veut dire que tu l’aurais balancé ? Après lui avoir donné toi-même le flingue ?

- Je me serais gêné, tiens…après tout, c’est elle qui aurait appuyé sur la gâchette, pas moi.

Kohei éclata de rire.

- Il est arrivé quelque chose du même style, au père de Kenjiro, murmura Ryushi. Sauf que lui, il a agi de son plein gré. Il a tué un homme dans un bar. Ça a rendu service à tout le clan mais il a dû assumer ça tout seul, en disant que ça n’avait rien à voir avec les affaires du Fujino-kai, pour protéger le groupe.

- Personne ne l’a défendu ?

- Bien sûr que non, il y avait une vingtaine de témoins ! franchement, des fois tu me surprends, tu parles comme un bleu ! Tu aurais fait quoi, à sa place ?

- Je serais allé chez les flics moi-même, rétorqua Kohei, piqué au vif. Si tu penses que tu m’aurais retrouvé à pleurnicher devant le Kumicho, tu te trompes de gars, déclara-t-il avec dédain.

Ryushi ignora son ton bravache, les yeux rivés sur la route.

- Pour en revenir à notre affaire, il a été jugé et il a eu droit à la peine capitale, pour ça.

- Je ne savais pas…

- Pas étonnant, vu la position qu’il avait dans la maison à cette époque. C’était une sale affaire…on en parle peu.

- T’aurais fait quoi si la fille avait lâché le flingue en pleurant ?

- Je lui aurais mis une raclée phénoménale avant de la déposer chez son cousin, énonça le colosse sans sourciller.

L’autre considéra son visage fermé et ne put s’empêcher de ricaner.

- On dirait qu’elle t’as bien eu, hein, la gamine ? s’esclaffa-t-il d’un ton railleur.

- Ferme-la.

-----------------------------------------------------

L’après-midi touchait à sa fin lorsque Shizuru fit son entrée dans le cabinet du docteur Nakajima.
En entrant dans la salle d’attente, l’odeur familière qui imprégnait la pièce la ramena des années en arrière. C’était le père de Kenjiro qui l’avait conduite ici la première fois. Elle avait piqué l'une de ses très rares colères ce jour-là, lorsqu’il lui avait dit qu’il avait pris rendez-vous sans même la consulter. Elle avait refusé d’y aller, furieuse et terrifiée que son oncle la prenne pour une folle. L’homme avait dû la soulever de terre et la porter jusqu’à la voiture pour pouvoir l’amener ici et Shizuru avait passé les plus longues minutes de sa vie, dévastée, en attendant son tour dans cette petite salle qui sentait la vanille.

Maintenant, elle regrettait de ne pas avoir pu lui dire que sa rencontre avec Nakajima était l’une des meilleures choses qui lui soit arrivée.

Une porte s’ouvrit au fond de la pièce et une jeune femme apparut, tenant par la main un petit garçon qui baissa les yeux d’un air intimidé en voyant Shizuru.
L’enfant se serra contre les jambes de sa mère comme pour lui signifier d’accélérer le pas. Shizuru détourna le regard pour ne pas l’embarrasser davantage. Elle savait ce que pouvait ressentir un gamin, la première fois qu’il se retrouvait dans un tel endroit.

- Désolée de t’avoir fait attendre, Shizuru, comment vas-tu ?

La voix était enjouée, douce et chaleureuse. Shizuru sentit un sourire irrésistible s’étirer sur son visage avant de se retrouver dans une étreinte affectueuse.

Nakajima non plus n’avait pas changé, réalisa la jeune fille avec soulagement. Ses origines américaines prenaient encore le dessus lorsqu’il s’agissait de saluer des personnes qui lui étaient proches, malgré des années passées au contact de la si distante politesse japonaise.

- Comme tu as changé ! J’espère que tu comptes t’arrêter de grandir, tu ne vas pas tarder à me dépasser, plaisanta la femme en s’écartant pour la toiser de la tête aux pieds. Tout va bien ? demanda-t-elle en ouvrant la porte adjacente qui menait à son appartement. Tu m’as l’air un peu fatiguée.

- J’ai été assez occupée ces derniers temps. La rentrée, résuma Shizuru.

- J’imagine, j’imagine. Tiens, assieds toi, je reviens dans un instant. Je commençais à me demander ce qu’il t’était arrivé, je n’ai pas eu de nouvelles depuis que tu m’as laissé un message pour me prévenir que tu rentrais à Kyoto. Je reviens avec le thé, ne bouge pas !

Shizuru s’installa dans le canapé pendant que Nakajima continuait la discussion tout en s’affairant dans la cuisine. Elles échangèrent les dernières nouvelles et Shizuru retrouva instantanément l’aisance qui portait leurs conversations d’autrefois. La jeune femme goûtait un réconfort précieux en constatant que ses relations avec les deux personnes qui lui étaient le plus chères dans cette ville étaient intactes.

- Il y a quelque chose que je ne comprends pas, Shizuru. Pourquoi es-tu revenue à Kyoto ? Je suis ravie de te revoir, mais pourquoi choisir cette ville pour continuer tes études ?

Un regard au-dessus de sa tasse lui apprit que Nakajima guettait la moindre de ses réactions et avait attendu de la voir en personne pour lui poser cette question. La psychiatre était inquiète et désapprouvait son choix, ça ne faisait aucun doute.

- L’université est plutôt bien cotée, tenta-t-elle timidement.

- Contente de constater que ton futur te tient à cœur, mais j’imagine que tu aurais pu tout aussi bien être admise dans une université équivalente, autre part au Japon, fit-elle remarquer d’un air peu convaincu. Shizuru, est-ce que tout va bien ?

Nakajima était perspicace et l’attention qu’elle lui portait la toucha. Shizuru ne songea même pas à se cacher derrière un autre mensonge.

- L’année précédente a été difficile. J’avais besoin de changer d’air…

- Au point de revenir dans cette ville ?

Nakajima était abasourdie. Elle connaissait Shizuru depuis des années et savait tout de sa situation. Elle n’imaginait rien qui soit assez grave pour la faire revenir ici, du moins pas aussi tôt, et certainement pas pour y entamer des études longues !
Elle avait promis au père de Kenjiro de garder un œil sur elle, peu de temps avant qu’il ne se fasse tuer : ils étaient des amis de longue date et même si elle ne voyait plus Shizuru en tant que patiente à l’époque, elle avait gardé un certain lien avec elle par l’intermédiaire de son oncle.

- Je pensais que ça me changerait les idées, fit évasivement la jeune fille qui lui faisait face.

- ça ne te ressemble pas, observa Nakajima.

C’était elle qui l’avait convaincue de quitter Kyoto et fait le nécessaire pour qu’elle puisse aller à Fuuka, persuadée que Shizuru avait besoin de rompre une bonne fois pour toutes avec le lot de tragédies qui la liait à la ville et prendre un nouveau départ. Les nouvelles qu’elles avaient échangées depuis l’avaient conforté dans l’idée que cette décision avait été la bonne. Jusqu’à maintenant.

- Nos discussions se sont faites de plus en plus rares, ces derniers mois. Que s’est-il passé, à Fuuka ?

Shizuru secoua la tête et, pour la première fois, Nakajima vit un éclair de désespoir perturber l’expression tranquille de sa protégée. Elle avait vu ce genre d’attitude chez des dizaines de patients : des gens tellement perdus qu’ils préféraient revivre les problèmes d’autrefois plutôt que d’affronter ceux qui se posaient dans l’immédiat. Pour qu’elle choisisse de se replonger dans l’univers complexe et malsain de Kyoto en espérant noyer sa détresse, ce qui lui était arrivé à Fuuka avait dû l’anéantir, estima Nakajima avec une inquiétude ravivée.

- Je ne veux pas en parler, dit-elle simplement. Un autre jour, c’est promis. J’ai besoin d’un peu de temps.

Nakajima n’insista pas. Aux regards que lançait Shizuru autour d’elle, la jeune fille mourrait d’envie de mettre fin à cette discussion.

- Je vais devoir y aller, il se fait tard, annonça-t-elle finalement en se levant.

- Tu ne veux pas rester dîner, ce soir ? demanda Nakajima tout en connaissant déjà sa réponse.

- Merci, mais j’ai beaucoup de travail à finir pour demain et des amis m’attendent pour qu’on s’y mette ensemble. Nouilles instantanées sur fond de révisions, ça s’annonce trépidant.

Pas totalement dupe, Nakajima esquissa un petit sourire en la voyant grimacer pour appuyer sa remarque. Shizuru la supplia mentalement, en annonçant cette semi-vérité, de ne pas poser la moindre question qui l’oblige à mentir une fois de plus. Nakajima était peut-être la seule personne devant laquelle elle était incapable de conserver son air impassible dans ce genre de cas.
Elle quitta l’appartement de la psychiatre, un goût amer dans la bouche, écœurée par sa propre faiblesse et hantée par le souvenir d’une paire d’yeux d’un vert éclatant.

---------------------------------------

La vie au sein du Fujino-kai était étouffante. Par bonheur, Ryushi avait d’autres préoccupations en tête et la laissait en paix la plupart du temps. À défaut d’expéditions dans les bas-fonds de Kyoto, on l’avait donc assigné au tri d’une pile de paperasserie aussi vertigineuse qu’obscure, qui détaillait les dernières opérations financières d’un sarakin rattaché au groupe. L’homme était soupçonné de se tailler une part de bénéfice qui dépassait largement ce qui était convenu et Shizuru devait reconnaître que, même s’il n’était naturellement pas d’une honnêteté sans faille vis-à-vis de ses clients, il déployait au moins le même zèle pour brouiller les pistes aux yeux des yakuza qui l’employaient. Inutile de préciser que le Fujino-kai n’appréciait pas du tout l’intention.

La jeune fille désespérait d’apprendre quelque chose de concret sur les Gurentai mais la chance lui sourit pourtant au détour d’un couloir, sous la forme d’exclamations indignées qui fusaient d’une salle de réunion à la porte entrouverte :

- Ça sent le traquenard à plein nez ! organiser une rencontre pour décider du partage de la ville, non mais ils se prennent pour qui ? Il y a un an, on ne connaissait même pas leurs noms !

- On ne peut pas ignorer un affront pareil !

- Du calme, trancha la voix posée de Kenjiro. Ils ne vont pas s’en tirer comme ça. Traquenard ou pas, ce ne sont que des salles gosses. Une bonne fessée, et on n'en parle plus. Ryushi, tu prends cinq shatei avec toi ce soir et tu règles l’affaire. Pas de blessés, pas d’éclats…contente-toi de les impressionner. On connaît bien le coin, déploie quelques gars à des endroits stratégiques et on évitera toute mauvaise surprise s’ils sont assez stupides pour tenter une embuscade.

Shizuru retourna dans son bureau avec le sentiment d’avoir enfin une piste.

-----------------------------------------------

Il était minuit passé lorsque Ryushi, flanqué d’une demi-douzaine de yakuza en costume, quitta le siège du Fujino-kai. Shizuru l’attendait depuis une bonne heure, confortablement installée sur la banquette arrière d’un taxi qu’elle avait réquisitionnée pour l’occasion. Le conducteur s’était montré étonnamment conciliant quand elle avait rajouté un généreux pourboire au tarif qu’il annonçait. Shizuru se réjouissait d’avance en imaginant la tête de l’inspecteur Nagoshi quand il recevrait la note.

- Ce sont eux, suivez-les !

- C’est pas un peu louche cette histoire ? s’inquiéta le conducteur en démarrant.

- Si, justement ! vous voyez le grand costaud en tête du groupe ? Il sort avec ma sœur…elle veut que je le surveille un peu, elle le trouve un peu trop absent, ces derniers temps ! il lui a dit qu’il avait une importante réunion qui finirait tard ce soir, mais je suis sûre que c’est encore un prétexte pour jouer au pachinko toute la nuit avec ses copains !

L’homme posa sur elle un regard effaré et Shizuru se fendit du sourire le plus fantasque qu’elle puisse esquisser. Il garda le silence alors qu’ils suivaient la Mercedes noire de Ryushi, probablement peu désireux d’en savoir davantage sur cette famille de fous.

La filature les conduisit dans un quartier un peu à l’écart du centre, complètement désert à cette heure. La Mercedes ralentit en arrivant au chantier d’une tour en construction et se gara sur un bout de parking.

- Continuez un peu et tournez à gauche, demanda Shizuru. Voilà. Je descends ici, merci pour la course !

L’homme prit l’argent qu’elle lui tendait, ouvrit la bouche pour dire quelque chose avant de hausser les épaules et démarrer sans demander son reste.

-----------------------------------------------
Ryushi lançait autour de lui des regards suspicieux. Les shatei s’étaient dispersés pour sécuriser les lieux, le laissant seul en compagnie de Kohei au pied de la structure métallique d’une tour en construction.

- Vingt minutes qu’on attend. Soit ils se foutent de nous, soient ils se sont dégonflés.

- chut, écoute…on dirait qu’il y a quelqu’un…

On aurait dit un léger cliquetis métallique. Ryushi tendit l’oreille pour en déterminer l’origine, avec la désagréable impression d’être observé. Quelque chose venait de bouger dans l’ombre, il en aurait mis sa tête à couper. Sans même en avoir conscience, sa main avait disparu dans les plis de sa veste et s’était refermée sur la crosse de son revolver. Il y eut un souffle à ses côtés, et le bruit étouffé d’une cavalcade sur le sol en terre battue. Une masse d’air se déplaça derrière lui, trop imposante pour être celle d’un homme. Beaucoup trop imposante.

Il y eut un cri d’alarme et Ryushi eut à peine le temps de tourner la tête pour apercevoir du coin de l’œil une gueule démesurée ouverte sur une rangée de crocs. Un poids énorme s’abattit dans son dos comme un coup de massue. Ryushi roula sur le sol, le souffle coupé. Des années de combat l’obligèrent à garder les yeux ouverts alors que sa vision dansait. Il aperçut Kohei qui gisait à terre, inconscient. Un grondement irréel le pétrifia sur place, couché dans la poussière, et Ryushi sentit une terreur qu’il n’avait pas ressentie depuis des années s’insinuer dans ses veines. Le monstre était devant lui. Une masse de griffes et de crocs, au pelage sombre, plus grosse qu’un cheval. La créature agitait furieusement une gueule grande ouverte, béante comme une plaie, qui aurait pu le couper en deux d’un claquement de mâchoire.

Il aurait dû mourir, réalisa-t-il. Sans même avoir le temps d’esquisser un geste. Le monstre les avait simplement percutés, sans les mettre en pièces. Et alors que le vieux Yakuza se redressait avec lenteur, les yeux écarquillés, il aperçut sur le dos de la créature ce qui lui avait sauvé la vie.

Shizuru tira de toutes ses forces sur le câble en acier et l’Orphan rua comme un taureau furieux. Elle tint bon, les jambes serrées autour de ses flancs comme si elle domptait un mustang. Un grognement rauque s’éleva dans l’air alors que la créature suffoquait, étranglé par le filin passé autour de sa gorge. L’Orphan s’arc-bouta. Ses pattes battaient l’air avec une rage aveugle. Le câble lui déchira les paumes, mais Shizuru ne broncha pas. Fou de douleur, le monstre bondit en avant et se jeta de tout son poids contre un mur. Les briques explosèrent en une pluie de débris. Leste comme un chat, Shizuru se réceptionna quelques mètres plus loin. Un battement de cœur plus tard et elle serait morte écrasée. En un éclair, elle prit conscience de la forme inconsciente de Kohei à deux pas d’elle, de la silhouette immobile de Ryushi et de son arme jetée à terre. Elle vit l’Orphan se redresser, ombre gigantesque perdue au milieu d’un nuage de poussière. La créature s’élança. Shizuru plongea en avant. Ses doigts effleurèrent le métal du revolver et elle se redressa de toute sa hauteur.

Avec un sang-froid implacable, Shizuru pressa la détente et la balle se logea au fond de la gueule grande ouverte, une fraction de seconde avant que les mâchoires d’acier ne lui emportent un bras.
L’Orphan bascula en arrière et le silence se fit.

- Bonsoir, Ryushi-san, fit Shizuru avec un grand sourire.

--------------------------------------------------
- Nagoshi-san, il va me falloir quelques explications.

- Fujino, ravie d’avoir de vos nouvelles, je me demandais si vous étiez toujours en vie.

Shizuru pinça les lèvres et dut faire appel à toute sa maîtrise pour se retenir d’insulter son interlocuteur avant de balancer son téléphone par la fenêtre.

- A l’occasion, vous regarderez si vous n’avez pas dans vos fiches un certain « Jinta- le-dingue », un illuminé qui se promène avec un katana. Un lieutenant des Gurentai, visiblement. Il a passé un shatei du Fujino-kai à tabac, avant de lui trancher la main en transmettant ses amitiés à l’Oyabun.

- Charmant. Je vais voir ce que j’ai à ce sujet.

Ils avaient retrouvé le malheureux dans un sale état, à l’autre bout du chantier.

- Si vous êtes en panne d’inspiration, je vous conseille d’aller jeter un coup d’œil sur le parcourt économique d’une société connue sous le nom de « Searrs ». Vous connaissez, peut-être ? Oh, mais je suis bête, bien sûr que vous connaissez…

Shizuru était dans un tel état de rage que, pour une fois, elle ne tenta même pas de réfréner son cynisme. Silence à l’autre bout du fil.

- Vous comptiez attendre combien de temps avant de m’annoncer que la Searrs avait coulé, et que vos gentils supérieurs avaient laissé une bande de voyous mettre la main dessus pour une bouchée de pain ?

- Rien ne prouve que…

- La prochaine fois, c’est promis, j’essaierai de ne pas achever l’Orphan pour que vous puissiez le prendre sur le fait, en train de se balader dans les rues Kyoto, rétorqua froidement Shizuru.

Nagoshi ne répondit rien. La jeune femme se força à expirer calmement, comme si cela aurait suffit à expulser la colère qui l’habitait. L’année dernière, lui et ses supérieurs avaient laissé les Himes s’entredéchirer, parfaitement conscients des drames qui se nouaient pendant le Festival. Et ce soir, elle découvrait que les Gurentai avait fait main basse sur la Searrs, dans l’indifférence générale. C’en était trop.

- La société est basée aux États-Unis. Notre champ d’action était limité.

- J’ai un scoop, pour vous : la prochaine fois que ça se produit, demandez conseil aux Yakuza. J’ai le sentiment que ce détail ne leur a pas posé trop de problèmes. Qu’est-ce que vous attendez exactement de moi, Nagoshi ?

Plus question de croire qu’elle était simplement un pion à la solde des forces de police, dans cette affaire. Il y avait quelque chose d’autre derrière toute cette histoire, ça ne faisait aucun doute.

- Faite votre boulot, et tenez-nous au courant de ce qu’il se passe. Quand nous aurons assez d’informations, et que les Gurentai se seront mis toute la pègre à dos, nous pourrons agir facilement et mettre fin à cette histoire proprement. Vous avez d’autres questions ? À ce sujet, je…

Shizuru raccrocha sans autre forme de procès.
Elle avait accepté de jouer le jeu, prise en étau entre le poids que faisaient peser ses crimes passés sur sa conscience et l’odieuse menace d’une peine de mort, mais Nagoshi avait truqué les cartes.
D’un seul coup, sa fureur s’envola et la situation lui apparut avec une clarté limpide, alors que son esprit se concentrait sur les issues possibles avec une rigueur détachée. Soit, elle tiendrait son rôle de marionnette et se plierait aux exigences de l’inspecteur. En explorant quelques pistes, Shizuru était prête à parier qu’elle trouverait de quoi faire pencher la balance en sa faveur et, ce jour-là, Nagoshi regretterait d’avoir fait appel à elle.

_________________
La culture anglaise comme vous ne l’avez jamais vue.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé Envoyer un e-mail Visiter le site web de l'utilisateur MSN Messenger
Briseglace
Otome Corail


Inscrit le: 21 Mar 2009
Messages: 164
Localisation: Sur le toit.

MessagePosté le: Jeu Avr 30, 2009 4:39 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Hello hello Very Happy

Alors, que dire de ce chapitre, hum hum . Rolling Eyes

Pour être honnête, j'ai trouvé le chapitre un peu terrifiant. L'immersion dans le monde des yakuza est assez « brutale et brutalement décrite », je dirai.
Le rythme du chapitre est vraiment bien fichu, pour le coup. On commence par de la violence, on a ensuite le droit à un calme religieux mais bien lourd, histoire de mettre un peu la pression, et on finit par à la fois de l'action et l'épaississement de l'intrigue. Ça c'était le côté un peu technique parce que ça m'a vraiment frappé.

Pour en revenir à l'histoire en elle-même, ce chapitre m'a fait me poser beaucoup de questions.

Je suis en train de faire des tas d'hypothèses sur la façon dont tu vas réunir les Himes, parce que pour l'instant à part le lien « Orphans », il n'y a rien qui pourrait les faire se retrouver. Ça m'embête ^^, j'ai plus qu'à être patiente mais j'avoue, j'ai hate de voir comment ça va se passer Wink .

En fait une question me trotte dans la tête depuis un petit moment : Les Orphans réapparaissent, mais est-ce que les Himes vont récupérer leurs éléments, du coup? J'avoue que pour le moment je les vois très mal les combattre avec seulement des outils de jardinage ou des armes à feu ordinaires...

Bref, ce chapitre me rend curieuse, comme tu peux le voir. J'aime beaucoup les trucs denses comme ça, j'espère vraiment que tu vas trouver du temps pour nous offrir la suite assez rapidement, pour éviter que ça ne sente trop le sapin la prochaine fois, comme tu le dis si bien Cool

Ah oui, juste un truc : on retrouve Alyssa dans le prochain Question
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Arishia
Otome Corail


Inscrit le: 10 Déc 2008
Messages: 149
Localisation: Montpellier

MessagePosté le: Ven Mai 01, 2009 1:59 pm    Sujet du message: Répondre en citant

J'adore comment tu as plongé Shizuru dans le monde des Yakusa. Et comment l'histoire avec Sears les orphans et les gurentai me mais l'eau à la bouche! Vivement la suite. C'est vraiment super!

_________________
Si tu choisis de combattre...tu devras mettre en jeu la chose la plus importante à tes yeux...
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Miyaki
Trias


Inscrit le: 08 Fév 2006
Messages: 691

MessagePosté le: Sam Mai 02, 2009 11:42 am    Sujet du message: Répondre en citant

Merci les filles, ça fait plaisir ^^
Le prochain chapitre est déjà tapé...dans ma tête, du moins, reste plus qu'à transposer sur word Laughing
Je ne peux malheureusement rien promettre pour ce mois-ci, je risque d'avoir un peu de mal pour approcher un pc...Embarassed

Mine de rien, ça fait plaisir de voir que l'histoire n'est pas encore trop prévisible ^^...pour tes questions, Briseglace, les réponses arriveront avec le prochain chapitre et oui, on retrouvera Alyssa et Natsuki. Wink

_________________
La culture anglaise comme vous ne l’avez jamais vue.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé Envoyer un e-mail Visiter le site web de l'utilisateur MSN Messenger
Titange
Prophétesse kitch du Shoujo-Aï


Inscrit le: 29 Sep 2008
Messages: 526

MessagePosté le: Sam Mai 09, 2009 2:59 am    Sujet du message: Répondre en citant

Je te boude.. non seulement tu me préviens pas qu'une fic bien est arrivée sur le forum (j'ai nommé La Chimère), mais en plus tu me préviens même pas que tu postes la suite de la tienne -__-

Mais où va le monde...

Bon ben puisque le prochain chapitre est tapé dans ta tête, préviens moi quand il le sera sur papier XD (parce que oui, même si je boude, j'ai aimé, forcément, et je vois déjà Natsuki avec une pelle coincée sur le guidon de sa moto, sillonner les rues XD)

_________________
Et vous, vous dites chocolatine ou pain au chocolat?
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Miyaki
Trias


Inscrit le: 08 Fév 2006
Messages: 691

MessagePosté le: Jeu Juil 09, 2009 6:18 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Bon, il semblerait que ma gestion de planning ne s'arrange pas. Encore une fois, le temps m'a un peu manqué pour tenir mes délais...toutes mes excuses. Ce chapitre n'a pas eu droit à une beta-lecture et même si j'ai tâché d'être vigilante, je fais appelle à votre indulgence pour les éventuelles fautes/répétitions qui m'auraient échappé ! Certains passages ne sont pas aussi "nets" que je l'aurai souhaité mais je n'ai pas envie de repousser encore ce chapitre...

Merci pour les commentaires et autres reviews, on ne le dit jamais assez mais ça fait toujours plaisir ^^
A la prochaine, si possible avant le mois de septembre XD

--------------------------------------------------------------------------------------------------


Toutes les anciennes Himes présentent à l’Académie s’étaient rassemblées dans une salle de classe à Fuuka, en un conseil de guerre rassemblé en urgence par Midori. Mai lança des regards inquiets autour d’elle, notant les sourcils froncés et l’expression tendue affichée par ses amies. L’ambiance était grave. Les regards se fuyaient et un silence lourd, chargé d’angoisse, pesait sur leur petite assemblée.

Les drames du Festival hantaient tous les esprits.

Depuis que Natsuki lui avait appris son combat avec l’Orphan, Mai se revoyait sans cesse devant la forme monumentale de Kagutsuchi, entourée de flammes et le visage déformé par la haine. Takumi était mort et elle s’apprêtait à infliger le même sort à Mikoto.

Tout plutôt que replonger dans ce cauchemar, songea-t-elle pour la dixième fois de la journée en retenant un frisson.

Natsuki avait pris place derrière le bureau des professeurs et exposait de nouveau les circonstances de son combat, pour que chacun puisse entendre sa version de première main.

- Je sais à quoi vous pensez, et je crois pouvoir vous rassurer, à ce sujet, déclara-t-elle après avoir fini son exposé. Je ne crois pas que cet Orphan soit le signe d’une nouvelle guerre des Himes.

L’espoir fit relever les visages et Natsuki enchaîna :

- Pas d’étoile rouge dans le ciel, nous n’avons ni nos éléments, ni nos childs. En ce qui me concerne, ma marque de Hime n’est pas réapparue.

- Peut-être…peut-être qu’une autre guerre a débuté, mais que nous n’en sommes pas les actrices principales, cette fois-ci, suggéra Nao avec toute la réserve quelqu’un qui s’attend au pire.

- J’y ai pensé, et c’est vrai que ça pourrait être une possibilité. Mais je n’y crois pas.

Natsuki coula un regard vers Alyssa qui l’autorisa à poursuivre d’un léger hochement de tête.

- Alyssa a réussi à retenir l’Orphan. Pas assez pour le faire fuir, mais suffisamment pour le maîtriser. Elle a pu le contrôler, dans une certaine mesure. C’est quelque chose qu’elle ne pouvait pas faire lorsque c’était Nagi qui invoquait ces créatures.

Les yeux de Nao s’écarquillèrent lorsqu’elle comprit où Natsuki voulait en venir.

- Ce qui veut dire…

- La Searrs ! acheva Mai.

- Probablement. Et avec ce qui s’est produit avant, ça confirmerait que la société a repris du service, ajouta Natsuki en sous-entendant la destruction de Miyu.

Midori se fendit d’un sourire batailleur.

- C’est une excellente nouvelle ! Une occasion de flanquer une bonne raclée à la Searrs ? je n’en demandais pas tant !

Le soulagement se peignit sur tous les visages et la tension dans la salle retomba d’un cran. Midori avait raison, songea Natsuki. À côté du spectre du Festival, affronter la société faisait figure de promenade de santé.

- Il va falloir faire des recherches, que l’on sache d’où vient cet Orphan, ce que fabrique la Searrs…et s’organiser en fonction de ce que l’on trouvera.

Natsuki songea avec agacement que c’était quelque chose qui aurait dû être fait depuis longtemps : à moins d’avoir été préprogrammé, le système d’auto-destruction dans le corps de Miyu ne s’était pas déclenché seul. Et cela faisait plusieurs semaines que l’accident s’était produit ! Veiller au bien-être d’Alyssa avait relégué toute autre affaire au second plan et Natsuki s’en voulait de ne pas avoir accordé plus d’importance à la menace que pouvait représenter la Searrs. Elle avait été tellement occupée que les jours avaient filé sans qu’elle puisse en prendre conscience. Quelle idiote, depuis quand était-elle devenue si imprudente ?

- J’ai peut-être quelques pistes à explorer de ce côté. Ça fait longtemps que j’essaye de voir ce que trafique la société, déclara Midori.

Évidemment. La jeune femme n’était pas restée les bras croisés depuis l’accident et avait mobilisé son propre réseau de recherche. Elle leva le menton et le regard bienveillant qu’elle adressa à Natsuki sous-entendait clairement qu’elle ne lui tenait pas rigueur d’avoir consacré toute son attention à sa cadette.

- On ne devrait pas mettre la police dans le coup ? intervint Shiho. Après tout, nous n’avons plus rien pour nous défendre !

- ça risque d’être difficile d’expliquer toute l’histoire aux autorités… et je ne sais pas si ça serait une bonne chose qu’elles apprennent ce qui a pu se passer, fit remarquer Natsuki.

Ses pensées s’attardèrent sur une jeune femme aux yeux aussi écarlate que le sang qui mouchetait son yukata, alors qu’elle quittait les ruines de ce qui avait été le quartier général du First District. Natsuki frissonna.

- Voyons quelles informations nous pouvons trouver, avant d’en arriver là. Si la situation devient trop dangereuse, on n’aura pas le choix.

- Ou si un orphan est surpris en train de se balader en ville aux heures de pointes, fit remarquer Nao, l’air de rien.

La plaisanterie arracha quelques sourires, mais peu d’entre elles avaient assez de cynisme pour apprécier l’ironie. Natsuki avait dissipé leur plus grande crainte, pourtant personne n’était dupe : elles étaient probablement toutes en danger. La jeune fille songea, en considérant l’expression inquiète d’Alyssa, qu’elle ferait tout pour que Miyu reste l’unique victime de cette sale affaire.

------------------------------------------------------------------------


Mai et Mikoto étaient venues passer la soirée chez Natsuki, après la réunion. La solitaire rangeait les dernières assiettes pendant que Mai préparait le thé en fredonnant.

- Poussez-vous, les filles et ne me bousculez pas, c’est chaud ! Prévint-elle en posant sur la table basse une théière fumante.

Les deux plus jeunes du groupe lui laissèrent un peu d’espace en lui accordant à peine un regard : Mikoto s’était emparée d’une tasse, d’un vase ainsi que de la télécommande de la télévision et jonglait avec le tout d’une seule main en tirant la langue avec une mimique appliquée, devant Alyssa qui riait aux éclats.

Mai servit le thé avec un petit sourire, ravie de voir que les deux plus jeunes s’entendaient si bien. Et pourtant, quel plus beau contraste que l’exubérance de sa protégée face à la timidité d’Alyssa ? Natsuki s’assit à même le sol, face à elle, avec le profond soupir de ceux qui viennent d’achever une journée bien remplie et prit sa tasse d’un air absent.

- Tu n’as pas dit grand-chose ce soir, il y a quelque chose qui te tracasse ? s’enquit Mai.

- Désolée…j’ai la tête ailleurs depuis la réunion, expliqua Natsuki.

Elle hésita.

- Viens, Mikoto, il faut que je te montre quelque chose, tu vas adorer ! s’écria Alyssa en se levant d’un bond.

Alors que sa cadette entrainait Mikoto vers sa chambre, Natsuki adressa à sa sœur le remerciement muet d’avoir inventé un prétexte pour la laisser discuter avec Mai à cœur ouvert.

-Mai, je crois qu’il me reste quelques informateurs qui pourraient m’en dire plus sur la Searrs. Ça va me prendre du temps pour les contacter et je devrais probablement aller les voir en personne aux quatre coins de la ville. Est-ce que tu pourrais garder un œil sur Alyssa, quand je devrais m’absenter ?

- Bien sûr ! ce sera avec plaisir. En plus, Mikoto sera ravie, ces deux-là s’entendent bien.

- Merci. Je n’ai aucune preuve, mais je ne pense pas que l’Orphan ait attaqué Alyssa par hasard. Ne lui en parle pas, je ne voudrais pas l’inquiéter davantage. Je préfèrerais qu’elle ne reste pas seule.

- Ne t’inquiète pas, je la garderai à l’œil…en permanence, ajouta-t-elle en rougissant légèrement. La rouquine s’en voulait encore d’avoir laissé les deux plus jeunes seules la nuit où Alyssa s’était faite attaquer.

- Si tu prévois une escapade, prévient quelqu’un pour prendre le relais, la taquina Natsuki.

Mai fit la grimace et Natsuki eut un sourire indulgent.

- Ça m’ennuie de ne pas pouvoir faire grand-chose pour la Searrs, en ce moment, avoua la rouquine. Est-ce que je pourrais te remplacer, pour aller voir tes informateurs à ta place, de temps en temps ?

- Merci Mai, mais ces gars-là ne sont pas très bavards si on ne les connait pas un minimum. Autant que ça soit moi qui m’y colle, on gagnera du temps. Midori a déjà trouvé quelques pistes, on devrait arriver à des résultats rapides.

- Je vois, fit Mai, un peu déçue de se sentir inutile.

Natsuki porta sa tasse à ses lèvres Peut-être trouverait-elle-même le moyen de remonter jusqu’à John Smith, en espérant que l’homme soit encore en vie.

- ça me fait penser...qu'a dit Shizuru, à ce sujet ?

Le visage de Natsuki se ferma instantanément.

- Pour être honnête...Shizuru ne sait rien, avoua-t-elle simplement.

- Comment ? Mais enfin ! Je sais bien que tu ne veux pas l'appeler, mais... Si ça se trouve, elle est en danger !

Elle la regardait comme une gamine inconsciente et Natsuki dut faire un effort pour ne pas se renfrogner davantage.

- Mai, du calme, du calme !

- Quoi ?

- Écoute un peu...Shizuru n'a pas besoin de savoir tout ça. Vraiment pas. Elle a quitté Fuuka pour prendre un nouveau départ. Elle voulait trancher pour de bon avec ce qu'il s'était passé ici. Le Festival, ce qu'elle a fait au First District. Moi, ajouta-t-elle dans un souffle en baissant les yeux.

- Natsuki...

- Ce qui a pu arriver pendant la guerre des Hime l'a blessé terriblement, murmura l'autre comme si Mai n'avait rien dit. C'est peut-être elle qui a le plus souffert dans toute cette histoire. C'est pour ça que je ne l'ai pas encore appelée. Elle ne sait même pas que Miyu est morte. Si elle apprend que la Searrs a repris du service...

Elle secoua la tête, comme si cela aurait suffi à écarter cette possibilité.

- Je ne veux pas qu'elle soit de nouveau mêlée à tout ça, conclut-elle tout bas.

Mai la regarda en silence. Ainsi c'était donc ça. L'affection et le regret teintaient ses mots d'une sincérité touchante et Mai ne put retenir un sourire désolé. C'était des arguments que Natsuki avait soigneusement dissimulés lors de leur discussion, le lendemain de la mort de Miyu.

- Tu aurais pu le dire tout de suite, grosse maline... au lieu de me raconter l’autre jour que vous vous étiez brouillées, la taquina-t-elle d'une voix douce.

- Ce n'était même pas un mensonge, tu sais. On ne s’est pas appelées une seule fois depuis. Je te l'ai dit : Shizuru voulait couper tous ses liens en partant...et de mon côté je ne vois pas de quel droit j'interviendrais de nouveau dans sa vie.

Elle avait respecté la décision de son amie, lorsqu'elle lui avait annoncé qu'elle retournait à Kyoto. Jusqu'au bout de ce quai de gare, où elle l'avait aidé à porter ses bagages, Natsuki avait taché de conserver une neutralité impeccable. C'était la meilleure chose à faire.

- Ne lui dit rien, s’il te plait. Ça vaut mieux. Si les choses dérapent et deviennent incontrôlables, alors oui, peut-être que je lui apprendrai ce qu’il se passe.

- Tu sais qu’à ce moment-là, elle t’en voudra terriblement de tout lui avoir caché.

Natsuki esquissa un sourire triste. Elle en était parfaitement consciente, mais c’était un risque qu’elle s’était résolue à prendre.

- Raison de plus pour ne pas laisser les choses déraper ! fit-elle avec un clin d’œil, d’un ton enjoué qui sonnait faux.

- Tu es…irrécupérable.

Devant elle, Natsuki gardait les yeux rivés sur la table, les sourcils légèrement froncés en une expression incertaine, comme si elle hésitait à se confier.

- Tu m’as dit un jour que je ne t’avais jamais vraiment parlé de Shizuru. Tu sais, je l’ai connu à une époque qui n’était pas facile pour moi. Même maintenant, j’ai toujours du mal à aborder le sujet. Pour ne pas remuer les choses, tu vois le genre ? En fait… J’aimerais qu’il y ait une façon un peu moins pathétique de le dire, mais…est-ce que je t’ai dit que c’était ma seule amie avant le début du Festival ?

Sa voix était étrangement nouée. Les minutes qui suivirent, Mai dut se retenir pour ne pas simplement se pencher en avant et lui serrer la main en un simple geste de soutien. Rarement elle avait vu la solitaire aussi émue. Natsuki évoqua quelques souvenirs, certains plus sombres que d’autres. La plupart étaient teintés de tristesse.

La solitaire n’avait pas passé des jours heureux après la mort de sa mère. Cinq ans après le drame, Natsuki s’était retrouvée terriblement seule alors qu’elle prenait la mesure du temps écoulé et de l’absurdité de sa vendetta. Prostrée dans son appartement, elle était plus vulnérable que jamais ce soir-là.
Shizuru, nouvelle recrue du conseil des étudiants, avait relevé son nom dans le registre des absences. Elles étaient de simples connaissances à l’époque, mais elle avait tout de même décidé de venir voir si tout allait bien. Même maintenant, Natsuki ne savait plus très bien pourquoi elle avait ouvert la porte pour la laisser entrer. Elle avait fondu en larme à l’instant ou la fille de Kyoto lui avait demandé des nouvelles. Pour la première fois, elle avait parlé de l’accident de sa mère à quelqu’un d’autre. Shizuru était resté chez elle ce soir-là, pour simplement offrir sa présence. Le lendemain, Natsuki l’avait conduite à l’endroit où s’était produit le drame. Elles n’avaient jamais reparlé de tout ça. Vue de loin, leur relation paraissait inchangée. Pour Natsuki, ce fut l’instant où Shizuru devint un soutien aussi discret que sincère, et une véritable amie.

Quand la solitaire se tut, Mai lui laissa quelque temps pour reprendre ses esprits. Dans la cuisine, un robinet mal refermé gouttait, les plocs-plocs réguliers rythmant le silence.
Lorsque Natsuki baissait sa garde, ses émotions étaient faciles à déchiffrer pour peu que l’on prête attention à ses gestes et son expression, mais elle ne l’avait encore jamais vu ainsi. Par moment, au plus sombre de son récit, la solitaire avait paru au bord des larmes. Mai avait senti son cœur se serrer, tant par la découverte du passé de son amie que de la voir si exposée.

- ça n’a pas dû être facile.

- C’est du passé, relativisa Natsuki. Je préfère ne plus y penser. Quant à Shizuru, il était temps que je la laisse aller de l’avant.

Un tremblement secoua le sol avec un bruit sourd et des éclats de rire retentirent de la chambre d’Alyssa.

- Elles sont infernales, mais qu’est-ce qu’elles fabriquent encore ?

Alyssa apparut dans l’encadrement de la porte en se tenant les côtés, incapable de retenir son hilarité. Derrière elle, Mikoto se massait le front et Natsuki préféra ne pas imaginer quelle acrobatie la jeune fille avait encore tentée pour se retrouver avec une bosse.

- Franchement…

- Je crois qu’il est temps qu’on y aille, avant qu’elles ne cassent tout chez toi. Allez Mikoto, on rentre !

Natsuki les raccompagna jusqu’à la porte d’entrée.

- Préviens-moi, quand tu auras besoin de moi, lui rappela Mai.

- Pas de problème.

La rouquine hésita un instant et, incapable de se retenir devant l’air encore bouleversé de son amie, la serra brièvement dans ses bras.

- Appelle Shizuru. Juste pour discuter, reprendre contact, lui dit-elle.

La solitaire se tortilla, mal à l’aise.

- Mai je…

- Juste quelques minutes. Ça fait quoi ? Trois mois depuis que vous vous êtes parlé pour la dernière fois ? Appelle là ! Avec tout ce que tu m’as raconté, ça se voit que tu n’es pas tranquille.

- J’y penserais, murmura finalement Natsuki en s’écartant.

- Bien. A demain alors ! Et n’oublie pas, vous étiez chacune l’être le plus cher de l’autre.


-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------


- Allo ?

- Shizuru ? C’est moi…Natsuki, précisa-t-elle alors que le silence s’étirait à l’autre bout du fil.

- Je t’ai reconnu, comment vas-tu ?

- Bien, bien. Je…j’ai été pas mal occupée ces derniers temps, tous les profs de Fuuka me sont tombés dessus dès la rentrée ! Et toi ? Comment ça se passe, à Kyoto ?

- ça va. J’ai beaucoup de travail, mais je m’organise avec des amis et ensemble on s’en sort bien.

- Le campus est sympa ?

- Oui.

- Tant mieux. Euh…Désolée de ne pas avoir appelé plus tôt, je…

- Ce n’est pas grave, je sais que tu es souvent occupée.

- En fait, j’ai essayé de me rapprocher d’Alyssa ces derniers temps. Une idée de Midori et de Miyu, pour rassembler la fratrie.

- Ah oui ?

- Oui…c’était un peu maladroit au départ, mais on commence à bien s’entendre.

Pendant les quelques minutes qui suivirent, Natsuki lui décrivit les liens qui commençaient à se tisser entre elle et sa sœur. Elle lui raconta des anecdotes qu’elle nuança pour passer sous silence la mort de Miyu. Elle parla des horaires de bus, des frasques de sa cadette avec Mikoto, des soirs où elle allait la chercher à l’école, des rattrapages qui l’attendaient.

- On dirait que ça se passe plutôt bien.

- Oui. Alyssa est une gamine super et…

- Natsuki, désolée de t’interrompre, mais j’ai encore beaucoup de travail à finir, ce soir.

- Ah. Bien, pas de problème, je vais te laisser. On se rappelle une autre fois ?

- Bien sûr !

- Bien. Bonne soirée, alors. Bon courage.

- Bonne soirée !

Natsuki se sentait malade rien que d’y repenser. Quand elle s’était décidée à appeler Shizuru, son cœur battait déjà la chamade. Sa nervosité avait atteint des sommets alors que de longues sonneries la condamnaient à patienter. Shizuru avait fini par décrocher. Soulagée, la solitaire avait vite déchanté. Elle n’avait pas reconnu son amie, au téléphone. Natsuki avait posé toutes les questions qui lui venaient en tête sans jamais parvenir à créer une vraie discussion entre elles. Shizuru avait répondu avec une politesse formelle, ni plus ni moins. Désespérée, la solitaire avait multiplié les tentatives alors que la distance que lui opposait Shizuru s’élargissait d’instant en instant. Elle aurait tout aussi bien pu parler à un mur. Son amie avait mis fin à cette torture de la façon la plus détachée et courtoise qui soit. En raccrochant, Natsuki s’était sentie plus insignifiante qu’un insecte et avait eu envie de pleurer.

Alyssa était entrée dans le salon à ce moment-là.

- ça ne va pas ?

- Si. Bof. Une histoire bête. Laisse tomber.

- Rien de grave ?

Alyssa l’avait regardé avec ce froncement de sourcil inquiet et ses grands yeux bleus pleins d’appréhension. Natsuki estima qu’elle ne devait pas avoir l’air convaincant. Elle se détendit et tenta un sourire rassurant.

- Rien de grave.

Trois mois depuis que Miyu avait trouvé la mort. Trois petits mois. Alyssa avait fait preuve d’un courage exemplaire. Natsuki ne flancherait devant elle pour rien au monde, même si elle avait la terrible impression d’avoir perdu Shizuru pour de bon.


-------------------------------------------------------------------------------------------------------

- Tu te souviens de ce que je t’ai dit, hein ? Essaie de ne pas te pencher à l’extérieur du virage et reste bien agrippée.

- Natsuki, ça fait quinze fois que tu me le répètes ! Je vais finir par croire que tu paniques pour un rien, à force !

- Tu es sûre que tu ne veux pas que je fixe un siège à l’arrière ? Je vais le faire, ce sera mieux, pour toi.

- Natsuki !

- Quoi ?

- J’ai dix ans !

- Et alors ? Tu atteins à peine les repose-pieds ! Je n’aurais jamais dû accepter, c’est beaucoup trop dangereux.

Alyssa leva les yeux au ciel.

- Comme si tu étais bien placée pour dire ce genre de chose ! Ce n’est que pour une promenade…j’ai déjà passé toute une après-midi à tourner sur ce parking, accrochée derrière toi, « pour que je m’habitue », cita-t-elle. Je pense que je m’en sortirai bien. Et puis, tu rouleras prudemment. Lâche ce siège, je t’assure que je n’en ai pas besoin ! On le ramènera à la boutique, ce soir.

- Ben voyons…

De mauvaise grâce, Natsuki se démena un instant avec le papier à bulles pour remettre le siège dans son carton. Si on lui avait dit qu’Alyssa, cette gamine timide et réservée, tellement discrète qu’elle aurait pu être transparente, lui tiendrait un jour tête avec l’obstination d’un mulet, elle aurait probablement éclaté de rire.

La petite fille enfila son casque flambant neuf, signifiant que la discussion était close. Natsuki enfourcha sa moto en maugréant un « si Mai apprend ça, elle va me tuer et elle aura raison » lorsque sa sœur se hissa à l’arrière de la selle. La moto démarra dans un grondement sourd et Natsuki prit la route qui menait hors de la ville, à une vitesse bien plus raisonnable que ce qu’elle s’autorisait d’ordinaire.

La falaise plongeait à pic sur quelques dizaines de mètres. En contrebas, les vagues s’écrasaient en un fracas rageur contre les arrêtes de pierre acérées, s’enroulaient en tourbillons d’écume immaculés entre les récifs qui déchiraient la surface d’un bleu presque noir, telle une rangée de crocs. Natsuki avait vu ce spectacle des douzaines de fois, sans jamais arriver à se départir de ce terrible sentiment de vertige qui lui broyait l’estomac dès que son regard se trouvait aspiré dans l’obscurité de l’océan.

- Alors, c’est ici ?

A ses côtés, perchée sur les barreaux du garde-fou pour pouvoir pencher la tête au-dessus de l’abîme, Alyssa affichait une moue désolée et scrutait la surface, comme si elle aurait pu distinguer des restes de carcasses de voiture à travers les motifs compliqués que traçaient les trainées d’écumes.

- Oui. Un sacré vol plané.

- Tu as eu de la chance, observa Alyssa après un instant de silence.

Tout à fait le genre de remarque qu’aurait pu faire Miyu, nota Natsuki en la dévisageant.

- C’était maman, qui conduisait.

- Maman, répéta Alyssa, pensive.

Ma mère, notre mère, le docteur Kuga...Natsuki ignorait de quelle façon Alyssa considérait la femme qui était à l’origine de sa création et de sa vie de cobaye à la Searrs. Maman, avait-elle décidé. C’était suffisamment vague pour que la fillette décide de s’approprier ce nom ou pas.

- Je ne me souviens pas d’elle. Je ne sais même pas si j’étais née au moment de l’accident. On m’a montré quelques photos, il y a des années, et c’est tout. Elle…elle était comment ?

C’était l’être en qui j’avais une confiance aveugle. Celle pour qui je me suis battue, des années après sa mort. Celle qui m’a trahie et m’a vendu comme une bête curieuse. Natsuki garda ces réponses pour elle. Elles n’apporteraient rien à sa sœur, pas maintenant. La petite fille savait probablement déjà tout ça, de toute façon. Autant lui parler de choses que les informateurs de la Searrs avaient probablement jugé trop insignifiantes pour que ce soit noté dans un rapport.

- Physiquement, si on devait nous comparer, on dirait maintenant qu’on se ressemble beaucoup. C’était une bosseuse, je ne la voyais pas si souvent que ça. Voyons... Quand elle était à la maison, elle était toujours en train de bouquiner. Elle courrait s’installer sur le balcon dès qu’il y avait un rayon de soleil, en disant que les néons des labos sans fenêtres la rendaient malade. Quand elle avait du temps libre et que j’étais là, elle m’emmenait au parc pour que je puisse en profiter et jouer avec Duran. C’était mon chien, expliqua-t-elle. Elle écoutait de la musique en permanence. Du jazz, généralement. Par contre, elle ne valait rien dans une cuisine, chantait faux et n’avait aucune notion du temps: une vraie catastrophe : quand c’était elle qui venait me chercher à l’école, elle était toujours en retard.

C’est elle qui m’a fait sortir par la fenêtre de la voiture, alors que l’océan se refermait sur le véhicule comme une tombe. Natsuki n’en dit rien. Pas maintenant, pas tout de suite.

- Et…ton père ? Tu crois qu’on a le même ? demanda timidement Alyssa en pinçant une mèche de cheveux dorés entre ses doigts.

Natsuki considéra yeux bleus et cheveux blonds et haussa les épaules.

- J’en sais rien. Peut-être, peut-être pas.

Qui sait quelles manipulations génétiques avait subies Alyssa à l’aube de sa création ? Natsuki doutait qu’on puisse considérer son apparence physique comme un signe de parenté fiable.

- Le mien avait les cheveux très noirs, c’est vrai…et c’était un grand costaud, fit-elle avec un clin d’œil. Mais ça ne veut probablement rien dire.

- C’est vrai. Vu mon parcourt, j’aurais tout aussi bien pu avoir les cheveux verts. Et tu feras moins la maline le jour où je serais plus grande que toi.

- Hâte de voir ça.

Alyssa tira la langue. Natsuki rit. En contrebas, une nuée de taches blanches se détacha de la paroi. Les mouettes rasèrent la surface, comme si les crêtes déchiquetées des vagues n’existaient pas, et filèrent vers le large avec des cris perçants. Il faisait beau et les deux filles se sentaient en paix.

Le fracas des vagues fut noyé par le rugissement des moteurs. Derrière elles, deux voitures se garèrent avec un crissement de freins. Vitres teintées, peinture noire vernie qui luisait comme de l’obsidienne. Elles bloquaient l’accès à la route déserte, isolant Natsuki et sa sœur au bout de la terrasse de pierre qui s’avançait au-dessus de l’océan.

Cinq hommes en sortir alors que les moteurs tournaient encore. Natsuki se rua devant Alyssa.
Des pistolets surgirent de leurs vestes et se braquèrent sur elles.

- La gamine, aboya l’un d’eux.

Les armes, les voitures et ces hommes en costume noir, si noir. Natsuki sentit sa respiration s’accélérer. Derrière elle, Alyssa se sera contre ses jambes.

- File-nous la gamine !

- Magne-toi !

Un homme allongea le bras et le sol explosa juste devant elle en soulevant un petit nuage de poussière. Elle n’avait pas entendu le coup partir. Un silencieux.

- Non !

Non, non, non. Ses yeux s’étaient écarquillés, sa bouche entrouverte laissait passer un souffle haletant. Natsuki était un loup aux abois.

- La môme ! Viens là, sinon on la bute et on vient te chercher !

Alyssa lui prit la main.

- Natsuki….

Sa voix tremblait un peu.

- Non…

- Natsuki ils…ils vont le faire…

Alyssa était terrifiée.

- Bouge-toi !

La petite main lâcha la sienne.

Natsuki se tendit en avant, pour saisir cette main qui s’éloignait. Des éclats de pierre griffèrent son visage quand l’homme devant elle tira une nouvelle fois. Elle fit un bond. Un loup aux abois. Un des hommes se précipita sur Alyssa et la souleva de terre. La petite fille cria.

- On se casse !

Les pistolets se pointèrent sur elle. Le temps s’étira et elle vit leur forme sombre se transformer en larme d’argent alors qu’ils accrochaient les rayons du soleil comme des miroirs. Natsuki fit volte-face. Les armes cliquetèrent. Elle s’élança. L’air fusa autour d’elle alors que les premières balles la frôlaient. Elle bondit et s’envola. Devant elle, le ciel était bleu, sans nuage, infini. Tout bascula. Ciel et eau se fondirent en un tourbillon d’azur et d’encre. Son souffle se bloqua. Le vent siffla, plaquant ses habits contre son corps alors qu’elle tombait, tombait vers l’océan. Ombres des récifs, vagues rugissantes, guirlandes d’écumes, Natsuki s’écrasa contre les flots.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------


La voiture s’enfonçait dans la mer. Duran hurlait à la mort et elle pleurait, terrifiée. Sur le siège avant, sa mère s’agitait, ses mouvements raides et saccadés. Elle essayait d’ouvrir la fenêtre, luttant contre la poignée. Elle frappa contre la vitre avec un sanglot désespéré et sa main laissa une trainée sombre contre le verre. Natsuki avait mal, partout. Elle ne pouvait plus bouger son bras et chaque respiration allumait un brasier de douleur dans ses poumons.

- Maman ? Maman !

- ça va aller Natsuki…on…on va sortir de là…

- J’ai mal…

Sa voix tremblait tellement.

- Viens, passe à l’avant, vite !

Elle se tordit en arrière pour l’aider à se faufiler au-dessus des sièges. Natsuki hurla de douleur. Elle avait si mal…Les mains de sa mère étaient poisseuses de sang et elle avait une blessure au visage qui saignait abondamment. La fillette pleura de plus belle. Autour d’elles, l’océan était un monstre silencieux, prêt à les broyer et les engloutir.

Sa mère la serra doucement contre elle et sortit quelque chose de son sac. Cachée entre ses bras, Natsuki reconnut les contours d’une arme à feu. Elle tira à bout portant. L’impact et la pression de l’eau firent exploser la vitre. L’eau se rua à l’intérieur, glacée et sombre, avec un grondement furieux. Sa mère la poussa par la fenêtre. Natsuki s’agrippa à elle de sa main valide et essaya de la tirer vers elle, hors du véhicule qui glissait dans les ténèbres.

Elle ne sortit jamais de la voiture. Grièvement blessée, Natsuki perdit connaissance au moment ou Duran s’échappait de la carcasse métallique à son tour.


-----------------------------------------------------------------------------------------------

Elle ouvrit les yeux et fut accueillie par le plafond immaculé d’une chambre d’hôpital. Tout son corps la faisait souffrir et elle grimaça. Un instant elle se crut revenue des années en arrière et cette idée lui donna le vertige.

- Natsuki, ça va ?

- Mai, arrête un peu tes questions débiles ! hey, Natsuki, regarde-nous !

La solitaire vit les cheveux roux de Mai apparaître dans son champ de vision et le visage inquiet de Nao qui lui faisait signe, penchée au-dessus d’elle. Elle essaya de se redresser.

- Doucement, prévint Mai en glissant un oreiller derrière son dos. Tu dois être bien sonnée…

- Elle a surtout un sacré bol d’être en un seul morceau, n’importe qui se serait brisé les os avec un plongeon de cette hauteur ! Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Alyssa, marmonna Natsuki en essayant de remettre de l’ordre dans ses idées. Des types l’ont emmené…les flics…

- Ils sont au courant, on les a prévenus dès qu’on a vu que tu étais seule.

Mai, Nao et Midori étaient en voiture le long de la côte lorsqu’elles avaient aperçu la moto de Natsuki abandonnée au bord de la route. Il y avait deux casques posés à terre. En contrebas, Nao avait repéré une forme sombre jetée contre un récif et avait dû s’y prendre à deux fois avant de reconnaître Natsuki, qui gisait inanimée.
Elle avait eu une chance incroyable. Après l’arrivée des secours, Midori était restée sur place avec une équipe de recherche alors qu’une ambulance emmenait Natsuki à l’hôpital. Morte d’inquiétude et imaginant le pire, la jeune femme refusait de partir tant que l’on n’avait pas retrouvé Alyssa.

- Je vais l’appeler, et prévenir les flics que c’est un enlèvement. Au moins, Alyssa est en vie.

- Tu peux raconter ce qu’il s’est passé ? demanda Mai, alors que Nao quittait la chambre.

Natsuki s’exécuta, mortifiée. Elle pensait qu’Alyssa serait en sécurité avec elle. Une belle illusion, songea-t-elle avec amertume. Ces types l’avaient enlevé juste sous son nez, en plein jour, et elle n’avait rien pu faire. Shiho avait eu raison, elle aurait du avertir la police dès qu’elles avaient eu des soupçons sur la Searrs ! Alyssa, l’accident, sa mère…tout se mélangea dans sa tête et avant qu’elle ne le réalise, elle pleurait comme une enfant, la tête dans les mains.

- Hé là…du calme, la consola Mai en passant un bras autour de ses épaules. On va la retrouver, on sait qui est derrière tout ça. Elle est en vie.

- Peut-être que si elle avait sauté avec moi…

- Elle n’aurait pas survécu et tu le sais… Alyssa n’était pas une vraie HiME, elle n’a pas le cuir aussi solide que toi ! Tu as fait ce que tu pouvais…Tu es en vie, elle aussi, et je te garantie qu’on va retrouver ces types…

La porte s’ouvrit sans prévenir et Midori fit son entrée dans la chambre. Son visage durcit par la colère prit une expression soulagée lorsqu’elle vit Natsuki.

- ça va aller, ne t’inquiète pas, fit-elle en lui ébouriffant gentiment les cheveux. Au moins, tu n’es pas blessée. Et j’ai une bonne nouvelle pour toi.

- Raconte.

- J’ai localisé ce qui ressemble au nouveau siège social de la Searrs, leur filiale japonaise, du moins. La société a changé de nom entre-temps, mais pas de doute, ce sont eux.

Natsuki sentit l’espoir soulever sa poitrine.

- Où sont-ils ?

Midori lui tendit un petit dossier fraichement relié sur lequel était inscrit en première page « Asward S.A»

- À Kyoto.

_________________
La culture anglaise comme vous ne l’avez jamais vue.


Dernière édition par Miyaki le Ven Juil 10, 2009 10:02 am; édité 1 fois
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé Envoyer un e-mail Visiter le site web de l'utilisateur MSN Messenger
Briseglace
Otome Corail


Inscrit le: 21 Mar 2009
Messages: 164
Localisation: Sur le toit.

MessagePosté le: Ven Juil 10, 2009 9:50 am    Sujet du message: Répondre en citant

Youpi, un nouveau chapitre Very Happy ! C'est pas que j'attendais cette suite avec impatience, hein...

Pour l'instant je dois faire le ménage (comme c'est intéressant...) et après je le lirai Cool . Je préfère quand rien d'autre ne vient parasiter l'atmosphère (genre, l'aspirateur qui me nargue là maintenat au milieu du salon).
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Keisha
P'tite Patat'


Inscrit le: 16 Mar 2006
Messages: 2349

MessagePosté le: Ven Juil 10, 2009 11:05 am    Sujet du message: Répondre en citant

Tiens, je viens de me souvenir de l'autre raison qui m'a ramené sur le forum (oui je ne suis pas revenue que pour poster pour des prunes sur Casshern XD )...
Je rattraperai mes 2,3 chapitres dans le WE, si il pleut j'aurai du temps Very Happy

Ah, et pour la béta-readeuse, je proposerais bien mes services mais je risquerai de te rajouter des fautes, ce serait dommage :p (drôle mais dommage lol )

_________________
Membre de la ALES
Association de Lutte contre les Emoticones Smileys et autre "lol" en tout genre!!!!
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
fandanHIME!
Maistar Otome


Inscrit le: 25 Avr 2007
Messages: 1000
Localisation: 95

MessagePosté le: Ven Juil 10, 2009 2:47 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
je ne suis pas revenue que pour poster pour des prunes sur Casshern XD )...


c'est intéressant ce que tu suggère là ...

Même si un forum doit en principe créér du dialogue, c'est vrai que ça tiens uniquement au bon vouloir des autres intervenants. On peut être déçu parfois mais selon moi on ne poste jamais "pour des prunes" car au minimum on se fait plaisir à soi-même ! Et même si sur le moment personne ne réagit, plus tard, des mois après peut-être un message pourra être lu , interesser, faire réfléchir quelqu'un...

Si on devait se formaliser pour le nombre de fois où on n'a pas eu de réponse immédiate à un message je serais dépressif depuis longtemps !
Apparemment ce n'est pas le cas et pour toi non plus !

PS: n'ayant pas vu Casshern je n'ai rien à en dire.. mais grâce à ton enthousiasme je retiens ce titre pour l'avenir... (si je trouve la source adéquate pour le visionner - il me faut du .avi en ddl !)
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Briseglace
Otome Corail


Inscrit le: 21 Mar 2009
Messages: 164
Localisation: Sur le toit.

MessagePosté le: Ven Juil 10, 2009 4:04 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Man... ce chapitre est triste à mourir Sad .

Mise à part la réunion de la "team" et les éclats (que je trouve ridiculement drôles) de Midori et Nao, tu nous emmènes loin dans les profondeurs là.
Ça m'a fait plaisir de lire que les Himes n'ont pas tout oublié de Shizuru depuis qu'elle est partie, je m'inquiétais de les voir ne jamais en parler depuis quelques chapitres. Et de voir que Natsuki essaye est à la fois rassurant et triste (mais tout est triste dans ce chapitre, mou... j'adore Cool ).

Je ne dirai qu'une seule chose: "Tous à Kyoto, youhou!!" Ça va faire des étincelles! On dirait que l'histoire démarre, dommage que ce soit Alyssa qui en fasse les frais...

Tes personnages sont très attachants, ne les torture pas trop quand même (je suis sans doute mal placée pour dire ça mais bon...), ça fait mal au coeur de les voir ramer comme ça, surtout Natsuki.

Pour finir, eurhm, j'attend la suite... ET (j'allais oublier), si c'est ok, je veux bien te servir de beta-readeuse *smile*, il faudra juste que je pense à aller faire un tour sur msn un peu plus souvent (jusqu'à présent, c'est plutôt de l'ordre du jamais que du parfois)...

EDIT: Oh, et toute cette histoire autour de Saeko Kuga est vraiment superbe (fallait que je le dise), le souvenir de Natsuki est vraiment très bien placé Wink !
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Miyaki
Trias


Inscrit le: 08 Fév 2006
Messages: 691

MessagePosté le: Lun Juil 13, 2009 1:37 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Merci, merci ^^

Briseglace a écrit:
Ça m'a fait plaisir de lire que les Himes n'ont pas tout oublié de Shizuru depuis qu'elle est partie, je m'inquiétais de les voir ne jamais en parler depuis quelques chapitres. Et de voir que Natsuki essaye est à la fois rassurant et triste

ça fait quelques temps que je voulais taper un chapitre mettant en scène Natsuki de façon plus "humaine". J'avais voulu la faire paraitre froide et distante au début de la fic...mais comme le personnage a fondamentalement bon coeur mine de rien, il était temps d'écrire un peu à ce sujet aussi !


Briseglace a écrit:
ET (j'allais oublier), si c'est ok, je veux bien te servir de beta-readeuse *smile*, il faudra juste que je pense à aller faire un tour sur msn un peu plus souvent (jusqu'à présent, c'est plutôt de l'ordre du jamais que du parfois)...

Ah bah écoute, adjugé vendu ! Very Happy
Et tu sais, on peut beta-reader sans passer par msn aussi ^^

_________________
La culture anglaise comme vous ne l’avez jamais vue.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé Envoyer un e-mail Visiter le site web de l'utilisateur MSN Messenger
Briseglace
Otome Corail


Inscrit le: 21 Mar 2009
Messages: 164
Localisation: Sur le toit.

MessagePosté le: Lun Juil 13, 2009 10:58 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
Et tu sais, on peut beta-reader sans passer par msn aussi ^^


Effectivement Cool . N'hésite pas la prochaine fois que t'as besoin d'une correction de chapitre, j'en serai ravie Wink !
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Miyaki
Trias


Inscrit le: 08 Fév 2006
Messages: 691

MessagePosté le: Dim Aoû 02, 2009 6:04 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Étant passablement bloquée en attendant que les embouteillages se dissipent à la sortie de chez moi, j'en profite pour poster le chapitre suivant. Et paf !
Vous vous y attendiez pas, hein ? Cool
Merci à Briseglace pour la relecture et les conseils qui allaient avec, enjoy ^^



Oyabun ou Kaichou ou Kumicho: Signifient « parent », « chef » ou « chef de clan ». Comme la traduction l’indique, il s’agit du titre décerné à la personne la plus haut placée dans un clan yakuza. « Clan » est employé au sens large : les membres d’un même clan ne sont pas forcément liés par le sang, bien que tous les titres yakuza aient une forte connotation familiale.

Kyodaï : Les « grands frères ». Sorte de lieutenant dans la hiérarchie des yakuza, ils constituent un rang intermédiaire avec les échelons inférieurs (constitués par les Shateï, « petits frères »).

Sarakin : Usurier. Ils sont une alternative aux banques, qui prêtent assez peu aux particuliers et petites entreprises. Beaucoup de sarakin sont (ou étaient) suspectés d’entretenir des liens avec des yakuza, et leurs méthodes ne sont pas toujours très morales…

Pachinko: Jeu typiquement japonais, qui ressemble vaguement au flipper. Réputé pour être un véritable gouffre financier pour les accrocs aux jeux, et également le terrain de chasse des yakuza.

Combini : superette à la japonaise, ouvert 24/24h.

Yubitsume : signe de manquement aux devoirs, de trahisons ou de fautes. Afin de se faire pardonner par son chef, le kumicho, le yakuza s’amputera d’une phalange. Si le yakuza renouvelle ses fautes, c’est au tour des autres doigts de subir une ablation. Tradition qui tend à disparaitre, pour des raisons de discrétion.
-------------------------------------------------------
Shizuru sentait l’élancement désagréable d’une migraine menacer ses tempes. Le vidéoprojecteur étalait des graphiques filiformes sur un immense écran dont la blancheur insoutenable était l’une des rares sources de lumière de la petite salle de réunion. Il faisait une chaleur étouffante et le vrombissement des appareils commençait à lui porter sur les nerfs. Le fait qu’une douzaine des yakuza les plus influents du Fujino-kai la détaille des pieds à la tête avec des expressions qui allaient du scepticisme distant au mépris non dissimulé ne l’aidait sûrement pas à se sentir à l’aise.

- Je comprends que ce que j’ai pu vous rapporter puisse être difficile à avaler. Mais ce que j’ai à vous apprendre sur Asward est bien plus important que tout ceci. Allons directement au fait.

- Difficile à avaler ? Ricana l’un d’eux. Un délire de dégénéré oui ! Tu t’es réveillée un matin avec suffisamment de force pour casser un arbre en deux et tu voudrais qu’on passe là-dessus sans s’appesantir sur le sujet ? Désolé mais je ne marche pas !

- Un arbre, tout de même, vous exagérez…

- La ferme !

Shizuru ne cilla pas et se contenta d’esquisser un sourire faussement désolé.
Elle n’avait pas pris le temps d’échafauder une explication digne de ce nom lorsqu’elle était intervenue pour sauver la vie de Ryushi. Prise de court, elle avait préféré servir aux yakuza une version allégée du Festival, qui prenait fin avec la destruction inexpliquée de l’Artemis et où les Childs, le rituel des HiMES et tout ce qui côtoyait de trop près le surnaturel n’existait pas. L’histoire restait encore bien trop invraisemblable pour les membres du Fujino-kai et Shizuru commençait à regretter d’avoir sauvé la mise à Ryushi. Ce dernier la tenait à l’œil depuis le début de la réunion, les traits figés en une expression indéchiffrable. Elle reprit, bien décidée à faire avancer le débat malgré tout:

- Asward et la Searrs ne sont qu’une seule et même société, c’est une certitude désormais et…

- Arrête ton baratin, on s’en fout de ça.

- J’en suis navrée, Adachi-san mais je n’ai pas d’autres réponses, soupira-t-elle d’un air ennuyé. Asward, en revanche, aura peut-être des explications plus scientifiques pour expliquer mes excellentes capacités physiques. Ça me semble plus judicieux d’aller chercher l’information à la source plutôt que de m’entendre répéter les mêmes faits en boucle, n’est-ce pas ?

- Ouais, ça fait trois heures qu’on tourne en rond, je suis pour !

- La société ne manque donc pas de moyens, reprit Shizuru en sautant sur l’occasion. De plus…

- Aussi tarée que sa mère…

À l’autre bout de la table, le menton reposant sur ses mains jointes, Kenjiro haussa un sourcil avec élégance.

- J’aimerais que l’on parle de ma tante en d’autres termes, si possible, annonça-t-il en se calant lentement au fond de son fauteuil de Kumicho.

Le sourire qu’il arborait était poli, le ton plus glacial qu’un vent polaire. Les yeux plissés, on aurait dit un félin que l’on vient de tirer de la sieste. Certains ont perdu des phalanges pour moins que ça, fit-il remarquer l’air de rien.

Dans le silence qui accueillit sa tirade, le ronronnement du vidéoprojecteur se fit assourdissant.

- Comme on peut le voir, Asward est loin d’être aussi ruinée que ce que l’on pouvait se l’imaginer après qu’ils aient déclaré être en faillite, reprit Shizuru, magnanime.

L’air désinvolte qu’elle s’efforçait de maintenir depuis près de trois heures lui parut soudain moins difficile à conserver.

*****************************
Dès lors, les réunions se succédèrent au Fujino-kai. À l’université, les cours suivaient leur rythme habituel, un rythme qui n’était pas compatible avec celui d’une vie de yakuza à l’aube d’une guerre de clan. Pour Shizuru commença une farandole sans fin où yakuza en costumes, notes de cours et professeurs grincheux se succédaient à un rythme effréné. Les rares moments où elle parvenait à prendre un peu de recul, elle se serait crue dans le casting d’un metteur en scène dément, occupé à tourner deux films à la fois. C’était à devenir fou.

- La Searrs possédait des laboratoires de recherche. Probablement ce que l’on peut espérer de mieux en tant que scientifique et industriel.

- Quels domaines ?

- Robotique…génétique…aérospatial…armement, énonça Shizuru, de mémoire. Probablement des cadors en espionnage industriel. Ils devaient sous-traiter une bonne partie de leur activité, c’est évident. Mais au final, ils avaient des moyens colossaux dans des secteurs de pointe.

- Et un holding de compétition. D’autres choses ?

- Oui, et pas des moindres. Une armée privée.

- Rien que ça !

- Ses membres ont probablement été licenciés quand la société a fait faillite…mais à tous les coups ils ont gardé l’équipement…

Au tableau, un professeur déclamait son cours en remontant régulièrement ses lunettes sur son nez :

- Les équations ci-dessus traduisent mathématiquement une réalité physique, l’onde électromagnétique, c’est-à-dire un champ électrique et un champ magnétique associés, se propageant dans l’espace et variant dans le temps...

Dans la chambre d’à côté, Hideki jouait une version solo de « Fantasy » de Shubert...

- Il y a une soirée à l’Intrepid Fox ce soir, ça te dit de venir ? Proposa Seiko en passant la tête au-dessus du traité de thermodynamique qu’elle étudiait…

Un petit projectile blanc explosa à quelques centimètres de sa tête qui reposait sur une feuille de cours. Des morceaux de craie avaient atterri dans ses cheveux :

- Mademoiselle, pas de sieste en cours !...

Ryushi déposa une nouvelle liasse de papiers devant lui :

- Les Gurentai se sont officiellement approprié la Searrs l’année dernière, alors qu’elle déposait le bilan, exposa-t-il. Ils se sont introduits dans le capital boursier, ont fait pression sur les conseils d’administration, bloqué les décisions importantes en utilisant une série de chantages bien rodée… de fil en aiguille, ils ont fait s’écrouler le cours de la société et on finit par tout racheter pour une misère. Du vampirisme classique comme on en voit tous les jours. Et comme le siège principal était aux USA, ces ricains n’ont rien vu venir ! Leur filiale japonaise leur est passée sous le nez avant qu’ils n’aient compris ce qui leur tombait dessus.

- Sauf qu’on parle d’une société colossale et d’un groupe de petites frappes, fit remarquer Kenjiro. Ils les ont sortis d’où, leurs yens, pour faire leur entrée dans le groupe ?

- Grand mystère…

Un autre professeur, jeune et arrogant :

- Sauf que le système est adiabatique et donc le transfert thermique est…est ? Nul ! Oui ! Aussi nul que vous tous, d’ailleurs ! Pour le reste, la solution est triviale, on passe. Vous me jetterez un coup d’œil au reste des exercices, on en corrigera quelques-uns demain…

Kenji esquissa un sourire carnassier :

- Rien ne nous empêche de jouer leur propre jeu. S’ils veulent du vampirisme à la japonaise, ils vont être servis !

- Je propose un peu de harcèlement, pour compléter.

- Excellente idée, Ryushi. Salles de pachinko, terrains de golf…regarde dans quels domaines on peut les attaquer. Aucune raison qu’on se limite à l’aspect purement économico-industriel.

- Et s’ils s’énervent ?

- Qu’ils s’énervent un peu trop et ça sera tout l’Aizukotetsu-kai qui leur tombera dessus, pas seulement nous ! J’ai hâte de voir ça…


*****************************

Posé en équilibre sur une table de nuit qui disparaissait sous une pile de paperasse, le réveil de Hideki indiquait 0h48, bien que Shizuru ait des doutes sur le premier chiffre dont seule une partie était visible, masqué par un bout de partition écorné. Il était peut-être deux heures passées, après tout.

Le jeune pianiste avait débarqué dans sa chambre en début de soirée en déclarant qu’il cherchait du renfort pour résoudre un problème de physique particulièrement retors. Il avait disparu pour aller chercher Seiko et depuis, sa chambre était devenu un quartier général pour physiciens en perte de motivation. Petit à petit, un délicieux climat de détachement presque insouciant avait pris le relais et théorèmes et équations avaient été soigneusement mis de côté.

Seiko somnolait sur une chaise de bureau alors que Hideki était debout sur son lit, surexcité, en mimant l’une de leur professeur au tableau avec une voix chevrotante.

Son enthousiasme était communicatif et Shizuru riait aux éclats. C’était l’un des rares soirs où elle ne se consacrait ni à ses études, ni au Fujino-kai, et malgré tout ce qui pesait sur elle, elle se sentait aussi euphorique que si elle avait bu. Peut-être était-ce justement à cause de tout ce qui pesait sur elle, s’interrogea-t-elle brièvement en étouffant un gloussement de rire qui était à des années-lumière de son image de responsable du conseil des élèves à Fuuka.

- Shizuru, tu es encore rentrée à pas d’heure hier soir, qu’est-ce que tu faisais dehors, coquinette ? demanda Hideki en la menaçant avec une vieille copie de chimie roulée en cornet.

« Coquinette ». Voilà un surnom qui aurait déclenché un tsunami d’indignation si le jeune homme l’avait prononcé devant son ancien fan-club, s’amusa Shizuru en plissant les yeux.

- J’étais en boîte, déclara-t-elle, royale.

C’était la vérité la plus pure. En sortant de la dernière réunion, elle avait croisé un shatei qui ratissait les couloirs en quête de renforts pour une basse besogne : faire une descente en discothèque et écharper des dealers qui sévissaient là-bas sans verser le moindre tribut au clan. Il avait embarqué Shizuru avec deux volontaires pour régler l’affaire. L’un des dealers d’hier soir n’était pas plus vieux qu’elle. Avec son teint cireux et ses yeux hagards, il était encore plus camé que ses clients potentiels. Pauvre type, songea-t-elle avec pitié.

- C’est ça ouais, et ma grand-mère elle fait du skate. N’empêche. Ne le prends pas mal, mais tu as une mine épouvantable. Tu devrais renégocier tes horaires avec ton employeur, pour ton baito.

- Les temps sont durs. Je ne vais pas faire la difficile. Le travail paye bien.

- Encore heureux ! Je connais pas des masses de filles qui accepteraient de bosser une partie de la nuit dans un combini en étudiant comme une tarée pendant la journée !

Shizuru resta silencieuse et haussa doucement les épaules, fataliste. Encore un mensonge. Elle s’était créé l’excuse d’un petit boulot pour justifier à ses amis tous les soirs où elle devait quitter la résidence. Comme une araignée, Shizuru avait tissé autour d’elle une toile d’histoires et de semi-vérités qui se faisait de plus en plus dense. Elle se sentit soudain très fatiguée.

- Je ne connais pas « des masses de filles » qui ont comme voisin de palier une tête de promo qui soit toujours prêt à venir lever le voile sur un cours d’algèbre trop obscur, sourit-elle en reprenant ses mots. Sans toi et Seiko, je ne m’en sortirai probablement pas aussi bien en cours.

En vérité, elle aurait déjà coulé depuis longtemps.

- Âneries. Si tu bossais autant que nous, c’est nous qui demanderions ton aide ! Et Seiko serait déjà devenue folle. Tu sais qu’elle déteste notre façon de travailler à tous les deux. Je te remercie de faire en sorte que ça le limite au minimum syndical.

Shizuru soupesa ses paroles d’un air amusé. Seiko, avec l’hyperactivité qui la caractérisait, avait pour habitude de noircir des pages entières pour réfléchir à un problème. Hideki et elle s’installaient sereinement devant l’énoncé, méditaient intensément sans bouger un muscle et écrivaient la solution d’une traite après des périodes de réflexions immobiles qui pouvaient s’étaler sur plus d’une heure s’il le fallait. Seiko trouvait ça incroyablement agaçant et tout simplement insupportable.

- Je suis sérieux. Tu as vraiment l’air fatiguée. Si ça continue comme ça, tu ne vas jamais arriver en vie aux examens.

Elle dormait peu. Les quelques heures de sommeil qu’elle parvenait à grappiller étaient hachées par l’angoisse. Chacune des réunions du Fujino-kai l’obligeait à fouiller dans ses souvenirs, à l’affût du moindre détail qui pourrait donner des informations sur la Searrs…Asward… peu importe leur nom, après tout. C’était une période trop confuse pour qu’elle puisse y réfléchir de façon rationnelle : songer à la société l’amenait invariablement à penser au reste du Festival, à sa solitude, sa douleur et sa folie. Les spectres en avaient profité pour ressusciter dans le moindre de ses rêves. C’était terrifiant.

- Merci de t’en soucier, fit Shizuru avec reconnaissance. J’y penserai. Si tout va bien, je devrais pouvoir travailler un peu moins d’ici la fin de l’année.

- Tant mieux, alors.

Seiko marmonna quelque chose d’inintelligible dans son sommeil et Hideki sifflota doucement alors que sa petite chaîne hi-fi entonnait Wind of Changes.

*****************************

Un soir, elle reçut un appel de Natsuki.
Shizuru rentrait tout juste du Fujino-kai. Ce jour-là, Kenjiro lui avait annoncé qu’ils avaient découvert que la Searrs avait subi l’année dernière une rude concurrence d’une obscure société que l’on désignait comme le First District. Il lui avait demandé ce qu’elle en pensait. Shizuru avait menti, comme d’habitude. Comment aurait-elle pu expliquer à son cousin que le First District avait été réduit en cendre et chacun de ses membres assassiné, par ses soins ? Le reflet que lui renvoya son miroir ce soir-là était celui d’une fille aux traits tirés, pâle comme la mort. Un jour, Kenji allait découvrir ce qu’il s’était produit, et alors…Kami, elle ne voulait pas envisager cette possibilité !

C’est à ce moment que son téléphone se mit à sonner, et que Shizuru répondit, le cœur au bord des lèvres. Elle s’était persuadée que Natsuki ne chercherait pas à la joindre et elle n’avait jamais pris le temps de réfléchir à ce qu’elle pourrait lui raconter si ça devait se produire. En vérité, Shizuru ne voulait pas lui parler : la solitaire n’était que l’un de ces spectres du Festival, une de ces images qui la faisaient tant souffrir. Et pourtant, elle décrocha :

La voix de Natsuki résonna à son oreille et elle se remémora les cris de ses victimes. Son cœur s’emballa. En l’entendant, si peu sûre d’elle, elle se l’imagina les épaules voutées par la douleur et la peur devant la maison où elle l’avait soignée, le soir fatidique où elle avait perdu la raison. Natsuki lui posa une question, maladroitement, et Shizuru pouvait visualiser son air incertain comme si elle se tenait devant elle, remettant nerveusement une mèche de cheveux en place. Ces mèches sombres dans lesquelles elle avait brûlé de laisser courir ses doigts. Elle en eut les larmes aux yeux. En l’écoutant évoquer sa vie insouciante à Fuuka, où son petit monde tournait autour d’Alyssa et des problèmes d’une vie banale…Shizuru eut envie de hurler.

Sa vie à elle était un ignoble sac d’intrigues et de mensonges. Un univers violent, où elle se perdait petit à petit, en se créant des identités chacune plus éloignée de la réalité, de ce qu’elle ressentait.
Un monde peuplé de prostitués exploitées pour une misère et traitées comme du bétail, de drogués aux visages ravagés, de familles ruinées par des sarakin sans scrupules, de graphes impersonnels qui annonçaient froidement que des centaines d’armes étaient envoyées à travers le monde pour tuer des inconnus. Natsuki eut un petit rire en parlant d’Alyssa, un rire ! et Shizuru sentit sa gorge se nouer.

Sa vie était un ignoble sac d’intrigues et de mensonges, mais ce que lui inspirait Natsuki Kuga était trop vertigineux pour qu’elle puisse déterminer ce que c’était. Elle ne voulait pas le savoir.

La jeune fille ferma les yeux et endossa une autre personnalité. La solitaire la salua d’un ton un peu déçu avant de raccrocher.

Shizuru lança son téléphone à travers la pièce, effondrée.

*****************************

Asahi Nakajima quittait son cabinet de consultation lorsqu’elle constata qu’une personne se trouvait encore dans la salle d’attente. Shizuru se leva pour la saluer et elle sut tout de suite que quelque chose n’allait pas. Sa protégée pouvait tenter de la bluffer tant qu’elle voulait avec son imperturbable sourire, elle n’était pas dupe. En vérité, la psychiatre était persuadée que la plupart du temps, Shizuru n’avait même plus conscience qu’elle affichait cette expression.

- Bonsoir, désolée de passer si tard, mais j’aurais besoin de vous parler un instant.

- Bonsoir, Shizuru. Je t’en prie, tu sais que tu peux venir quand tu veux. Viens, passons chez moi, on sera plus tranquilles.

La jeune fille s’installa dans un petit fauteuil à l’autre bout du salon. En rangeant sa sacoche et en allumant quelques lampes, Nakajima l’observa du coin de l’œil : son regard était terne, creusé par des cernes et elle se demanda à quand remontait sa dernière vraie nuit de sommeil.

- Je m’excuse encore, j’aurais dû appeler pour vous prévenir.

- Tu ne me déranges pas, assura-t-elle en prenant place en face d’elle. Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

- C’est assez gênant à expliquer, avoua sa protégée. En fait, il me faudrait un avis médical. Je dors très mal depuis quelque temps et j’ai de plus en plus de difficultés à tenir le rythme. Il y a beaucoup de travail prévu pour les jours à venir et…pourriez-vous faire quelque chose pour moi, de ce côté ? J’en ai parlé à l’infirmerie de l’université et on m’a conseillé d’en discuter avec un médecin.

Shizuru cligna des yeux d’un air las.

- J’ai honte de profiter de la situation pour vous soutirer une consultation en dehors de vos horaires de travail. Mais telles que sont parties les choses, j’ai peur de mal finir la semaine si rien ne change, fit-elle avec un sourire désolé.

- Je peux te prescrire un anxiolytique ou un somnifère léger, s’il le faut, annonça prudemment son ancienne tutrice. Même si je te trouve un peu jeune pour passer par ça. Si on doit aller jusque-là, sache que ce sera une solution exceptionnelle.

- Mais ?

- Mais je ne peux pas te laisser partir de chez moi avec une boite de médicaments en poche sans savoir ce qu’il se passe.

Pour que Shizuru vienne la voir avec une telle requête, elle devait être au bout du rouleau. La jeune fille se redressa. Elle ne pouvait pas se voiler la face et faire comme si elle ne s’attendait pas à être questionnée par Nakajima. Elle choisit soigneusement ses mots pour pouvoir s’en tenir à la réalité :

- Je ne suis pas dans une bonne période, en ce moment. Il y a beaucoup de travail à l’Université. J’ai aussi un travail à gérer à côté qui occupe toutes mes soirées.

Elle leva une main en signe d’impuissance.

- Je ne suis peut-être pas aussi blindée contre le stress que je ne l’aurai cru.

- Toi, Shizuru ? Tu as supporté une pression incroyable quand tu étais enfant. Et en partant à Fuuka, la première chose que tu as faite, c’est intégrer le Conseil des Etudiants et gérer toutes les missions qui demandaient du self-control.

- Tout ça, c’était avant que je ne revienne à Kyoto.
Shizuru eut un rire sans joie.

- Je crains que me retrouver ici m’ait rendu un peu…fragile, concéda-t-elle.

C’était insupportable. L’idée de prononcer le moindre mensonge la révulsait. Shizuru mesurait ses paroles, consciente qu’il suffisait d’un instant de faiblesse pour qu’elle ne dévoile la vérité.

- J’ai l’impression que…à chaque fois que je cherche à remettre ma vie en état…, la situation se complique davantage.

Elle avait du mal à respirer. La jeune fille se leva lentement, parce qu’elle allait exploser si elle ne trouvait pas quelque chose à faire, et commença à arpenter la pièce. Elle aurait voulu que Nakajima dise quelque chose mais la psychiatre gardait un silence attentif.

- Ma naissance est une erreur et j’ai passé mon enfance à l’accepter. Pendant toutes mes années lycéennes, je me suis bercée d’illusions en courant après des fantômes. Maintenant…

Shizuru s’interrompit, haïssant le ton plaintif qui perçait dans sa voix. Elle n’était pas venue ici pour s’apitoyer sur son sort. Ce n’était pas dans ses habitudes.

- Maintenant ? L’encouragea Nakajima d’un ton neutre.

Shizuru s’était détournée et ne pouvait pas voir son visage.

- Je ne sais plus du tout où j’en suis, acheva-t-elle.

- Tu ne m’en dis pas assez pour que je puisse t’aider à y voir plus clair.

Le regard de Shizuru était hanté, fixé devant elle sur une scène qu’elle seule pouvait voir. Elle secoua la tête avec son sourire habituel. Parlait-elle à la psychiatre ou à son ancienne tutrice, à cet instant précis ?

- Tout est compliqué. Je me suis perdue et je ne sais plus…où commencent mes mensonges et où commence la réalité. Je ne sais même plus ce que je ressens. Je m’excuse, la fatigue me rend…mélancolique, je crois, articula-t-elle en essayant de garder sa contenance.

Ma tutrice, décida-t-elle. Pas le médecin.
Sa gorge la brûlait à l’en étouffer. Cette femme était la seule personne à qui Shizuru se soit jamais confiée avec franchise. Nakajima lui avait sauvé la vie auparavant et quand sa protégée n’avait plus eu besoin de ses consultations, elle avait continué de la soutenir au fil des ans, avec la dévotion d’une mère.

- A Fuuka, je savais qu’il y avait certaines choses que je ne pourrais jamais obtenir mais inconsciemment j’espérais…que ça puisse rester possible. Le jour où l’on m’a mise face à la réalité, la situation a basculé. Puis tout ce que je désirais m’est devenu insupportable. Je ne devrais m’en prendre qu’à moi-même mais j’ai tant fait…qu’au fond de moi, je crois que j’espérais recevoir quelque chose en échange, malgré tout.

Elle aurait tout fait pour un regard de Natsuki. Tout. C’était stupide et elle le savait. L’histoire s’était achevée de la façon la plus prévisible qui soit : elle avait fini plus seule que jamais, vidée de tous ses rêves. La solitaire lui avait ôté jusqu’au luxe de se bercer d’illusions. Comme elle lui en avait voulu.

- Je ne sais pas pourquoi je parle de tout ça. La fatigue…J’ai voulu tout oublier en revenant ici. Je croyais y être arrivée. Mais depuis quelques jours, je ne peux plus passer une heure sans que l’on ne me fasse repenser…à ce qu’il s’est passé. Je n’en peux plus, confia-t-elle d’un ton égal.

- Qu’est-il arrivé, à Fuuka ?

C’était la première question que formulait Nakajima. La seule qui importait.

- J’ai…j’ai fait des choses affreuses. Des choses que je n’aurais jamais crues possibles. Des crimes…terribles…Je n’étais pas moi-même.

Elle eut un autre rire, bref et tourmenté.

- Je n’ai jamais été moi-même, après tout. Kami, comment tout cela a-t-il pu se produire ? murmura-t-elle.
Au final, rien n’avait changé. Après avoir massacré le First District, elle épaulait des yakuza dans leur monde abject.

- Je ne peux pas en parler. C’est une histoire folle. Et j’ai créé tant de mensonges…qu’ils sont en train de m’étouffer.

Et la justice japonaise qui lui offrait la rédemption à condition qu’elle se salisse encore les mains ! Qu’avait-elle à faire de ce genre de pardon ?

- S’il vous plait, ne me demandez pas de vous en parler. Je ne peux pas. C’est…impardonnable et au-dessus de mes forces. Et je ne veux pas vous mentir, pas à vous…Excusez-moi.

La jeune fille quitta le salon avec le peu de dignité qu’il lui restait. Elle se sentait sur le point de s’effondrer.
Arrivée dans la cuisine, elle fondit en larmes. Shizuru étouffa un sanglot dans ses mains et ferma les yeux, aussi fort qu’elle le pouvait.

Elle sentit la main de Nakajima se poser sur son épaule et elle se mordit le poing jusqu’au sang pour retenir ses pleurs. Elle se sentait vaciller.

- C’est bon Shizuru, c’est bon…

La psychiatre écarta sa main et ses bras se refermèrent autour de sa protégée. Shizuru se laissa aller contre elle et une longue plainte douloureuse franchit ses lèvres. Elle tremblait si fort que, sans Nakajima, ses jambes se seraient dérobées.
Elle murmura quelques mots que Shizuru ne pouvait pas percevoir. Les sons étaient distants, assourdis, comme si elle se trouvait sous l’eau.
La jeune fille hocha faiblement la tête, dans le creux de son épaule, sans savoir ce que son ancienne tutrice lui disait, et s’agrippa à elle comme si elle craignait qu’elle ne disparaisse. L’étreinte se resserra autour d’elle, apaisante, rassurante.

Oui, demain matin, tout irait mieux. Demain elle emprunterait une de ses multiples identités, sans flancher une minute. Elle finirait sa mission et tout rentrerait dans l’ordre. Les spectres disparaitraient. Mais ce soir, elle n’avait pas besoin de se faire passer pour ce qu’elle n’était pas. Alors, Shizuru laissa tomber son masque et pleura toutes les larmes de son corps.

*****************************

Quelques jours plus tard, l’occasion d’attaquer les Gurentai se présenta enfin. Kohei entra tout essoufflé dans le bureau de Kenjiro qui était en pleine discussion avec son second. Shizuru était sur ses talons.

- Il y a une assemblée générale du conseil d’administration de l’une de leurs entreprises en fin de semaine, annonça-t-il avec enthousiasme. On tombe à pic, la réunion décidera de la poursuite d’un de leurs projets phares qui a pris du retard et devinez quoi ? Il y a des irrégularités majeures dans l’affaire : lacune dans la protection des ouvriers, couac écologique…on va s’amuser comme des petits fous !

- Excellente nouvelle ! On a investi dans assez d’actions pour s’assurer quelques billets d’entrée pour l’assemblée et faire tout capoter si l’envie nous prend, vérifia rapidement Kenji en pianotant à son ordinateur.

- Vu leurs méthodes, je parie trois phalanges qu’il y aura au moins une demi-douzaine de gorilles pour garder la porte de la salle de réunion et empêcher les trouble-fêtes d’entrer, fit remarquer Ryushi.

- On descendra en force. Si on met le paquet, on arrivera à poser une motion. Ils pourront aller se faire voir pour finir leur projet. Ça va leur coûter un max.

- Shizuru nous a trouvé une super porte d’entrée !

- Le chef de l’équipe de sécurité trompe sa femme depuis deux ans, expliqua-t-elle. Je suis sûre qu’il préfèrerait nous faire entrer par une porte de service plutôt que ça se sache dans son voisinage et sa famille.

Kenjiro éclata de rire.

- Tu as fait comment pour récupérer ce tuyau ?

- Je suis entrée en me faisant passer pour une stagiaire et j’ai passé une matinée à côté de la machine à café.

Son cousin lui jeta un regard pétillant.

- Je pense qu’on peut très raisonnablement mettre au point un plan d’action dès ce soir. Vous deux, fit-il en faisant pivoter son fauteuil face aux deux yakuza, je compte sur vous pour me sélectionner trois kyodai et une douzaine de shatei. Grandes-gueules et bagarreurs, si possible. Shizuru, reste ici, s’il te plait.

- C’est parti !

Kohei avait l’air d’un gamin à qui on vient de confier une boite de bonbons.

- J’ai quelque chose pour toi, annonça Kenjiro en se levant, une fois que ses hommes eurent quitté la salle.

Il ouvrit une des armoires massives qui meublait son bureau et en tira une longue poche plastifiée qui pendait au bout d’un cintre.

-Je suis persuadé que beaucoup de mes collaborateurs adoreraient te voir en jupe, mais j’ai pensé que tu serais plus à l’aise avec un pantalon. Surtout s’il doit y avoir une bagarre ou que l’on doit s’enfuir en courant.

Il exposa devant sa cousine un tailleur noir impeccable avec un sourire fier.

- L’uniforme des supérieurs du Fujino-kai. Si ça te convient, évidemment. Ce n’est que de la poudre aux yeux, mais ce sont les habits qui en imposent le plus. Je le gardais ici, au cas où une occasion se présenterait et que tu en ais besoin.

- Mon premier tailleur, je suis émue, sourit Shizuru.

- Je sais que tu n’aimes pas ce monde et ses codes, murmura son cousin sur un ton d’excuse. Mais c’est une façon supplémentaire d’assurer ton statut. Tu te débrouilles bien, soupira-t-il. Mieux que je ne l’aurais cru. C’est impressionnant, tu sais. Tu as la confiance de Kohei depuis que tu lui as sauvé la vie. Ryushi n’en dit pas un mot, mais tu as gagné son respect, ça ne fait aucun doute. Ça, c’est un exploit.

- J’en suis ravie. D’ici deux semaines, tu verras, on sera les meilleurs amis du monde et on ira faire la tournée des bars ensemble en sortant du boulot.

Kenjiro émit un petit rire en imaginant l’absurdité de la scène, avant de reprendre son sérieux.

- Ils se posent tous beaucoup de questions, tu sais. Sur toi, ta force, ces…orphans ? Je leur ai dit de laisser tomber. Tu ne m’avais pas l’air dans ton assiette, ces derniers temps.

- Merci. Je n’ai vraiment pas envie de m’appesantir encore sur le sujet devant eux.

Il opina.

- J’espère juste que ce que tu as pu vivre à Fuuka n’a pas été trop dur à supporter. Pour le reste…tu es toujours ma cousine, même si tu fais du rodéo sur des monstres de deux mètres de haut.

Fuuka avait été un enfer. Shizuru lui rendit un sourire tranquille.

Nakajima avait veillé sur elle tout le long du week-end où elle avait passé la plupart de son temps à dormir. La jeune fille ignorait dans quel état elle se trouverait à cet instant, si elle n’avait pas rendu visite à son ancienne tutrice pour y puiser un peu de réconfort et de soutien. Le repos avait rendu sa situation un peu plus supportable et même si les fantômes la guettaient encore dans ses rêves, elle était parvenue à reprendre les choses en main. Pour l’instant.

- Tu devrais essayer, c’est très amusant.

- Je n’en doute pas ! rit-il. Ce week-end, je t’invite au restaurant. Il faut qu’on discute un peu, ça me fait de la peine de te croiser tous les jours en tant que Kumicho. J’ai envie qu’on se retrouve juste entre cousins, sourit-il en lui tapotant l’épaule.

- Ça serait bien, sourit Shizuru.

*****************************

Le jour convenu vit débarquer une quinzaine de yakuza au bout de la rue où se dressait l’immeuble de Pharmacorp, honorable siège social d’une industrie pharmaceutique appartenant au groupe Asward.
Kenjiro en personne marchait en tête. Ryushi désapprouvait ce choix mais le jeune kumicho avait mis un point d’honneur à être présent pour cette opération.
Les environs étaient déserts. Liée comme elle l’était à la police, Shizuru avait appelé l’inspecteur Nagoshi la veille, pour le prévenir de ce qui allait se produire. Elle avait réussi à lui arracher la promesse de ne pas faire intervenir les autorités pendant l’heure qui suivait le début du conseil d’administration. Ça laissait une marge d’intervention confortable.

Comme convenu, la porte de service n’était pas verrouillée. Kenjiro poussa le battant de métal en adressant un clin d’œil à Shizuru et ils s’engouffrèrent dans le bâtiment.

Pharmacorp avait établi ses quartiers dans un immeuble agréable aux murs immaculés, régulièrement jalonné par de grandes plantes vertes. L’intérieur paraissait refait à neuf, on pouvait même sentir une odeur fugace de peinture fraîche provenant de quelques couloirs. Difficile de croire que le groupe avait eu des difficultés financières récemment, songea Shizuru. Ou alors, ils avaient vite remonté la pente.

Quelques agents de sécurité se trouvaient devant la salle de réunion.

- Menu fretin, on ne s’occupe pas d’eux, murmura Ryushi. De toute façon, ils n’ont rien à nous dire : nous sommes actionnaires et notre présence ici est légitime. En revanche, eux…

Il désigna une dizaine de voyous qui arpentaient le hall comme des lions en cage. Eux aussi étaient en costume noir. Leurs vestes étaient ouvertes ou volontairement déchirées. Pas de cravates autour des cols de leurs chemises déboutonnées, dévoilant un peu de peau tatouée à la base du cou. L’un d’eux était carrément torse nu et le tigre peint sur sa poitrine montrait les crocs d’un air sanguinaire entre les pans de sa veste.

- Légitime ou pas, si une tête ne leur revient pas, on ne passe pas. Tss…regarde-moi ces ploucs, marmonna-t-il. Quand je pense que les flics nous mettent tous dans le même panier… Au moins, ils n’ont pas ramené de bestioles pour les aider à garder la porte, cette fois-ci. Ils ne sont probablement pas armés. Ces comiques sont ici pour décourager ceux qui ne leur plaisent pas, pas tuer le premier venu.

- Il y en a certainement d’autres à l’intérieur, mais on devrait y arriver. Je crois qu’on va devoir entrer en force. Le premier qui arrive à poser la motion a gagné ? Proposa Kenjiro.

Les autres ne se le firent pas dire deux fois. Les hommes du Fujino-kai se ruèrent dans le hall et fondirent sur les Gurentai stupéfaits. Vociférations et jurons s’élevèrent dans l’air. En un instant, la grande salle silencieuse se mua en champs de bataille. De là où elle se trouvait, Shizuru vit Ryushi soulever un homme par le col et l’écraser contre un mur avec un rictus féroce. Dos à lui, Kenjiro distribuait ses coups de poing avec une telle énergie que sa cousine aurait parié qu’il s’amusait comme un petit fou. Les agents de sécurité, débordés, soufflaient hystériquement dans des sifflets argentés en essayant de séparer les combattants. La plupart se retrouvèrent étendus pour le compte en moins d’une minute.

Shizuru n’avait pas l’habitude de se jeter la tête la première dans un affrontement. La jeune fille n’avait aucune envie de se battre : si elle s’était écoutée, elle aurait laissé ces chiffonniers se taper dessus. Mais puisqu’elle n’avait pas le choix, la lance à incendie soigneusement enroulée sur son présentoir à l’angle d’un mur lui paraissait une solution bien plus expéditive au problème. Elle ouvrit la vanne d’un coup de pied et braqua le jet d’eau à pleine puissance sur deux Gurentai qui défendaient la porte en faisant tournoyer des matraques. La pression fut suffisamment forte pour leur faire perdre l’équilibre et ils se retrouvèrent étendus sur le sol en crachotant, trempés de la tête au pied.

Shizuru s’autorisa un sourire satisfait. Moins elle aurait à brutaliser de gens, yakuza ou pas, mieux elle se porterait.

Kenjiro profita de l’occasion pour ouvrir la porte à la volée et se rua dans la salle de réunion. Dans le hall, un Gurentai se jeta sur Shizuru. Le pistolet de la lance à incendie le frappa en pleine tête avec un bruit sourd et il s’effondra comme une masse. Légitime défense.

Des cris montèrent de la salle de réunion où les combats s’étaient déplacés. Elle vit une chaise traverser la pièce alors que des yakuza s’empoignaient, debout sur un bureau. Les employés de la société s’étaient retranchés à l’autre bout de la salle et le président de l’assemblée regardait la scène terré du haut de son estrade, horrifié.
Shizuru manqua recevoir une table en plein visage. Elle la rattrapa au vol, avec une dextérité déroutante compte tenu de son poids, et la renvoya sans douceur à l’expéditeur. Légitime défense. Les pugilats se succédèrent au milieu d’une pluie de feuilles de compte, entre des tableaux de présentation arrachés et des fauteuils cassés. Assez vite, le Fujino-kai finit par prendre l’avantage au milieu de ce chaos indescriptible.

Les derniers affrontements se calmèrent lorsque Kenjiro, une manche de costume en moins et le visage en sang, parvint à escalader la tribune pour y déposer sa motion avec un rictus victorieux. La séance avait duré moins d’un quart d’heure. Le service de sécurité débarqua dans la salle, une trentaine d’hommes casqués retranchés derrière une rangée de boucliers antiémeutes. Gurentai et Fujino-kai s’enfuirent sans demander leur reste par les issues de secours.

Ryushi portait sur son dos un de ses hommes trop sonné pour faire un pas devant l’autre. Le géant riait à gorge déployée. Avec ses cheveux en bataille et ses vêtements déchirés tâchés de sang, il avait l’air d’un dément.

- On devrait faire ça plus souvent, qu’est-ce qu’on leur a mis ! rugit-il.

Kenjiro lui rendit un sourire étincelant. Il arborait un énorme coquart violacé qui lui fermait un œil et aidait un de ses collaborateurs à marcher, avec la démarche hésitante d’un ivrogne. Son expression était hilare.

- Hime-chan, ne fais pas ta modeste, tu en as mis KO trois à toi toute seule ! Et sans verser la moindre goutte de sueur ! observa-t-il en avisant son tailleur qui n’avait pas pris un pli.

Shizuru leva les yeux au ciel.

- Légitime défense. Et ne t’inquiète pas, je te prêterai du fond de teint lorsque l’on ira au restaurant, promit-elle en pointant son visage tuméfié.
Kenji éclata de rire.

*******************************

La séance était longue et incroyablement douloureuse. L’aiguille s’enfonçait dans sa peau, maniée par une main d’artiste. Tchack. Tchack. Tchack
Un tatouage réalisé par un maître de l’irezumi prenait un temps fou à être complété. Dans le silence et l’immobilité, la piqure était amplifiée et chaque impact, si infime soit-il, résonnait en elle comme un coup de marteau.

Un motif de cette taille prenait habituellement presque un mois avant d’être achevé. Principalement parce que les maîtres tatoueurs savaient qu’au bout de deux heures, la douleur devenait intolérable pour leurs clients. Shizuru avait demandé à ce que le tatouage soit réalisé le plus vite possible. Elle avait passé trois jours complets dans cet atelier. Le maître et son meilleur élève s’étaient relayés pour achever leur travail dans les temps.

L’homme reposa finalement son aiguille et pansa le motif qu’il venait d’achever. Il lui tendit une serviette pour que Shizuru essuie la sueur qui perlait à son front. Les encres traditionnelles qu’il avait utilisées brûlaient comme des braises, sous sa peau.
Enfin, c’était fini !

Nagoshi avait versé une somme conséquente sur son compte, en prévision des frais nécessaires pour enlever ce tatouage au laser, une fois que tout serait fini. C’était la seule chose qui l’avait empêchée de s’enfuir dès la première séance.

Kenjiro l’accueillit à la sortie de l’atelier. Shizuru avait vu une fois le tatouage qui ornait le haut de son corps. Il était phénoménal. Un gigantesque dragon se déployait dans son dos sur fond de rivières et de vagues qui ondoyaient sur sa peau. Sous un cerisier, une scène de kabuki se jouait sur sa poitrine. L’ensemble formait un gigantesque tableau humain qui s’étendait jusqu’à ses poignets. Le motif complet descendait probablement jusqu’à ses chevilles. Une œuvre d’art qui avait dû prendre des années pour être réalisée.

Le Fujino-kai était un clan qui se voulait fidèle aux traditions yakuza. Contrairement à d’autres organisations plus récentes, le tatouage s’imposait encore comme l’étape incontournable pour prouver son appartenance au clan. C’était le symbole indélébile de ceux qui avaient choisi de vouer leur vie à la criminalité et aux codes yakuza. Shizuru se promit d’être l’exception à cette règle gravée dans le marbre.

- Ça va ?

- J’ai mal partout, avoua-t-elle. Il m’a fait passer dans des bains chauds pour raviver les couleurs, j’ai cru que j’allais m’y endormir sur place.

- Tu aurais dû refuser. Tu n’étais pas obligée d’aller jusqu’au tatouage. J’aurai pu intervenir pour toi. Même Ryushi estimait que tu avais largement fait tes preuves. Surtout que tu ne vas pas rester dans le Fujino-kai toute ta vie !

Son cousin avait vivement désapprouvé.

- Si c’est le prix à payer pour que certains de tes collaborateurs me considèrent comme un être humain, ça me va. Tu sais bien qu’ils m’attendaient au tournant.

- Ils ne vont pas être déçus. Je n’en connais pas beaucoup qui auraient supporté des séances d’irezumi de dix heures !

Quelques supérieurs du Fujinokai avaient fait pression pour que Shizuru soit officiellement intronisée dans le groupe, pour la récompenser de ses dernières actions. Une promotion qui s’accompagnait habituellement du premier tatouage de l’initié. Tout ceci n’avait été qu’une mascarade pour voir jusqu’où la jeune fille était prête à aller.

Le lendemain, Shizuru entra dans l’organisation en temps que Kyodai. Sous un pansement, un long dragon écarlate, fin comme une anguille, s’enroulait sur son épaule et descendait le long de son omoplate. Plus personne ne mit sa loyauté en doute.

A quelques centaines de kilomètres de là, Natsuki vivait un enfer.

********************************

Irezumi : La technique de tatouage traditionnel japonaise. Le tatouage est effectué entièrement à la main avec une aiguille en éclat de bambou, ce qui demander bien plus de temps qu’un tatouage moderne (et fait considérablement plus mal). Au Japon, le tatouage est un signe qui évoque généralement les Yakuza, dont on estime que 70% sont tatoués. Dans les faits, c’est une tradition en perte de vitesse, généralement pour des questions de discrétion. Beaucoup d’établissements japonais (bains publics, salle de sport) interdisent l’entrée aux individus tatoués.

_________________
La culture anglaise comme vous ne l’avez jamais vue.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé Envoyer un e-mail Visiter le site web de l'utilisateur MSN Messenger
Montrer les messages depuis:   
Poster un nouveau sujet   Répondre au sujet    Mai-HiME Index du Forum -> Les créations Mai-HiME Toutes les heures sont au format GMT + 1 Heure
Aller à la page Précédente  1, 2, 3, 4, 5  Suivante
Page 3 sur 5

 
Sauter vers:  
Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas voter dans les sondages de ce forum


Powered by phpBB © 2001, 2005 phpBB Group
Traduction par : phpBB-fr.com