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Posté le: Ven Jan 22, 2010 4:54 pm Sujet du message: Le Rendez-vous des Princes
Yoh .
Vous avez vu, c'est le grand retour, hum. Qui est là pour trinquer avec moi?
Well, je suis là pour présenter une nouvelle fanfiction (on ne s'en serait pas douté) intitulé « Le Rendez-vous des Princes ». Ne vous méprenez pas. Il n'y a ni princes ni rendez-vous dans cette histoire.
L'intrigue se déroule dans un univers qui n'est pas celui de Mai Hime, donc il n'y a ni child, ni étoile, ni éléments. Je crois que certains personnages sont assez éloignés de leur caractère d'origine, mais j'ai essayé de garder quelques traits importants pour que les puristes ne fassent pas d'infarctus ^^.
Je crois que c'est tout ce que j'ai à dire. Ah, si. Je vais vous mettre le synopsie que j'ai mis sur ffnet, ça pourrait quand même être un bon début :
« Hokkaido. Furano. Osomura. Il n'y a rien à Osomura. Rien, à part de la neige, du givre, des habitants paranoïaques, un hôtel, une montagne et des sapins. Et des morts. Et Shizuru Fujino pour tenter de nettoyer tout ça. »
Et merci à Miya, pour la correction et toutes les petites suggestions qui allaient avec ^^.
Ouais. Bon. Bonne lecture ^^.
Le Rendez-vous des Princes
Prologue
La pente était abrupte et les arbres innombrables.
C'était l'enfer.
Ses yeux étaient aveugles. Le paysage défilait si rapidement devant eux qu'ils n'avaient pas le temps d'enregistrer ce qu'il se passait. Elle voyait des formes noires et des morceaux de ciel à travers le dôme des sapins. Parfois, l'écorce brune d'un tronc d'arbre devant elle était évitée de justesse. Elle allait si vite qu'elle parvenait tout juste à dévier la trajectoire de ses pas. Il arriva un moment où elle ne distingua plus rien d'autre que des couleurs sombres, elle aurait pu songer qu'il aurait été sage de ralentir. Mais elle avait l'esprit vide. Saturé de tâches noires et blanches qui semblaient jaillirent vers elle à chaque instant. Terrorisée.
Ses pieds glissaient. Parce que le sol était gelé, parce que la neige tombait, parce qu'il faisait nuit.
C'était comme de l'eau. Si flou, si hostile.
Si noir, si blanc. Si vide.
Passer entre deux arbres. Vite, vite. Un autre, et un autre. De temps à autres, elle sentait des branches fouetter son beau visage, amères, et tracer sur sa peau blanche des estafilades plus ou moins profondes. Brûlantes. Terribles. Le sang perlait sur ses joues livides, elle pleurait. Haletante et incapable de s'arrêter. Il faisait si froid cette nuit, vite, vite, que le village apparaisse, que les maisons chauffées lui ouvrent les bras, que la sécurité revienne.
Que sa vie soit sauve.
Elle courait. Vite, très vite, de plus en plus vite pour dévaler cette pente interminable. Elle ne voulait pas tomber. Des pierres roulaient sous les semelles de ses baskets. Son jean était déchiré. Son pull. Couvert de sang. Et plus elle avançait, plus elle allait vite. Beaucoup trop vite, et ses jambes devaient courir encore plus rapidement pour garder l'équilibre. Emportée par la peur. Emportée par la pente. Elle se sentait tirée vers l'avant par le vide qui lui faisait face, comme un aimant.
Autour d'elle, le maelström. Elle ne voyait rien. Mais elle entendait. Ses pas dans la neige. Les battements désordonnés de son cœur. Le cri du vent. Les inspirations irrégulières secouées de sanglots.
Le bruissement du tissu contre sa peau. Douloureux.
Pour filer comme une flèche. Sans rien distinguer ni ressentir. Les larmes, la neige, la nuit, le sang. Elle était aveugle. Si seulement Kuga avait été dans les parages. Elle l'aurait sauvée.
Et ces arbres qui défilaient à toute allure sur les côtés, qu'elle peinait à éviter, dont les feuilles griffaient si fort et dont les branches se tortillaient et lui arrachaient des mèches de cheveux noirs. Et un cri de douleur étouffé. Elle ne pouvait pas s'arrêter pour démêler les quelques cheveux qui avaient la malchance de se laisser saisir. Il fallait vivre.
Et pour la première fois de sa jeune vie, Nina regrettait le fait d'habiter dans une maison isolée du village.
Elle était rentrée chez elle tard ce soir-là. Comme d'habitude. Elle voyait les lumières allumées découper les fenêtres du salon depuis l'extérieur.
Elle avait quitté la route pour emprunter le sentier qui menait à l'habitation qu'elle partageait avec son père, les pneus enroulés de chaînes de la voiture avaient crissé sur les pierres et le sol recouvert d'une épaisse couche de givre. La Ford rouillée avait bien failli ne pas parvenir à monter les premiers mètres, une petite marche de terre bloquait le passage, et elle avait donné un coup d'accélérateur afin de la faire avancer. Le vieux moteur avait vrombi comme un animal sauvage en cage. Elle avait même eu peur d'alerter le village entier, pourtant presque un kilomètre plus bas. Ironie du sort. Ce n'était pas du village qu'il aurait fallu s'inquiéter, mais de ce qu'il se passait en haut.
Deux-cents mètres. C'était la distance à parcourir depuis la route jusqu'à la porte de chez elle. Deux-cents ridicules petits mètres.
Elle avait garé la voiture dans un autre vrombissement de moteur. Parce qu'elle avait pris son temps pour faire un créneau et garer l'engin avec précision, comme elle l'aimait. Parce que papa aimait ne pas avoir à le faire le matin quand il partait travailler. Elle avait tourné les clés afin d'arrêter le moteur. Lentement. Doucement. Enlevé la ceinture de sécurité. Soupiré et posé sa tête contre l'arrière du siège en fermant les yeux et en se massant les tempes.
Fatiguée. Elle avait trop bu. Elle avait mal à la tête. Elle avait simplement voulu se coucher. Si seulement elle avait fait plus attention. Si seulement. Après avoir passé quelques minutes à ne rien faire, elle avait récupéré son sac sur le siège passager et était sortie en prenant son manteau sous le bras. Le froid l'avait assailli et elle avait trottiné jusqu'à la porte d'entrée en fouillant dans son sac. À la recherche des clés perdues. Qu'elle n'avait pas retrouvées. Elle avait alors pensé qu'il faudrait qu'elle demande à Erstin de regarder si elle ne les avait pas oubliées chez elle.
Elle avait levé le bras pour frapper à la porte, un sourire ironique sur le visage et le regard anxieux, car papa n'aimait pas, comme n'importe qui, être réveillé à deux heures de matin pour aller ouvrir une porte d'entrée parce que sa fille était suffisamment tête en l'air pour avoir oublié, perdu, peu importe, les siennes.
Mais la porte s'était entrouverte d'elle-même sous la pression de ses doigts. Et le sourire avait disparu. Le regard anxieux était resté. Elle avait appelé son père. Serguey? Serguey? Pas de réponse. Étrange. Bizarre.
Inquiétant?
Mais non, voyons, il ne fallait pas être paranoïaque! Il avait peut-être simplement oublié de refermer et était allé se coucher. C'était tout.
Elle avait tâtonné pour trouver l'interrupteur et avait sèchement appuyé dessus afin d'allumer la lumière. Elle avait parcouru l'entrée des yeux, avait remarqué que le manteau de Serguey était pendu, comme à son habitude, sur le porte-manteau près de la porte de la cuisine. Elle y avait pendu le sien. Et déposé son sac. À pas feutrés, elle s'était introduite dans la cuisine -Serguey?- et avait souri en voyant qu'il n'avait pas fini son assiette et l'avait laissée sur la table. Et un petit rire. Les hommes. Quand apprendraient-ils à faire la vaisselle avant que l'évier ne déborde? Elle avait pris l'assiette, avait jeté ce qu'il restait du dîner à la poubelle, et l'avait déposée dans l'évier aux côtés de six tasses de café et d'une casserole recouverte de sauce tomate. Elle avait ensuite traversé le salon, plongée dans le noir. Serguey? Pas de Serguey.
Mais la télévision, allumée, braillait. Étrange. Bizarre.
Inquiétant.
La télécommande était sur la table basse. Elle avait allumé la lumière, l'avait saisie rapidement, alerte, et avait appuyé sur le bouton off en quatrième vitesse. L'image avait disparu de l'écran pour être remplacée par une surface noire plane. Silence. Serguey? Elle avait rapidement gravi les escaliers et foncé directement au fond du couloir. Serguey? Serguey? La porte de la chambre, ouverte.
La porte d'entrée en bas avait claqué. Elle avait sursauté, s'était retournée, et son estomac avait commencé à se tordre. Étrange. Inquiétant.
Effrayant.
Serguey?
En passant sa tête dans la chambre obscure, Nina n'avait rien vu d'étrange. Son père dormait simplement dans son lit, comme elle aurait dû s'y attendre. Elle avait soupiré de soulagement.
Elle avait tourné les talons. En bas, elle pouvait voir une partie du salon.
Les lumières étaient éteintes.
Impossible.
Ce n'était qu'à ce moment là qu'elle avait eu peur. Si seulement elle avait fait plus attention! Comme elle regrettait. Quelqu'un était dans la maison. Quelqu'un qui n'était pas Serguey.
Et c'était cela qui faisait peur. Elle était alors entrée dans la chambre de son père en courant. Serguey? Serguey! La lumière, vite! Il y avait quelque chose de poisseux sur l'interrupteur. Dans un clic sonore qui avait semblé lui percer les oreilles, les ampoules s'étaient allumées et elle avait vu rouge.
Les yeux écarquillés, comme s'il venait de voir la chose la plus effrayante qui soit, Serguey regardait le plafond avec un visage terrifié. Et le regard vide. Et le sang sur les draps, sur l'interrupteur et sur ses doigts, Nina avait hurlé.
Le reste était un enchevêtrement de sons et d'images. Elle avait dévalé les escaliers. Vite, vite, prévenir quelqu'un, vite, vite! Traverser le salon dans le noir -impossible!-, empoigner son sac près de l'entrée, plongée dans l'obscurité, et se précipiter vers la porte.
Dehors, elle avait fait un tour complet sur elle-même et avait failli en perdre l'équilibre. Où était-il? Où était-il? Mon Dieu, où était-il? Vite, vite, la voiture, vite!
Les pneus étaient crevés.
Il était encore là.
Deux-cents ridicules petits mètres. Elle avait commencé à courir quand elle avait vu que les lumières du salon étaient de nouveau allumées.
Le tueur.
Et à présent, elle filait à toute allure vers Osomura. Vers la lumière. Vers la vie qui s'y trouvait. Et la promesse de survivre. Les deux-cents mètres avaient été parcourus depuis une éternité, mais elle n'avait pas suivi la route. Trop longue. Qui serpentait paresseusement vers le village. Beaucoup trop de temps perdu.
Et Kuga qui n'était pas là.
Elle coupait à travers la forêt. Tout droit, vers le bas. Vite, vite! Beaucoup trop vite. La neige tombait. Elle entendait sa respiration erratique et le crissement du givre sous ses pieds, le bruissement du vent entre les branches. L'impression d'avoir un vide brûlant dans la poitrine et la gorge remplie de lave. Des jambes prêtes à céder qui moulinaient à toute allure pour tenter de garder le rythme de sa fuite effrénée. Vite, vite! Plus vite! Ses pas à lui, derrière elle. Comme des tambours qui lui disaient qu'il était là aussi, qu'il la suivait, qu'il l'attraperait, qu'elle n'avait aucune chance.
Qu'elle était déjà morte.
Elle n'allait pas assez vite.
Une branche virevolta vers elle et avant qu'elle ne comprenne ce qui lui arrivait, une douleur insupportable lui creva les yeux. Intolérable. Un cri étranglé lui échappa et elle se sentit basculer sur le côté. Emportée par le vide. Misérable Œdipe. Sa respiration se coupa quand elle heurta le sol avec une telle violence qu'elle sentit son corps rebondir dans un craquement de terreur et de sang et flotter pendant quelques secondes avant de retomber.
Elle n'était plus que souffrance.
Plus aucun son ne s'échappait de ses lèvres fendues par une de ces innombrables branches de sapins martyrs. La vitesse et la gravité la tirèrent vers le bas encore, et elle se vit rouler dans la lave. Contre les cailloux qui lui percèrent le dos et le givre qui lui coupa la peau.
Interminable chute.
Mortelle. C'était l'enfer.
Elle heurta quelque chose, qui stoppa sa course folle dans un délire de désolation. De la roche froide frappa son dos. Elle sentit son corps se déchirer et partir en lambeaux entre ses doigts. Comme un champ de bataille. Comme les ruines d'une ville.
Elle n'existait plus. La vie s'en allait.
Et sa respiration, à lui. Si proche, déjà! Ses pas qui brûlaient le givre. Qu'elle entendait à peine derrière la barrière des pulsations affolées de son cœur et du sang qui circulait dans ses tempes avec force et dans ses oreilles. Le bruit des tambours en furie était si puissant qu'elle se persuada qu'il s'écoulait le long de sa mâchoire à chaque battement.
Elle ne pouvait plus bouger. Mon Dieu, que se passait-il? Tout était allé si vite! Elle ne comprenait plus rien.
Elle le sentit s'arrêter près de ce qu'il restait d'elle, folle de douleur, aveugle et sourde. Souffler à son oreille. J'espère qu'Erstin ne viendra pas demain matin me rapporter mes clés.
Et puis la douleur encore, violente, qui la fit suffoquer et écarquiller ce qu'il restait de ses yeux. Étonnée. Qu'est-ce que.. Son corps se consumait. Un hurlement silencieux s'échappa de ses lèvres et un liquide brûlant jaillit dans son sang à une telle vitesse qu'elle eut à peine le temps d'enregistrer que quelque chose circulait dans ses veines avant d'expirer pour la dernière fois. Du sang. Un gargouillis désagréable.
Et puis plus rien.
____________________ _____
Dans un claquement de portière, Haruka sortit en soupirant de la voiture qui avait la charge de la mener sur la scène du crime. Encore une journée qui s'annonçait longue et pénible. Il n'était que dix heures du matin et déjà, elle se trouvait sur le terrain d'un meurtre apparemment sordide. Le pire, c'était sans doute qu'elle ne parvenait pas à s'en étonner. Depuis le temps qu'on lui disait de faire attention. Elle aurait simplement souhaité, pensa-t-elle alors qu'elle posait son regard sur le village d'Osomura, à une vingtaine de mètres en contrebas de là où elle se trouvait, que la police aurait pu protéger les habitants isolés comme elle le faisait pour les villageois.
Deux policiers attirèrent son regard en descendant vers elle. Un peu plus haut, à peine quelques mètres avant la route, une dizaine d'hommes se pressaient autour du corps inanimé de la jeune femme assassinée la veille avec circonspection, comme des fourmis prêtes à bondir sur une source de nourriture alléchante. Drôles de vautours. Rapaces. Elle se dirigea vers eux en évinçant d'un revers de la main son escorte et grimpa le talus, emmitouflée dans son manteau noir et son écharpe vert pomme, les mains fermement enfouies dans les poches de son pantalon.
Quelle drôle de scène. Tout était de sa faute.
La jeune femme s'appelait Nina Wang, c'était ce qu'on lui avait dit. Dix-neuf ans. Si jeune.
On l'appela sur sa droite avant qu'elle n'atteigne l'énorme rocher derrière lequel elle voyait la police scientifique s'affairer avec un peu trop d'enthousiasme à son goût. « Commissaire! »
Elle se tourna vers l'homme qui lui faisait face, apparemment essoufflé d'avoir couru. « Sakomizu? » demanda-t-elle avec surprise. Le vieil homme était le responsable de l'autopsie. Sa présence sur les lieux n'était pas une bonne nouvelle du tout, pensa-t-elle rapidement en le voyant épousseter son imper, il préférait rester dans son laboratoire plutôt que de se déplacer. Elle se demanda alors à quoi pouvait bien ressembler le cadavre pour déchaîner autant de passion chez les photographes et même susciter assez de curiosité chez le grand chef lui-même pour le pousser à venir en personne.
Tout ça ne lui disait rien de bon.
« Que faites-vous ici? » demanda-t-elle sans aucun tact. Ça n'était pas son genre. Et elle avait autre chose à faire.
Le petit homme tapota son énorme ventre. « C'est assez affreux » commença-t-il avant de lui faire signe de le suivre, un petit sourire sur le visage, « je voulais vous faire l'exposé de ce que nous avons déjà trouvé dès que possible ».
« C'est si terrible? » interrogea-t-elle en jetant un regard derrière elle pour, d'un signe de la main, demander aux policiers qui étaient venus l'accueillir de l'attendre sagement en bas. Comme les bons chiens qu'ils étaient.
« C'est magnifique et terrifiant en même temps » répliqua-t-il avec un sourire excité qui lui donna la nausée. Le problème avec la police scientifique et la raison pour laquelle elle n'aimait pas travailler avec eux était leur capacité à rire de tout, même des visions de cauchemar. Elle ne répondit pas et préféra se focaliser sur leur destination. Quelques secondes plus tard, elle contournait le rocher et rejoignait les photographes, ces rapaces, qui sautaient comme des puces à la vue de ce qui devait être un cadavre particulièrement amoché.
Que pouvait bien faire Nina Wang au milieu des bois ? se demanda-t-elle furtivement en posant son regard sur le corps de la jeune femme, à un mètre à peine de ses bottes, qui nageait dans le sang et la neige.
« Il a neigé toute la nuit, son corps était à moitié recouvert de neige quand on l'a retrouvée ce matin », commença Sakomizu, imperturbable.
Elle le coupa, incapable de quitter des yeux la scène. Fascinant, en effet. Quelle horreur!
« Qui l'a retrouvée? »
Il s'ébroua et remit ses lunettes en place. « Un trappeur. Une femme qui s'appelle Kuga. C'est elle qui a donné l'alerte. » Il soupira avant d'ajouter : « Elle est en haut, avec Kikukawa, pour l'autopsie du père. »
Haruka grinça des dents. Ce type était un malade. Elle s'agenouilla sans un mot devant le corps de Nina Wang, qu'elle devinait être une magnifique jeune femme, et dut se retenir pour ne pas passer une main dans ses cheveux. À ses côtés, Sakomizu commença son exposé, les mains dans les poches et visiblement peu gêné par la présence de ces insupportables vautours qui tournaient autour d'eux, armés jusqu'aux dents, en discutant de ce qu'ils avaient mangé la veille et de ce qu'ils pensaient faire l'après-midi au parc d'attractions.
Ça devait être la force de l'habitude.
« Elle a probablement couru depuis chez elle jusqu'ici pour chercher de l'aide. Le tueur devait la poursuivre, ou alors elle a pris peur en retrouvant le cadavre de son père, plus haut, nous ne savons pas. » exposa-t-il. Il s'agenouilla et pointa du doigt le visage strié de lignes rouges plus ou moins profondes. « Ce sont les marques laissées par les branches des arbres. Elle a dû se laisser emporter par la pente dans la panique, du coup les branches- »
« Je sais, je sais » coupa-t-elle avec agacement. Pas besoin de lui faire un dessin. Elle comprenait très bien ce que des branches pouvaient faire lorsqu'elles fouettaient la peau avec suffisamment de violence. « Que s'est-il passé pour ses yeux? » demanda-t-elle pour changer de sujet.
« Des branches également. » répondit-il, pensif. « Il est arrivé un moment où elle a perdu l'équilibre et où elle est tombée. C'est ce qui explique que son corps soit couvert de bleus, vous voyez, là et- »
« Je vois très bien, merci ».
Il claqua des dents avec énervement. « Commissaire, si vous ne supportez pas de voir un peu de sang et quelques bleus, je vous conseille de démissionner » siffla-t-il avec mauvaise humeur, « mais si vous êtes là, c'est pour me laisser faire mon travail. Alors taisez-vous et écoutez. »
Elle s'apprêta à répliquer quelque chose de très désagréable quand elle remarqua un attroupement de silhouettes qui avançait vers eux depuis le village. Merde.
Elle se redressa immédiatement et, sans prêter attention au fait que ses cheveux blonds lui retombaient en travers du visage, gesticula des bras avec emphase vers les policiers restés sur la route. « Oh! » cria-t-elle, « pas de sibylles ici, emmenez-moi tout ça ailleurs! » Elle pointa du doigt les habitants qui commençaient à se rassembler, visiblement intrigués, quand elle remarqua que ses subordonnés la regardaient sans comprendre. « Allez, sécurisez-moi cette zone, bordel! ».
Aussitôt dit, aussitôt fait. Les policiers se mirent en marche pour intercepter les passants et Haruka se tourna de nouveau vers Sakomizu, inquiète. « Il va falloir dépecer le corps rapidement. »
Il la regarda, atterré. « Dé-dépecer? Mais enfin, commissaire qu'est-ce que vous- »
« Je voulais dire déplacer » se reprit-elle immédiatement, « déplacer, dé-pla-cer. ». Elle souffla et s'agenouilla à nouveau devant le corps pendant que Sakomizu récupérait visiblement de son étonnement. « Alors », reprit-elle avec sérieux, « ces yeux? »
Il remit ses lunettes en place et se passa une main dans la touffe de cheveux frisés qui lui servait de chevelure avant de répondre. « Une branche, comme je disais. Une plus grosse qui lui aurait fait perdre l'équilibre. Elle a dû la prendre dans les yeux au moment où elle allait le plus vite, ce qui explique les dégâts que vous pouvez voir, comme la paupière explosée et les- »
« Oui, oui, d'accord » dit-elle en tortillant une mèche de cheveux entre ses doigts. Pauvre Nina. Que t'est-il arrivé? Son regard se posa de nouveau sur les toits en contrebas. Si près du but. Quelques dizaines de mètres à peine et elle était sauvée. Elle soupira et se pinça l'arrête du nez. « La chute l'a tuée? »
Sakomizu, qui se mordait la lèvre, sans doute pour ne pas lui répliquer quelque chose de désagréable, secoua la tête en signe de négation. « Nous ne savons pas. Mais regardez un peu ici. » Il pointa le cou de la jeune fille en grimaçant. « Vous voyez les deux trous là? » Elle hoche la tête, intriguée. « Une bête? Un chien peut-être. » tenta-t-elle. Le médecin secoua de nouveau la tête. « Nous ne savons pas, mais il y a des chances que ce soit ça qui l'ait tué. Ou alors, c'est juste pour le spectacle. Il faut que je puisse regarder ça de plus près, tranquillement au labo. Et puis ça ressemble à- »
« À ce meurtre il y a neuf ans, c'est ça? »
Il la regarda, suspicieux. « Comment vous savez ça, vous n'étiez pas encore- »
« Le commissaire Tanaka m'en a parlé lorsqu'il m'a formée. » Elle se releva et épousseta son manteau des aiguilles de sapin qui s'étaient accrochées à lui en ignorant l'énervement manifeste de son interlocuteur. « Je crois que c'est bon pour moi. Emmenez-la au labo et faites votre travail, je ne vous dérangerai plus. » Elle trottina jusqu'à la route, quelques mètres plus bas, en faisant attention de ne pas glisser sur les plaques de glaces cachées par la neige, et, sans prêter attention aux policiers qui tentaient tant bien que mal de maintenir le calme chez la population, s'engouffra dans sa voiture et démarra.
Elle avait peur de ce qu'elle allait trouver en haut.
Après plusieurs minutes pendant lesquelles elle suivit le serpent de bitume avec impatience, elle ne put s'empêcher de penser qu'elle était la responsable de tout ça. Elle avait décidé de poster des hommes à Osomura quelques jours plus tôt, parce que les habitants s'inquiétaient de voir de plus en plus d'animaux morts dans les environs.
Trois hommes. Juste pour dire de les mettre là. Pour montrer que la police faisait quelque chose. Enfin, faire croire qu'elle faisait quelque chose. De toute évidence, on ne faisait jamais rien avec trois bras cassés stationnés dans un hôtel au centre d'un village de trois cents habitants.
Devait-elle s'en vouloir de ne pas avoir prêté plus d'attention à ces carcasses ? Elle commençait à se demander si ça n'avait pas été le début, le prologue à quelque chose de beaucoup plus important. De beaucoup plus effrayant. Allez savoir ce que ça pouvait être.
Elle s'arrêta lorsqu'elle atteignit le sentier menant à la maison de Serguey et Nina Wang. Isolée, en effet. Beaucoup trop éloignée du village. Pas étonnant que Nina ait décidé de couper à travers les bois. Excellente idée. Mais quelle idée stupide. Le tueur n'avait eu qu'à la suivre de loin et attendre qu'elle tombe, ce qui ne pouvait pas ne pas arriver dans de telles circonstances.
Les pneus crissèrent sur la neige et elle dut donner un coup d'accélérateur sur les premiers mètres afin que la voiture puisse grimper la bosse de terre qui bloquait le passage. Quel village pourri! Tout n'était que forêt, neige, boue et givre! Elle le détestait déjà. Vivement le jour où elle pourrait retourner à Furano pour tabasser les petits dealers du dimanche.
Elle s'arrêta au moment où elle passa devant la voiture qui était tranquillement garée à côté de la maison. Pourquoi ne pas avoir pris la voiture pour fuir, Nina? Les rapaces étaient déjà là. Ils fumaient une cigarette dehors en plaisantant. Un énorme chien blanc était allongé près d'eux, visiblement endormi. Elle soupira. Elle détestait la police scientifique. La portière claqua avec force quand elle sortit et cela fit sursauter les hommes postés dehors, certains en perdant même leur cigarette qui s'éteignit dans la neige.
Un ronronnement satisfait résonna dans le crâne d'Haruka qui leur fit son plus beau sourire. Elle se dirigea vers la voiture des Wang avec curiosité. Pourquoi ne pas l'avoir prise? Elle tourna autour de l'engin avant de se rendre compte de ce qui clochait.
Les pneus.
Le tueur avait pris la peine de crever les pneus? Pourquoi? Pour forcer la jeune fille à courir, réalisa-t-elle. Pour jouer. Ou pour lui faire peur et la pousser à prendre des décisions désespérées. Comme s'élancer dans une pente abrupte au milieu de la nuit et de la neige. Elle se passa une main dans les cheveux, accroupie devant l'un des pneus morts. Probablement un... elle regarda autour d'elle. Une lame. Un long couteau. Mais il n'y avait rien autour d'elle. Il l'avait emportée, bien sûr. Il avait l'air particulièrement malin, alors laisser une arme sur une scène de crime n'était pas une erreur qu'on pouvait attendre de lui. Comment avait-il fait pour tuer le père sans que la fille ne s'en rende compte?
Il aurait crevé les pneus, serait entré, aurait tué le père. Nina l'aurait vu, peut-être alertée par le bruit, se serait enfuie. Ou alors pas du tout. Peut-être que... elle soupira.
Après s'être relevée, elle parcourut les quelques mètres qui la séparaient de la porte d'entrée et s'y engouffra sans prendre garde aux regards énervés que lui jetèrent les hommes postés devant elle. L'entrée n'avait rien d'anormal. Les manteaux étaient pendus près d'une porte ouverte qui menait vers ce qui semblait être la cuisine. De l'autre côté, constata-t-elle en avançant, se trouvait le salon. La cuisine d'abord. Pour les couteaux. Peut-être était-il entré, avait d'abord pris un couteau dans la cuisine pour crever les... mais pourquoi prendre une telle précaution? Il n'avait pas l'intention de laisser Nina sortir, si?
Ses yeux parcoururent la pièce et tombèrent sur un post-it négligemment posé sur la porte du frigo.
Je suis chez Erstin, ne m'attends pas pour manger ce soir, d'accord?
C'était donc ça, pensa-t-elle en prenant le post-it entre ses doigts. Nina n'était pas là hier soir. Elle avait pris la voiture. Le meurtrier était entré et avait tué Serguey et... et après? Il avait attendu que Nina rentre. Mais dans ce cas, elle ne pouvait pas ne pas le voir en entrant, et il n'aurait pas eu le temps de crever les pneus. Impossible. Il était donc ressorti. Ou il s'était caché à l'intérieur. Pourquoi faire? Peut-être qu'il n'avait pas eu le temps de ressortir. Elle était peut-être rentrée trop tôt. Il s'était donc caché dans la maison et était ressorti ensuite pour crever les pneus. Et attendre que Nina ne revienne, paniquée, après avoir découvert le corps de son père.
Elle tourna sur elle-même. Quel merdier.
Elle pénétra sans discrétion dans le salon et fut surprise de voir que tout semblait y être en ordre. Il ne s'était pas caché là, il n'y avait pas de recoin, pas de coin sombre, pas d'énorme meuble, rien. Elle pivota et ouvrit la porte qui se trouvait sous les escaliers, au fond de la pièce. Les toilettes. Il se serait caché là en attendant que Nina monte les escaliers?
« Haruka! » fit une voix féminine du haut des escaliers. Elle releva la tête. Entre les barreaux, elle devinait les chaussures noires de Yukino. Cette dernière descendit les escaliers et lui sourit. « Il est en haut. »
« Comment est-il? » demanda-t-elle en se laissant guider dans les escaliers.
« En très bon état je dirais » lui répondit l'autre derrière ses lunettes. « Il paraît que l'autre corps est terrifiant à regarder, les experts ne parlent que de ça. » Elle s'arrêta devant une porte et s'écarta pour la laisser passer. La blonde entra sans hésitation et devina la présence d'un corps derrière le rideau d'experts qui s'affairaient à ses côtés. Elle en écarta quelques-uns d'un revers de coude et se faufila jusqu'au lit où Serguey Wang reposait.
De toute évidence, il était en bien meilleur état que sa fille, pensa-t-elle en voyant que les draps tachés de sang avaient déjà été retirés et gisaient dans un sac plastique dans un coin de la pièce. Seuls deux trous dans le cou montraient la trace d'une agression.
Et le regard du mort.
Haruka se demanda ce qui pouvait faire peur à un homme au point de rester figé sur ses traits dans la mort. La chose devait être horrifiante. Et tout cela n'avait rien pour la rassurer. C'était une bête? Mais les bêtes ne se cachaient pas dans les maisons et ne crevaient pas les pneus de voiture!
Un éclat de vert attira son regard et l'arracha à sa contemplation. Près de la fenêtre, adossée contre un mur, une femme aux cheveux noirs comme de l'encre la regardait, un fusil non-armé sous le bras et une veste en cuir lâchement enroulée sur les épaules. Haruka cligna des yeux un instant. Un civil? Un civil sur sa scène de crime?
Elle fit un geste nonchalant du pouce vers la sortie, les yeux fixés sur la présence clandestine, « Pas de civil ici, dehors. » La jeune femme ne sembla pas réagir mais la gratifia d'un sourire amusé qui lui fit voir rouge. Qu'est-ce que-
« Oh, Haruka » fit Yukino derrière elle, « voici Natsuki Kuga. C'est elle qui a retrouvé Nina et Serguey Wang ce matin. Je lui ai demandé de rester ici pour que tu puisses l'interroger. »
Oh.
Le sourire de Natsuki Kuga s'agrandit, mais n'atteint pas ses yeux. Difficile dans de telles circonstances remarqua Haruka. La blonde soupira et se pinça l'arrête du nez en fermant les yeux. Elle avait déjà mal à la tête.
Tout ça s'annonçait mal. Elle allait avoir besoin d'aide.
Posté le: Ven Jan 22, 2010 9:09 pm Sujet du message:
Briseglace, on sent que tu vas encore nous servir une fic noire à souhait XD...
en tout cas, ça commence plutôt bien (enfin, façon de parler, bien sûr)
_________________ Et vous, vous dites chocolatine ou pain au chocolat?
Posté le: Lun Jan 25, 2010 12:35 am Sujet du message:
Oh, tu l'as posté ^^
Welcome back !
Pour un premier chapitre, tu fais fort au niveau de l'ambiance: de l'angoisse et des morts, sans préavis ni pitié, c'est corsé
Bonjour le stress, quand Nina réalise qu'elle n'est plus seule dans la maison...brrr. Au moins tu ne ménages pas tes lecteurs ^^
Hum, à ma première lecture je me souviens avoir pensé que Shizuru était peut-être le tueur...(le coup de la morsure...le venin...un serpent...une hydre...etoussa) mais vu ton synopsis je fais fausse route (en même temps, te connaissant c'eut été trop facile :p)
Que dire à part que je suis ravie de lire cette autre fanfic de ton cru ? ^^
Inscrit le: 21 Mar 2009 Messages: 164 Localisation: Sur le toit.
Posté le: Mer Jan 27, 2010 4:31 pm Sujet du message:
Oui, je me suis lancée.
Je sais que ça ne change pas vraiment de registre par rapport aux fics précédentes mais j'aime tellement ça, je peux pas m'en empêcher. Vous avez eu peur? J'aimerais bien ^^.
C'est intéressant ce que tu dis Miya, j'y avais pas pensé, mais c'est vrai que Shizuru aurait pu être ce genre de psychopathe ^^. En même temps oui, ça aurait été trop évident (encore aurait-il fallu que ce soit intentionnel, hum).
Non, moi je me suis juste dis que puisque c'était la mode de faire des histoires de vampires, loups-garou et autre bestioles sympathiques, j'allais essayer d'en faire une à moi.
Inscrit le: 21 Mar 2009 Messages: 164 Localisation: Sur le toit.
Posté le: Sam Fév 13, 2010 7:02 pm Sujet du message:
Hey! Devinez quoi .
Tadaaam! Nouveau chapitre, yeah, trop fort! Est-ce que j'ai le droit de dire que c'est un spécial Saint Valentin ? Non? Bon, c'pas grave.
Hum. Bon. Dans ce chapitre, plantage de décor et arrivée du personnage principal que tout le monde adore (ou pas). A part ça, pas grand chose.
Merci Miya pour la correction, c'est impecc', comme d'habitude ^^.
Bonne lecture, ce chapitre est nettement moins angoissant que le prologue, vous ne devriez pas faire de crise cardiaque ^^.
Le Rendez-vous des Princes
Chapitre 1
Des corps inanimés qui gisaient dans les rues de Tokyo au petit matin et qui amenaient devant les devantures des magasins l'odeur putride du sang séché, elle en avait déjà vu des dizaines. Souvent si amochés qu'on peinait à les reconnaître. Tellement qu'elle en venait à ne même plus s'étonner ni être choquée lorsqu'elle en découvrait un nouveau. Pourtant, malgré l'expérience et les enquêtes successives, celui de Shiho Munakata ce matin-là lui retourna le cœur.
Elle devait être trop jeune. Il y avait des choses qui ne s'apprenaient qu'avec le temps. Takeda Masashi, par exemple. À cinquante-six ans, son supérieur n'avait probablement même plus conscience des cadavres immondes qu'il voyait tous les jours.
Armée d'un gobelet de café de mauvaise qualité comme elle le détestait le plus, elle laissait son regard nonchalant se promener sur le corps en lambeaux de la jeune adolescente. Quelle horreur!
La fille n'avait pas quinze ans. Si jeune. Elle s'étonna, sans doute avec une curiosité morbide, de voir que le visage de Shiho était à peine égratigné quand la totalité de son corps était un véritable champ de bataille. Les membres avaient été broyés, en petits morceaux, très petits morceaux, et il ne restait rien d'autre qu'une bouillie immonde éparpillée ça et là dans une mare de sang.
Éparpillés, oui. Dispersés comme les cailloux du Petit Poucet.
La rue entière était repeinte en rouge, carmin ou vermillon, tout dépendait de la couleur des murs en dessous. Sordide. Shizuru pensa en voyant la scène, qui avait fait vomir quelques-uns de ses subordonnés et que la plupart des experts refusaient encore de regarder, qu'elle avait affaire à un artiste.
Et quel artiste. La composition était pour le moins colérique. Elle avala une gorgée de café, qui lui parut étrangement plus amère que d'habitude, et avança vers ce qu'il restait de l'être qui s'était appelé un jour Shiho Munakata.
Les questions pratiques étaient toujours celles qui venaient les premières à l'esprit dans ces moments là. Comment allait-elle faire pour prévenir ses parents? Comment allaient-ils faire pour la reconnaissance du corps? Réalisa-t-elle à mi-chemin. Ils ne pouvaient tout de même pas ne leur présenter que la tête? Elle grimaça, pour sa pensée ou pour le café, elle ne savait pas trop. Cela ne faisait pas très sérieux. Voilà qui allait poser problème.
Comme il ne fallait pas salir la scène de crime, c'est-à-dire la rue tout entière, elle marchait sur des petites passerelles en bois qui avaient sans doute été disposées par les plus téméraires de la brigade. Elle n'allait pas s'en plaindre, car elle tenait à ce que ses bottes beiges ne souffrent pas trop de l'expérience tétanisante qu'elle était en train de vivre à l'instant même. Le sang, ça tâchait, toujours tristement indélébile. Il valait mieux éviter les éclaboussures depuis la mer de sang qui s'étendait sous ses talons. Les yeux rivés sur les pupilles dilatées du mort, elle se demanda comment le criminel avait réussi un tel carnage. Une masse? Quelque chose de contondant, comme un marteau. Il s'était acharné sur chaque morceau. Peut-être les avait-il découpés avant. Méthodique en tout cas. Il avait pris son temps.
Un artiste. Un génie du crime, méthodique et raffiné. Un passionné du détail. C'étaient les pires. Les plus difficiles à attraper. Les plus dangereux. Et les plus surprenants. Parce qu'ils changeaient les règles du jeu en cours de route pour s'amuser.
Quel drôle de jeu.
Shiho Munakata n'était pas la première. C'était la deuxième. Et c'était pour cette raison que Shizuru Fujino se trouvait sur les lieux du crime à sept heures du matin, l'heure habituellement réservée au thé, un gobelet de café à la main et la gorge nouée. Parce qu'un meurtre, ça n'était pas comme deux. À deux, une série commençait.
Et son travail était de les rechercher. Les meurtriers en série. Et ça n'avait rien de drôle, quand ces derniers s'avéraient être des broyeurs de corps. Elle pencha la tête sur le côté en plissant les yeux quand elle arriva à la hauteur de la tête solitaire.
C'était comme si Shiho Munakata n'existait plus.
Elle soupira et voulut jeter son café à la poubelle. Sa main se tendit avant de revenir sagement à son côté. Il y avait aussi de la chair au dessus du couvercle. C'était immonde.
Alors qu'elle s'apprêtait à s'accroupir en face du visage impeccable de la jeune victime en s'efforçant de ne pas vomir, une voix masculine s'éleva derrière elle.
« Shizuru! » cria Takeda Masashi, debout près de sa voiture, encore suffisamment loin de la scène du crime pour ne pas en mesurer toute l'horreur. Il lui fit signe de le rejoindre et elle se résigna, finalement pas plus gênée que ça à l'idée d'être interrompue, à revenir sur ses pas pour l'écouter. Elle savait déjà qu'elle n'aurait pas la force de se retourner pour revenir vers Shiho Munakata lorsque le temps viendrait pour elle de l'examiner.
L'homme lui fit une grimace qui se voulait sans aucun doute rassurante en se grattant l'arrière du crâne et attendit qu'elle arrive à sa hauteur avec un sourire gêné. « Je ne suis pas assez près pour voir tous les détails, mais je devine un peu ce que ça doit donner » commença le cinquantenaire quand elle se tînt devant lui avant de lui tendre un gobelet de thé. « J'ai pensé à toi, tiens, ça te fera sans doute plus de bien que le café imbuvable qu'ils nous ont servi tout à l'heure. »
Silencieuse, elle prît ce qui lui semblait alors être l'incarnation du Graal -du thé!- et lui fit un sourire, reconnaissante. Ils restèrent ainsi quelques instants, tranquilles, avant que Takeda ne resserre pensivement sa cravate et ne refasse le pli de son costume bleu marine.
« Qu'est-ce qui vous amène ici, Takeda? » souffla-t-elle alors en souriant plaisamment, comme à son habitude. « Je croyais que vous aviez décidé d'arrêter les crimes sordides pour vous occuper de la formation des jeunes officiers. »
Il lui sourit et s'alluma une cigarette avant de lui répondre. « La paperasserie m'ennuie » commença-t-il, une main dans la poche. « Enfin, maintenant que je suis là, je crois que j'aurais mieux fait de rester tamponner mes diplômes. Ça m'aurait évité ça. » finit-il en désignant la scène à laquelle elle tournait le dos avec sa cigarette. « Même après vingt-cinq ans de service, j'avais jamais vu ça. »
Elle se tourna vers la ruelle ensanglantée et soupira. Il y avait des jours où il valait mieux ne pas se lever. « J'imagine que celle-là est pour moi » déclara-t-elle, pensive. « Pas de chance. »
« Tu n'es pas obligée » répliqua-t-il simplement en regardant deux officiers courir vers l'extérieur de la rue pour y vomir tripes et boyaux contre un mur. Elle fronça les sourcils et lui fit de nouveau face, les yeux remplis de curiosité. « Vous n'êtes pas ici seulement pour m'offrir un thé » réalisa-t-elle, amusée. Il rit.
« J'ai un travail pour toi, et quelque chose me dit que tu as toutes les raisons d'accepter » exposa-t-il, cigarette au bec. Il fallait le dire. Le mentor de Shizuru Fujino ne manquait pas de classe. Et sous ses airs d'homme d'affaires inflexible, il avait un cœur d'or... et le besoin presque paternel de protéger sa disciple contre les mauvaises surprises que pouvaient potentiellement constituer les Shiho Munakata.
Elle pencha la tête sur le côté avec un sourire plus franc que d'habitude. Elle aurait donné n'importe quoi à cet instant pour ne pas avoir à faire face à l'artiste qui avait repeint les murs de la rue derrière elle. « Ara, quel genre de travail? » demanda-t-elle en cachant son impatience.
Il se frotta le menton, pensif. « Une affaire de vampire. »
Elle cligna des yeux. Il explosa de rire.
« Je plaisantais Shizuru, enfin, à moitié », reprit-il, les yeux brillants d'amusement. « Il y a eu des meurtres énigmatiques à Hokkaido il y a quelques jours. Rien d'aussi sordide que ce que vous avons aujourd'hui, mais fichtrement intéressant. »
Intéressant. Mais qu'est-ce que cela pouvait bien avoir à faire avec elle? Hokkaido n'était pas dans sa juridiction. « Qu'est-ce que ça a à voir avec les vampires? » questionna-t-elle en repoussant une mèche de cheveux châtains derrière son épaule.
« Ah! », il agita les mains, visiblement fier de son effet. « Je te laisse la surprise. » Il se reprit en voyant que la curiosité de son ancienne élève était piquée, et ajouta la dernière note de son argumentation, courte mais très efficace. « Haruka Suzushiro m'a demandé de t'envoyer là-bas, c'est elle qui est responsable de l'affaire et apparemment, elle pense avoir besoin de toi. »
Haruka? Le cœur de Shizuru bondit. Cela faisait des années qu'elle n'avait pas revu son amie. Elles avaient fait leurs études ensemble. Inséparables, d'une certaine façon, mais lorsqu'elles avaient quitté l'académie, elles avaient perdu contact. Shizuru était restée à Tokyo par fierté, et Haruka était partie rejoindre en Hokkaido une certaine Yukino qu'elle ne connaissait pas. En laissant derrière elle toutes ses ambitions. Haruka était peut-être un véritable bulldozer, il n'en restait pas moins vrai qu'elle savait ce qu'elle faisait. Un excellent flic. L'un des meilleurs, sans doute, même si Shizuru ne l'aurait admis pour rien au monde. Tokyo aurait eu de la chance de l'avoir dans ses rangs, de ça elle était certaine. Alors le fait qu'elle lui demandait de l'aide à elle, Shizuru Fujino, suffisait à prouver que l'affaire en cours était particulièrement ardue. Ou trop étrange pour l'esprit cartésien du commissaire de Furano.
« Hokkaido? » commença-t-elle après avoir gardé le silence pendant plusieurs minutes. « Où exactement, Furano? »
Il lui fit un sourire gêné.
Elle fronça les sourcils en se concentrant. Furano était quelque part au centre d'Hokkaido, c'était dans le massif. « Cette ville est minuscule par rapport à Tokyo, ça ne devrait pas être si difficile de dénicher un tueur. »
Un regard vers son supérieur suffit à lui faire comprendre qu'elle faisait fausse route. « Non? »
« Et bien, disons qu'à une dizaine de kilomètres de Furano, il y a un petit village. » commença-t-il, déconfit.
« Ara. » Un village. Non. Un petit village. Où est-ce qu'il voulait l'emmener, exactement? Elle resserra les pans de son manteau pourpre autour d'elle, expectative. « Et combien d'habitants y-a-t-il dans ce village? »
« Trois-cent vingt-six » commença-t-il avant de se reprendre. « Trois cent vingt-quatre. » Il se gratta le menton, les yeux dans le vague. « Vraiment étrange » finit-il par grommeler dans sa barbe inexistante.
Shizuru avala son thé d'un coup et reposa le gobelet sur le capot de la voiture dans un bruit qui reflétait son agacement. Elle avait toujours vécu à Tokyo. La perspective d'aller s'enterrer dans un trou perdu de trois-cents habitants ne lui disait rien du tout.
Devinant ses pensées par la force de l'habitude, Takeda soupira avant de se passer une main dans les cheveux. « Il y a des avantages », commença-t-il, « tu n'as que trois-cent vingt quatre suspects. À Tokyo, tu en as douze millions. »
Elle lui lança un regard atterré et il releva les mains en signe de défense. « Je vois juste le côté pratique de la chose, c'est tout » se défendit-il, faussement effrayé et visiblement très amusé par la situation.
Shizuru ne répondit pas mais jeta un dernier coup d'œil furtif à la ruelle ensanglantée qui la défiait de revenir vers elle, narquoise.
Quelques vampires ne devaient pas être si difficiles à déterrer.
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Osomura. C'était comme cela qu'il s'appelait. Le village.
Shizuru voyait les toits se découper entre les arbres et la route qui serpentait sur le flanc de la colline pour l'atteindre. Un village de montagne. S'il n'avait pas fait si froid et que la neige n'avait pas uniformisé le paysage, elle aurait sans doute trouvé que c'était une très jolie vue.
Elle était encore à Furano. Adossée contre sa voiture, quelque part près de la sortie de la ville, elle se tenait prête à repartir mais n’était pas pressée d'arriver. Plus elle avançait, plus elle se demandait si elle avait fait le bon choix. Elle n'aimait pas le froid, elle n'aimait pas la neige, elle n'aimait pas la montagne et elle se retrouvait là, de son propre gré, ce qui ne manquait pas d'ironie, à se demander s'il était encore temps de faire demi-tour. Ses bottes étaient trempées par la neige. Son manteau fermé, le col remonté au dessus de son visage ne suffisait pas à la protéger du froid comme elle l'aurait voulu. Elle se rassura en repensant à ce que lui avait dit le responsable du restaurant où elle s'était arrêtée quelques heures plus tôt.
Les nuits en Hokkaido étaient glaciales, mais les journées plutôt douces. Le climat tenait ses promesses. Takeda lui avait dit avant son départ qu'Hokkaido était un peu comme la Sibérie, mais elle avait cru qu'il s'agissait d'une blague. Malheureusement, ça n'en était pas une.
Elle soupira une dernière fois et ouvrit une nouvelle fois la portière de sa voiture pour s'y engouffrer avant de la claquer fermement.
Quel merdier.
Ses yeux se baladèrent sur le tableau de bord comme pour y trouver une raison de repartir vers le sud immédiatement, sans trouver de réponse. Résignée, elle remit le contact et quitta le parking où elle s'était garée quelques minutes plus tôt en ronchonnant intérieurement, bercée par les chansons pop qui passaient à la radio. Anata garasu nooo me de dooona yume wo. Vivement que ce vampire soit trouvé, qu'elle puisse retourner à ses cadavres broyés et ses ruelles ensanglantées.
Home, sweet home. Kokoooro ga saketeee.
Un vampire, vraiment, repensa-t-elle alors que la voiture commençait à grimper le flanc de colline avec bravoure. Les vampires n'existaient pas. Cela devait encore être l'une de ces blagues dont Takeda était si friand. Elle n'imaginait même pas ce que le meurtrier faisait à ses victimes pour qu'on lui donne un pareil surnom. Elle espérait juste qu'il ne s'agisse pas de sang, de chair broyée ou de murs repeints en rouge carmin.
Elle avait besoin de vacances. Que faisait-elle ici?
Shizuru avait eu du mal à l'admettre, mais ses réflexions durant le trajet lui avaient prouvée qu'elle était mortellement intriguée par cette histoire. Son supérieur avait été si énigmatique. Elle était curieuse, vraiment curieuse, et c'était sans doute pour cette raison qu'elle n'avait pas encore fait demi-tour. Les mystères étaient toujours si amusants à résoudre, et si rares à trouver. Hiza wo kakaete heya non katasumiii.
Et Haruka avait demandé son aide. Et les amis ne refusent pas de s'aider. Peut-être était-ce plus pour cette raison qu'autre chose, finalement, qu'elle avait filé presque immédiatement après avoir appris que sa vieille amie avait besoin d'elle. Le lendemain matin. Les affaires avaient été rapidement pliées et mises dans une valise, le plein d'essence avait été fait, et elle était partie presque sans prévenir. Presque avec frénésie et -oserait-elle le dire?- bonne humeur. Adieu Tokyo, adieu Honshu.
Yawaraka na ai boku ga todoke ni iku yo. Et bonjour la neige, le froid et le désert humain. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour ses amis, tout de même.
Le voyage avait été long. Peut-être aurait-elle dû prendre le train plutôt que de s'évertuer à voyager en voiture. Hokkaido était si loin au nord! Elle avait vu le paysage se métamorphoser au fil des heures, la température chuter, la végétation changer. À Tokyo aussi, c'était l'hiver, mais elle n'avait compris les réelles dimensions de cette saison qu'à son arrivée dans la gigantesque préfecture nordique.
Ici, le givre n'était pas juste dans les petites flaques d'eau le matin, il était partout, accroché aux arbres, aux gouttières, sur les murs et partout sur le sol. On le voyait scintiller sur les rochers, quand la neige ne le recouvrait pas, et former des pointes de glace depuis les branches noires des sapins, qui semblaient vouloir s'étendre jusqu'au sol et former ainsi de véritables colonnes comme celles que l'on voyait à l'entrée des temples romains.
L'hiver, c'était beau. Kami meteri hisa meeya.
Elle entama un dernier virage avant de voir se découper devant elle les premières maisons d'Osomura. Des maisons en pierre blanche qui se seraient fondues dans le paysage si les toits noirs n'avaient pas trahi leur présence, presque hostile, qui se perdait entre les arbres. Noirs, eux aussi, comme les gardiens d'un temple secret. Avec la nuit, ils avaient probablement étiré leurs ombres jusqu'à engloutir le village entier dans l'obscurité.
Osomura. Si peu accueillant. Ametari metari no yohon-Tilt!
Elle n'avait vraiment plus envie d'écouter la radio. Le silence retomba dans l'habitacle et elle regretta presque d'avoir coupé le son. Presque. La musique lui semblait être insupportable à cet instant.
Shizuru sentit ses mains se crisper sur le volant et relâcha un soupir d'agacement et de stress. Venir ici avait été une très mauvaise idée. L'endroit était un appel au meurtre et au suicide. Comment les habitants faisaient-ils pour ne pas quitter un tel lieu de cauchemar? Le ronronnement du moteur la fit serrer les dents tandis qu'elle avançait avec lenteur entre les bâtiments, comme si elle avait peur de se faire repérer, comme si elle était effrayée de ce qui pouvait bien dormir à l'intérieur de ces murs pâles et à l'ombre des branches d'ébène.
Les villages étaient-ils tous aussi terrifiants la nuit?, songea-t-elle, à la recherche d'une improbable place de parking.
Il commença à neiger. Comme si l'arrivée de la nuit invitait la neige à tomber sur la terre en toute tranquillité. Elle continua sa route, nouée, et ne put s'empêcher de jeter des regards furtifs sur les côtés avant de soupirer et de se forcer à se détendre. Il n'allait rien se passer. Elle était juste fatiguée. Elle avait déjà fait face à des choses plus effrayantes qu'un village aux allures de cimetière. Les gens étaient probablement chez eux, c'était tout. Il n'y avait là rien d'anormal.
Peut-être aurait-elle dû passer la nuit à Furano, quelques kilomètres plus bas. Sans doute aurait-il été plus sage de ne pas s'aventurer la nuit dans un endroit aussi sordide. On lui avait dit qu'il y avait un hôtel à Osomura, alors elle avait décidé de finir son voyage tout de suite et de prendre une chambre une fois arrivée « là-haut », comme lui avaient dit les habitants de Furano en grimaçant. Le village n'était pas très populaire, si l'on en jugeait par la réaction de ceux qu'elle avait croisés à la mention de son nom. Elle en avait été étonnée, mais à présent, seule dans la nuit et avec pour seul compagnon le bruit rassurant du moteur, elle comprenait pourquoi. Un peu.
Il n'y avait qu'une seule enseigne encore éclairée, alors elle se dirigea vers cette dernière et gara sa voiture au hasard quelque part à côté du mur. Peut-être devra-t-elle la déplacer le lendemain matin, mais elle n'avait plus la force de s'en soucier pour le moment. Elle arrêta le moteur d'un mouvement souple du poignet et le ronronnement qu'il avait émis jusqu'alors lui manqua immédiatement. Elle déboucla sa ceinture de sécurité, saisit son sac sur le siège passager et sans perdre un instant, se faufila hors du véhicule avec agilité.
Le froid lui mordit immédiatement la peau et elle se dépêcha de récupérer sa valise -mauve- dans le coffre, de verrouiller les portières et de courir, en prenant garder à ne pas glisser sur le givre, vers ce qui semblait être l'hôtel recherché. Elle grimpa les quelques marches de pierres rondes qui menaient à la porte d'entrée et s'arrêta une poignée de secondes pour lire l'écriteau qui y était proprement placardé.
Le souffle de Kagutsuchi
Hôtel-restaurant – deux étoiles
Ouvert 24/24, 7 jours sur 7.
Pour plus de précisions, entrez.
Elle soupira de soulagement et rejeta sa chevelure par-dessus son épaule, dégageant ainsi les mèches qui retombaient devant ses yeux. Elle était arrivée.
La valise fut posée sur le sol. Le manteau pourpre fut remis en place en quelques secondes, le col fut replié élégamment contre les épaules et l'écharpe fut enroulée avec un peu plus de grâce autour du cou. Une seconde de plus pour vérifier l'état des bottes, noires cette fois-ci, une autre pour remettre les manches en place et saisir de nouveau la valise abandonnée, et elle ouvrit la porte, un sourire serein complètement surfait déposé délicatement sur le visage.
Elle sentit la vague d'une bienheureuse chaleur l'accueillir lorsqu'elle entra dans un bruit feutré de talon et cligna des yeux en expirant paisiblement à la vue de la pièce dans laquelle elle venait de pénétrer. L'hôtel portait bien son nom. Le souffle était brûlant et réchauffait sans doute le cœur des voyageurs aussi sûrement qu'il apaisait le sien. Assaillie de couleurs chaudes, elle faillit en oublier le fait qu'elle était complètement seule. Le bureau en bois brun qui semblait être l'accueil était inoccupé, seule une petite sonnette se trouvait posée sur ce dernier, comme si elle priait les nouveaux arrivants de la faire fonctionner. Au dessus d'elle, une petite étiquette était collée sur le mur.
Si vous êtes ici antre 8h30 et 22h30, il est interdi d'appuyer sur la sonette. Veillé vous adresser à l'hôtesse d'acceuil pour plus de renseignement.
Après 23h00, appuyer sur la sonette ou dormez sur le canappé.
Entre 22h30 et 23h00, vérifié que l'hôtesse d'acceuil et absente avent d'appuyer sur la sonette.
Merci. Le stafe.
Shizuru se mordit la lèvre. Étrange. Bizarre.
Amusant.
Elle pivota sur ses talons et jeta un coup d'œil vers le canapé qui se trouvait au fond de la petite pièce. Nul doute qu'il avait l'air confortable, mais la jeune enquêteuse n'avait pas la moindre envie de se rouler en boule avec pour seule couverture son manteau et pour seul oreiller l'accoudoir du meuble pour espérer dormir.
Elle se tourna donc à nouveau vers la sonnette et déposa sa valise au pied du bureau pour regarder sa montre. 01h14. Les conditions étant remplies, pensa-t-elle avec humour, elle avait le droit d'appuyer sur l'objet si mystérieux qui lui faisait face, ce qu'elle fit après un rapide coup d'œil autour d'elle. Déformation professionnelle, sans doute.
Lorsqu'elle appuya, il ne se passa rien. L'alarme ne devait se faire entendre que dans le côté réservé au personnel, pensa-t-elle alors, et elle fit quelques pas vers les fauteuils disposés près du canapé et autour d'une table basse en bois.
Sur les murs, des photographies. Elle aimait les photographies. Elles étaient les objets les plus précieux lors d'une enquête car renfermaient en général des souvenirs importants. Ou plutôt des secrets, toutes ces choses que les êtres humains aimaient garder en mémoire. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Elle avait un jour découvert de cette façon, presque par hasard, que l'homme qu'elle recherchait tuait ses anciens camarades de classe de primaire, qui avaient pris l'habitude de le martyriser. Les mobiles étaient parfois étranges, ou alors complètement dérisoires au regard des conséquences qu'ils engendraient. Les photos de jours heureux, les mariages, les clichés innocents, voilà celles qui renfermaient le plus de secrets. Fascinantes, jugeait la jeune femme. De véritables trésors. Parce qu'elles prouvaient que ces hommes et ces femmes qui tuaient avaient la plupart du temps, un jour, vécus comme n'importe quel autre. Qu'ils avaient aimé, comme cette photographie qu'elle avait sous les yeux à cet instant et qui représentait un couple pour le moins mal assorti mais rayonnant. La femme était une jolie rousse dont les yeux lui rappelaient ceux de Haruka et son compagnon, un-
Des bruits de pas précipités dans les escaliers la firent sursauter et elle se retourna pour voir arriver devant elle, essoufflé, un grand gaillard blond comme les blés vêtu d'un pyjama bleu à carreaux qui marcha d'un bon pas jusqu'à l'arrière du bureau de chêne avant de se tourner vers elle, visiblement mal réveillé.
« Ah, mad'moiselle, b'soir » dit-il simplement en lui faisant signe de se rapprocher d'un mouvement de main en retenant un bâillement. Shizuru lui offrit un sourire impeccable, comme celui des publicités, et s'avança avec légèreté vers lui avec une impatience bien cachée.
Le voilà. L'homme de la photographie.
Il s'ébroua avant de continuer et s'ébouriffa énergiquement les cheveux comme pour mieux chasser un rêve. « Je suis désolé » commença-t-il en souriant péniblement mais avec visiblement beaucoup de bonne volonté, « mais nous n'avons pas l'habitude de voir beaucoup de gens par ici. Surtout à cette heure. »
« Ce n'est rien, je comprends » répliqua-t-elle avec un plaisant sourire, détendue.
Il la gratifia d'un bâillement avant de grommeler une excuse dans sa barbe et lui répondit d'une voix éraillée par le sommeil: « Qu'est-ce que je peux faire pour vous, mademoiselle? Je suppose que vous voulez une chambre pour ce qu'il reste de la nuit. »
« Ara », elle récupéra sa valise près du bureau dénoua son écharpe, amusée, « oui, j'aimerais une chambre pour cette nuit et pour une durée indéterminée. » finit-elle avec affabilité. Il sembla s'étonner un instant et lui lança un regard interrogateur mais ne répondit rien. C'était sans doute son accent. Une clé fut saisie derrière lui et il se tourna vers elle en se grattant la joue. « Je vous montre le chemin? »
« Ookini » répondit-elle simplement en penchant la tête sur le côté. Il lui jeta un regard suspicieux, mais là encore, se garda bien de lui faire remarquer quoique se soit et la guida dans les escaliers en silence. « Le premier étage est réservé » exposa-t-il simplement lorsqu'ils arrivèrent sur le palier du dit étage avant de l'emmener plus haut. « Vous êtes au troisième. »
Au troisième? Shizuru jeta un regard curieux au couloir du deuxième étage lorsqu'ils passèrent à côté en continuant de grimper les escaliers en colimaçon sans s'arrêter. N'avait-il pas précisé qu'il n'avait pas l'habitude de recevoir du monde, quelques minutes plus tôt? Dans ce cas le deuxième étage devrait être vide, non? Pas plein en tout cas. Le village n'avait pas l'air d'être particulièrement accueillant, ce n'était pas comme si des touristes pouvaient y venir, surtout pas à cette saison.
L'enquêteuse fronça les sourcils, heureuse de remarquer que son interlocuteur ne s'était pas retourné pour le voir, mais s'efforça de ne pas ouvrir la bouche pour lui demander des précisions. Elle aurait bien le temps de le faire plus tard.
Arrivés au troisième, l'hôtelier lui fit signe de le suivre et s'arrêta devant la porte verte dont la couleur était passée, numérotée 32, sur la gauche. Il ouvrit dans un cliquetis de métal et s'effaça pour la laisser entrer. La chambre était petite, mais ça lui allait très bien. Les murs étaient jaunes, le lit au milieu avait des draps rouges et le parfum de la pièce n'était pas désagréable. Il y avait un lavabo dans un coin et un miroir en bon état au dessus. Plus loin, il y avait également une douche et des toilettes. C'était parfait.
Pendant qu'elle examinait la pièce, l'homme qui l'accompagnait lui exposa les règles de la maison de façon brève et efficace. « Les repas sont servis au rez-de-chaussée, vous verrez ça demain matin. Demandez à voir Mai pour le reste ou si vous avez des questions. » Il se tourna et déposa les clés sur une petite table à côté de la porte avant de se retourner pour lui faire un sourire bouffi. « Et je suis Yuichi, Yuichi Tate » dit-il simplement avant de réprimer un énième bâillement. « Passez une bonne nuit mademoiselle... »
« Shizuru » répondit-elle en déposant sa valise au pied du lit, « Shizuru Fujino. Je suis enchantée. » Il haussa les épaules à ses dernières paroles et quitta la pièce en fermant la porte derrière lui. Une fois seule, la jeune femme souffla enfin.
Bonne nuit.
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Lorsqu'elle descendit pour le petit-déjeuner ce matin-là, des éclats de voix se faisaient entendre depuis le rez-de-chaussée. Des gens riaient, réalisa-t-elle alors qu'elle descendait les dernières marches menant à l'entrée de l'hôtel. Et ils riaient fort.
Impeccablement bien habillée et fraichement lavée malgré le jour encore jeune, Shizuru se laissa guidée par les voix, curieuse de ce qui se cachait derrière la porte qui donnait probablement sur le côté restaurant du bâtiment. À chaque pas qu'elle faisait, les voix s'intensifiaient et les rires se faisaient un peu plus vivants. Jamais un couloir ne lui avait paru aussi rempli de joie. Arrivée devant la porte, elle hésita même un instant avant de pousser le bois de chêne du plat de la main, en douceur comme pour ne pas briser un charme, et pénétra dans la salle de restauration du Souffle de Kagutsuchi.
Attablés autour d'une gigantesque table, une vingtaine de personnes habillées chaudement et visiblement prêtes à partir braver le froid s'attelaient, vives et souriantes, à la dégustation d'un petit-déjeuner de roi. Shizuru cligna des yeux. Voilà donc les personnes qui occupaient très probablement le deuxième étage, songea-t-elle en regardant autour d'elle sans savoir si elle ne devait pas laisser les joyeux lurons seuls et revenir ensuite pour déjeuner plus tranquillement.
La femme rousse qu'elle avait vue sur la photographie lors de son arrivée et qui venait apparemment de sortir des cuisines se précipita vers elle en souriant avec douceur. « Vous êtes matinale, mademoiselle Fujino » déclara-t-elle en lui tendant une main que Shizuru accepta sans réfléchir en une poignée de main solide et sympathique, sous le charme. « Je suis Mai, la femme de Yuichi et la responsable du Souffle de Kagutsuchi » continua-t-elle en lui faisant signe de la suivre et en l'invitant à s'asseoir à une table, éloignée de celle de ce qui semblait être des mineurs si l'on en jugeait les pioches et pelles qui gisaient non loin d'eux. « Désolée pour hier soir, mais l'hôtel est si vide d'habitude. Yuichi vous a peut-être paru un peu bougon. »
Shizuru s'assit avec son éternel sourire accroché sur les lèvres et secoua la tête en direction de son interlocutrice. « Je comprends. Je suis un peu arrivée au milieu de la nuit. »
« Je suis heureuse que vous n'ayez pas eu à dormir sur le canapé » répliqua la rousse se penchant au-dessus de la table avant de reprendre, amusée, « qu'est-ce qu'il vous faut pour le petit-déjeuner, mademoiselle, thé?, café?, chocolat? »
« Du thé, merci » répondit poliment l'enquêteuse, les yeux vagabondant sur la table voisine qui semblait émettre des vagues de bonne humeur à quiconque s'en approchait. L'hôtesse frappa dans ses mains et tourna les talons, l'esprit déjà focalisé sur son objectif. « Madame! » l'interpela Shizuru avant qu'il ne soit trop tard, « Excusez-moi. Noir, le thé. S'il vous plaît. » finit-elle après que Mai se soit de nouveau retournée pour lui faire face. La femme hocha la tête sans se départir de sa bonne humeur et repartit d'un bon pas vers les cuisines, la laissant à ses pensées.
Elle allait devoir parler à Haruka dès que possible. Le commissaire devait probablement être à Furano le matin, elle devrait donc redescendre en ville. Peut-être commencer à faire un petit tour dans le village, mais elle ne pouvait rien entamer sans avoir un minimum d'informations. En contemplant les mineurs qui se donnaient en spectacle, elle réalisa qu'elle ne savait même pas où les meurtres avaient été commis. Dans le village? Dans une maison? Dehors? Dans les bois? Elle frissonna à cette pensée. Le peu de choses qu'elle avait vu des bois lors de son arrivée suffisait à se faire une idée de tout ce qui pourrait s'y passer la nuit. Rien de rassurant en tout cas.
Le retour de Mai avec une grande tasse de thé brûlant la tira de sa rêverie et elle se redressa un peu quand l'objet fut déposé avec douceur en face d'elle. La serveuse lui coula un regard d'excuse. « J'espère qu'ils ne vous agacent pas » dit-elle en désignant du menton la table voisine, « ils sont un peu bruyants mais ce sont des gens très sympathiques. »
« Ara, pas du tout, je trouve même qu'ils dégagent une certaine bonne humeur. » répondit simplement Shizuru en saisissant la tasse de thé avec déférence. « Ce sont des mineurs? »
Déformation professionnelle, songea-t-elle au moment même où ces paroles quittèrent ses lèvres. Ce besoin de toujours tout savoir, même les choses les plus insignifiantes. En voyant les yeux de Mai Tate pétiller d'intérêt, elle comprit également qu'elle venait de dénicher une précieuse source d'informations et que ça, c'était quelque chose qui pourrait s'avérer très utile. « Ce sont des archéologues » commença l'hôtesse, « ils sont ici depuis quelques semaines pour une fouille du côté des Trois Frères. Apparemment il y aurait des vestiges importants là-bas, qui l'eut crû. »
Shizuru pencha la tête sur le côté, intriguée. « Les Trois Frères? »
« Oui, c'est- », Mai s'interrompit et tira la deuxième chaise qui se trouvait sous la table vers elle « je peux? »
« Je vous en prie. »
La rousse s'assit et croisa les bras sur la table avant de reprendre pendant que la blonde sirotait son thé -un très bon thé- en essayant de ne pas trop montrer son intérêt. « C'est un lieu-dit à flanc de montagne, à plus haute altitude. Il doit y avoir deux ou trois kilomètres d'ici » reprit-elle, « Il y a trois statues de pierre apparemment anciennes qui se font face. On les appelle les trois frères. C'est un point de repère pour les marcheurs. » Shizuru lut la satisfaction de son interlocutrice dans ses yeux lorsqu'elle la vit boire son thé avec plaisir. « J'en conclus que je peux vous préparer le même thé chaque matin? »
La blonde laissa un éclat de rire s'échapper. « Vous m'avez cernée, madame Tate. »
« Je vous en prie, appelez-moi Mai, je ne suis pas pressée de vieillir vous savez. » répliqua l'autre avec un rire gêné. Shizuru étudia un instant la femme qui lui faisait face. Elle devait avoir une quarantaine d'années. L'aura de douceur qui se dégageait d'elle continuait de la surprendre comme lorsqu'elle était venue l'accueillir un peu plus tôt. Et puis elle regarda de nouveau les vingt-et-une personnes qui se levaient à présent pour quitter les lieux. Il n'y avait que neuf femmes.
Des archéologues, hum? Intéressant.
Mai s'excusa et se releva pour leur souhaiter une bonne journée et débarrasser la table, laissant derrière elle une Shizuru de plus en plus intriguée. Elle était d'autant plus pressée de rencontrer Haruka et d'en savoir un peu plus. L'enquête promettait d'être intéressante, ce qui contrebalançait sans doute avec le cadre inquiétant dans lequel elle se déroulerait
Et puis, il était temps qu'elle rencontre enfin cette fameuse Yukino. Elle avait bien assez attendu.
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Deux heures plus tard, elle était devant le poste de police de Furano. Après avoir garé sa voiture n'importe comment sur le trottoir, elle grimpa les marches qui menaient à l'entrée avec grâce, consciente que les officiers qui étaient aux fenêtres la regardaient faire, et remit rapidement son manteau pourpre en place lorsqu'elle arriva devant la porte automatique. Cette dernière s'ouvrit sous ses pas silencieusement et elle fit quelques pas vers l'intérieur, accueillie par un souffle de chaleur qu'elle commençait à bien connaitre.
Les commissariats ne changeaient pas d'une ville à l'autre, constata-t-elle en se dirigeant vers l'accueil. Il y avait ici les mêmes hommes agglutinés devant la machine à café pendant la pause et les autres qui courraient dans tous les sens avec des dossiers plein les bras qu'ils distribuaient au fur et à mesure en passant devant les bureaux. Agitation, excitation, dynamisme. Ou au contraire, si l'on en jugeait la posture à demi-voûtée de l'agent qui se trouvait à l'accueil, paresse, lassitude, fatigue. La même odeur également, pour son plus grand malheur.
Café.
Elle se retient de plisser le nez pour montrer sa gêne et sourit plaisamment à l'homme en question qui était avachi derrière le bureau de l'accueil avec jusque-là une moue ennuyée. « Monsieur? » appela-t-elle pour attirer son attention, fixée sur un point non-existant quelque part dans le néant inter-sidéral.
Il sursauta et se redressa de toute sa hauteur avant de poser ses yeux sur elle, alerte. Shizuru se rendit alors compte qu'il devait être anormalement grand. Elle remarqua son badge. Hiro Nakamura. « Mademoiselle. » Et un sourire. « Que puis-je faire pour vous? »
« Je suis le commissaire Shizuru Fujino » déclara-t-elle simplement en sortant souplement ses papiers de son sac à main avant de les lui tendre avec agilité, « je viens ici sur demande du commissaire Suzushiro, est-ce qu- »
« Oh! » s'exclama-t-il alors, le regard brillant, « Vous êtes ici pour le vampire? Le commissaire nous a dit qu'elle avait demandé à quelqu'un de venir, je pensais que c'était un chasseur ou un truc du genre, vous voyez. »
La jeune femme cligna des yeux avant de lui répondre d'un ton plat et souriant: « Vos présomptions étaient fausses, comme vous pouvez le voir. » Il éclata d'un rire gras. « Oui, je vois ça! » Il se leva bruyamment en faisant racler sa chaise derrière lui pour être à sa hauteur et lui lança un regard curieux. « Et vous venez d'où, alors? Vous êtes d'Hokkaido? Vous n'avez pas l'air de coller avec le paysage. »
« Je viens de Tokyo » répondit-elle sans faire attention, gênée de voir qu'elle n'était pas la seule à se trouver en décalage avec la région. Elle avait bien remarqué que les gens d'ici ne portaient pas tellement de couleurs sur leurs vêtements. Comme s'ils souhaitaient se fondre dans leur environnement, les tons restaient neutres et pâles. Le pourpre qu'elle portait lui donnait l'impression d'être une tâche inélégante sur une photographie en noir et blanc.
Les yeux de Nakamura semblèrent s'illuminer et il se pencha vers elle en souriant de toutes ses dents, excité comme un enfant. « Vraiment! Comment c'est alors, est-ce que c'est aussi grand qu'on le dit? Il paraît que- » Leur conversation étant visiblement très suivie par le reste des personnes présentes, il fut coupé par une femme qui se tenait devant la photocopieuse, quelques mètres plus loin. « Mais vas-tu te taire et appeler Suzushiro, imbécile? » rumina-t-elle avant de passer devant eux, un tas de photocopies mal cadrées dans les bras. « Le commissaire Fujino n'est pas là pour écouter tes âneries! »
Les deux concernés clignèrent des yeux de concert pendant que des sifflets moqueurs se faisaient entendre du côté de la machine à café. L'homme finit par se rasseoir, dépité, et lui fit un sourire d'excuse. « Mon ex » dit-il simplement, déconfit, « nos rapports sont restés un peu tumultueux. » Il hocha la tête pour lui même comme pour se convaincre et bougonna quelque chose qu'elle ne comprit pas.
Sans attendre de réponse, il empoigna le téléphone et se concentra sur sa tâche sans remarquer le sourire goguenard de son interlocutrice, qui s'efforçait avec une réelle bonne foi de ne pas ajouter un commentaire de sa propre gamme.
« Commissaire? » appela-t-il au bout d'un moment en triturant le câble torsadé du combiné. « Oui, hum... le commissaire Fu... » Il releva la tête vers elle, contrit, et elle lui souffla une nouvelle fois son nom en silence. « …Fujino est ici. » finit-il en se renfonçant dans son siège à roulette qui commença à tourner sur lui-même, emportant le téléphone avec lui. « D'accord commissaire. Oui commissaire. » Il pivota de nouveau vers son bureau, le fil étant trop court, et conclut très succinctement. « Bien commissaire. » Il raccrocha et releva la tête. « Je vais vous conduire à son bureau. »
Elle hocha la tête en souriant et le suivit dans les couloirs. Chose surprenante, le trajet se fit en silence. Apparemment, il prenait son rôle de messager très à cœur. La carrure imposante et les manches de sa chemise blanche repliées jusqu'aux coudes, il donnait l'impression d'être un bûcheron, claquant ses grosses bottes de cuir noir contre le carrelage du commissariat avec l'entrain et la force brute que détenaient ceux qui n'avaient peur de rien. Shizuru se sentit presque petite et plus fine encore que d'habitude en le suivant, incapable de voir par dessus l'épaule du gaillard où il l'emmenait. Elle se demanda vaguement si les balles contenues dans le revolver qui était accroché à sa ceinture, sagement caché par son long manteau, suffiraient à faire tomber un pareil colosse.
Arrivés devant la porte, il l'ouvrit et entra en premier, accueilli par un vague « Nakamura, retourne à ton poste. » avant de pivoter sur ses talons et ressortir, docile, repassant ainsi devant elle avec un petit sourire qu'elle lui rendit avec les intérêts avant d'entrer à son tour. Elle décida qu'elle l'aimait bien.
Elle hésita un instant, clouée au sol devant la porte d'entrée du bureau où se trouvait Haruka Suzushiro, ce commissaire talentueux qui avait fait parler de lui jusqu'à Tokyo sans doute sans le savoir. Sa réputation n'était plus à faire. Une vague d'humilité déferla sur la spécialiste de la criminalité en série, une fois n'étant pas coutume, et elle se décida à parcourir le mètre qui la séparait du seuil. Et pivoter sur le côté pour voir l'intérieur de la pièce. Et la personne qui s'y trouvait, debout derrière son bureau, les bras croisés en face d'elle avec force.
Haruka n'avait pas changé.
La chevelure blonde toujours aussi imposante et la carrure toujours aussi athlétique, elle se leva pour l'accueillir avec un sourire débordant et les bras ouverts avec invitation. « Shizuru! » s'exclama-t-elle comme juste pour le plaisir de prononcer à nouveau son prénom, « je ne pensais pas que tu viendrais si tôt! »
Elles s'échangèrent une brève étreinte amicale, si peu en accord avec leurs caractères respectifs, avant de se séparer avec la satisfaction qu'ont les amis de se retrouver après de nombreuses années sans nouvelle. Haruka semblait fatiguée, habillée d'un pantalon noir et d'une chemise blanche dont le col était de travers, et pourtant Shizuru trouva qu'elle ne manquait pas de classe. Très différente de Takeda mais porteuse de la même force tranquille et rassurante.
Une présence presque écrasante. Un charisme presque aussi effrayant que l'était le sourire que Shizuru arborait en toutes circonstances.
Elle laissa échapper un soupir après quelques secondes de silence appréciatif. « Ara, Haruka. Il y avait longtemps. »
La blonde laissa échapper un éclat de rire avant de claquer des mains en s'exclamant. « Et comment! Si j'avais lu qu'il nous faudrait quatre ans pour nous revoir, je ne serais pas partie! »
Et toujours cet abominable tic de langage. « Oh, vraiment? » répondit l'autre avec un sourire taquin, « je croyais que rejoindre Yukino n'avait pas de prix? »
Le commissaire toussota pour se donner une contenance avant de lui offrir un sourire d'excuse. « Désolée Shizuru » commença-t-elle, « tu as raison, je crois que je serais partie quand même. »
« Elle est ici? » fit la nouvelle arrivante, le regard rempli d'intérêt. Elle avait tellement attendu pour en savoir plus qu'elle décida de tenter sa chance immédiatement. « Je peux la voir? Haruka a une photo peut-être, est-ce qu- »
La blonde leva les mains devant elle en signe de défense avant de lui couper la parole. « Oh, oh, du calme, du calme. On dirait Nakamura. » En voyant la mine faussement dépitée de son amie, elle soupira. « Tu n'as pas chanté » constata-t-elle presque à regret. « Si j'avais su- »
« Tu ne m'aurais pas demandé de venir? » compléta Shizuru avec humour en avançant à l'intérieur de la pièce et en faisant un tour d'horizon du regard. Des photographies encore. Toujours des photographies. Les murs du bureau d'Haruka en étaient recouverts, éparpillées par endroits et regroupées en d'autres, dans cette même recherche de vérité. Qui était cet homme? Quelles relations avait-il avec cet homme? Et cette femme, qui était-elle? Quand l'avait-elle vu pour la dernière fois? Où s'étaient-ils connus? Quand? Comment? Pourquoi? Tant de questions, tant de possibilités. Les « pourquoi » étaient les plus difficiles. Les plus fragiles, les plus importants. C'étaient ces questions qui nous donnaient les bonnes réponses.
Les mobiles étaient toujours la clé de tout. Sans mobile, la vérité continuait de s'échapper. Insaisissable.
Le bureau d'Haruka, réalisa-t-elle, était semblable au sien. Sauf qu'à Tokyo, les murs étaient un cimetière.
Elle entendit un soupir derrière elle et Haruka la dépassa en marchant d'un bon pas vers son bureau, l'invitant d'un geste de la main à s'asseoir en face d'elle. De nouveau sérieuse. Éternellement sérieuse. Haruka ne s'arrêtait déjà jamais lorsqu'elles étaient à l'école.
Shizuru retira son écharpe et son manteau avec lenteur en prenant le temps de les plier avant de les poser sur le dossier de la chaise. La chaise était noire. Du coin de l'œil, elle constata que son amie la regardait faire, pensive.
« Je ne te savais pas si maniaque », remarqua finalement Haruka, tranquillement assise dans son fauteuil, lorsque la jeune femme eut fini de déposer ses affaires. Elle ne répondit pas tout de suite et pris le temps de s'asseoir à son tour avant de souffler un « déformation professionnelle » nonchalant qui sembla satisfaire le commissaire qu'elle avait en face d'elle. C'était une habitude qu'elle avait prise sans s'en rendre compte lors d'une enquête particulièrement difficile. Peut-être l'était-elle trop, à l'époque où Shizuru n'était qu'une débutante dans le milieu.
Son premier meurtrier. Et probablement l'un des pires. Nagi Homura était un tueur qui aimait la propreté. Elle l'avait compris instinctivement, au premier coup d'œil, avant de vomir dans un coin. C'était d'ailleurs cet instinct qui l'avait poussée à se spécialiser. Cette faculté de pouvoir penser comme eux. Treize victimes. Toujours des femmes. Des vieilles femmes. Tout était toujours parfaitement agencé, les scènes de crimes étaient toujours nettoyées et rangées soigneusement, les meurtres toujours impeccablement méthodiques et nets. Ils avaient joué à cache-cache pendant des mois, tous les deux. Avec le temps, Shizuru avait fini par devenir aussi maniaque que lui. Aujourd'hui, si elle avait appris à gérer ses enquêtes de façon à ne pas garder avec elle les encombrantes personnalités de ceux qu'elle poursuivait, Nagi Homura continuait de hanter ses gestes malgré elle.
Indélébile. Shizuru Fujino était toujours impeccable.
« Bien, nous allons taire un deal, toi et moi », commença Haruka en récupérant un dossier bleu qui se trouvait sur le côté de son bureau pour le déposer face à elle. « Je t'incite à dîner un soir chez moi pour te présenter Yukino, et en échange, tu ne tentes pas de me soutirer des informations sur elle pendant la prochaine heure à venir, ça te va? » Elle ouvrit le dossier et en sortit un paquet de photographies et de feuilles de papier éparses avant même d'entendre sa réponse.
Shizuru ne répondit pas. Ses yeux et son attention se trouvaient déjà focalisés ailleurs.
Les photographies.
Elle tendit la main vers elles, presque avec hésitation et n'osa les prendre que lorsqu'elle perçut un hochement de tête d'Haruka qui commença à lui exposer les faits. « Les premières photos sont celles d'un homme appelé Serguey Wang. Quarante-cinq ans. Pas d'antécédents judiciaires. Il était architecte. »
Ainsi c'était ça, pensa Shizuru en observant les photographies faites sur le corps. Le vampire.
Quel drôle de meurtre.
Haruka poursuivit son exposé, imperturbable. « Il a été tué chez lui pendant la nuit. Les experts pensent qu'il a été, hum... mordu à peu près en même temps que le moment où sa fille est rentrée d'une soirée chez l'une de ses amies. Vers deux heures du satin. » Elle s'arrêta pour lui laisser le temps d'enregistrer les informations avant de l'inviter à regarder la plaquette de photographies suivantes.
À côté de Shiho Munakata, c'était un meurtre relégué au jardin d'enfants, songea-t-elle en voyant le corps d'une jeune femme, couvert de bleus, d'égratignures, de lacérations et de douloureuses coupures. Mais il y avait quelque chose là-dedans. Un malaise. Comme une inquiétante apparition. Et ces deux trous étranges dans le cou. Comment le meurtrier faisait-il?
Haruka garda le silence jusqu'au moment où Shizuru releva les yeux avec intrigue. « Qui est-ce? » demanda-t-elle dans un souffle inquiet. La fille avait dû être si belle.
« C'est Nina Wang, la fille de Serguey. Elle avait dix-neuf ans. Étudiante en mathématiques. » commença-t-elle en croisant les bras, « Elle a été retrouvée dans les voies, près du village d'Osomura. Les hématomes sont le résultat d'une chute. Elle a été emportée par la fiente. » finit-elle, l'air ailleurs.
« Les meurtres ont eu lieu à quel intervalle? » demanda Shizuru en penchant la tête sur le côté sans prendre la peine de relever les erreurs de prononciation de son interlocutrice.
« Quinze, vingt minutes peut-être, ils se sont succédés rapidement. » répondit l'autre en tapotant le bureau du bout des doigts. Un silence pensif tomba sur les deux jeunes femmes avant que Shizuru ne se décide à en demander plus, mortellement intriguée.
« Comment crois-tu que ça s'est passé? »
Haruka soupira, lui envoya la totalité du dossier en le faisant glisser sur la table et se renfonça dans son siège avant de lui offrir une réponse. « Le meurtrier est probablement entré pour tuer Serguey Wang au milieu de la nuit, vers deux heures. Je pense qu'il ne s'attendait pas à ce que Nina mente si tôt, si l'on en croit les dires d'Erstin Ho, l'amie chez qui elle était ce soir là. »
Shizur leva un sourcil. Haruka continua. « D'après elle, Nina restait souvent jusque quatre ou cinq heures du matin lorsqu'elle venait passer la soirée là-bas. Pourtant, ce soir-là elle est rentrée avant deux heures, fatiguée apparemment. » Elle s'interrompit un instant, comme pour pondérer ses prochaines paroles, et reprit après avoir attrapé un stylo, posée et méthodique. « Il a donc été surpris par son retour. Il s'est taché, probablement dans les toilettes, je t'emmènerai sur les lieux pour que tu puisses voir par toi-même. Elle est entrée, a dû remarquer que quelque chose louchait, quoique ça ait pu être, et est montée à l'étage. Là, il est sorti et a creusé les pneus de sa voiture une fois à l'ext- oui? » La main levée comme celle d'un écolier de Shizuru la força à s'arrêter. « Il y a un problème? »
Shizuru lui lança un regard d'incompréhension. « Il a crevé les pneus » s'interrogea-t-elle, « pourquoi faire? Ara. » Elle réalisa la situation au moment où la question quittait ses lèvres. Un joueur, pensa-t-elle alors. « Pour la forcer à s'enfuir en courant. » devina-t-elle en repoussant sa chevelure derrière son épaule. Intéressant. La fille avait dû courir et avait fini par tomber, quelque part.
Haruka hocha la tête pour lui monter qu'elle avait vu juste et reprit son récit où elle s'était arrêtée avec un peu plus de conviction. « Nina découvre le cadastre de son père, tu verras les détails dans le dossier, sort en courant avec l'idée de prendre la voiture pour prévenir les poissonniers postés à Osomura, se rend compte que-oui? »
Shizuru rabaissa sa main levée avec un sourire entendu. « Des policiers postés à Osomura? »
« Ah oui », s'exclama la blonde en se frappant négligemment le front du plat de la main. « Depuis plusieurs semaines, les habitants se plaignaient de voir de plus en plus d'animaux morts lorsqu'ils se baladaient. J'ai donc posté trois hommes là-bas pour les rassurer. »
« Efficace? » fut la question narquoise qui fut posée presque avec dédain.
« Inutile. » fut la réplique sèche qui lui parvint.
« Quoiqu'il en soit » reprit Haruka en se levant pour aller se poster à la fenêtre, « Nina s'est rendue compte que les pneus étaient crevés et a pris peur. Elle a décidé de courir et dans la panique, a quitté la route pour couver à travers les bois. »
« Sage décision, finalement, non? »
« Elle l'aurait été si nous n'avions pas été en montagne, Shizuru » répondit Haruka avec une douceur inhabituelle. « Une fois que tu commences à courir dans une pente aussi abrupte, tu ne peux plus ralentir ou t'arrêter. Tu ne peux qu'accélérer, et c'est ce qui est arrivé. » Elle inspira profondément. « Nina s'est laissée emportée par la tente et quand elle a heurté une branche plus forte que les autres, elle est tombée. »
« Elle s'est arrêtée net? » Haruka se retourna vers elle depuis la fenêtre à l'entente de cette question.
« Non, tu t'en doutes, sinon tu ne posterais pas la question, je me trompe? » Shizuru lui envoya un sourire d'excuse qu'elle sembla évincer d'un haussement d'épaule. « Elle a roulé sur une centaine de mètres et a heurté un rocker. » Shizuru grimaça. Une sacrée course! Elle se garda bien d'en faire le commentaire en face de son amie. Haruka enroula pensivement une mèche de cheveux blonds entre ses doigts avant de finir son exposé. « Je suppose qu'il n'avait plus qu'à la rejoindre tranquillement et la mordre, à défaut de trouver un terme plus exproprié. »
Les deux commissaires méditèrent quelques secondes en silence avant que Shizuru n'ose poser la question qui l'ennuyait depuis le début de leur entretien. « Pourquoi moi, Haruka? » Son amie fronça les sourcils et elle poursuivit rapidement pour se justifier. « Je travaille sur les meurtriers en série, ce que tu me racontes là pourrait tout aussi bien être un banal règlement de compte. Rien ne dit qu'il tuera à nouveau. » conclut-elle, presque déçue que l'affaire pour laquelle on l'avait appelée, qui semblait pourtant si passionnante, ne nécessitait en fin de compte pas sa présence. En plus de cela, elle doutait sincèrement qu'Haruka ait réellement besoin de son aide.
Le regard de la blonde s'adoucit en voyant qu'elle était la première dépitée par cette conclusion et elle lui montra du doigt un dossier très fin, rouge, qui était posé sur le bureau à quelques centimètres d'elle. « Ce n'est peut-être pas la première fois », dit-elle simplement.
Shizuru lui lança un regard interrogateur et lorsqu'elle vit qu'Haruka n'avait pas l'intention de lui donner le dossier mystérieux elle-même, s'empara de la pochette rouge, le visage neutre mais l'esprit bouillonnant, et l'ouvrit d'un revers de la main.
Il n'y avait qu'une seule photographie. Le visage d'une femme qui devait avoir entre trente-cinq et quarante ans et aux cheveux châtains prenait toute la place dans le cadre. Il était facile de distinguer sur son cou cette même trace de morsure présente sur les deux autres corps. Morsure à la fois nette et brouillonne. Elle allait interroger son amie quand cette dernière la devança d'une vois neutre.
« Ne pose pas de question, Shizuru, nous n'avons pas de réponse. »
« Tu veux dire que- »
« Oui. Pas de nom, pas de famille, pas de passé, pas d'existence. Juste un corps anonyme. »
Shizuru contempla la photographie, éberluée. Comment était-il possible aujourd'hui de ne pas reconnaître un corps? Ils avaient l'ADN, les régions et même les pays s'échangeaient les informations. Il y avait forcément quelqu'un, quelque part, qui avait signalé sa disparition, elle ne pouvait pas être complètement seule. Elle se sentait plus dégouttée par la situation que par les circonstances de sa mort. Quelle horreur. Quelles étaient les chances de ne jamais retrouver l'identité d'une victime? Infimes. Microscopiques. Impensable.
Elle avait face à elle une énigme.
Et Shizuru aimait les énigmes.
« Elle a été retrouvée il y a combien de temps? » demanda-t-elle, happée par le désir irrépressible de redonner à cette femme le nom qui était le sien et de retrouver cet homme ou cette femme qui avait réussi à lui retirer jusqu'à sa propre identité.
La réponse lui parvint quelques secondes plus tard, comme étouffée. « Neuf ans. »
Neuf ans. C'était si loin. Quelles étaient les chances à présent?
Quand on lit la première partie de ce chapitre, on se dit que tu as une vision de la Saint Valentin un peu particulière, on te l'as déjà dit ? XD
C'est certes moins angoissant que le prologue, mais tu commences sacrément fort avec ta ruelle repeinte jusqu'aux murs, là
Blague à part, j'aime bien ce chapitre, on te sent à l'aise et il se lit tout seul ^^
Il y a beaucoup à dire sur tes personnages, mais c'est plaisant de voir des persos secondaires être poussés sur le devant de la scène: Haruku a une certaine classe, (malgré ses petits soucis de langages XD)
L'histoire est riche, avec déjà tout un tissu d'interactions entre les protagonistes, des anecdotes qui servent à fixer des traits de caractère...bref, tu soignes le cadre et le rendu fait très pro ^^
On sent qu'il y a une bonne intrigue sérieuse et bien dense derrière tout ça, vraiment hâte de découvrir la suite
PS: Du coup je te dédies mon 700e post, c'est-y pas la classe ça ?
Inscrit le: 21 Mar 2009 Messages: 164 Localisation: Sur le toit.
Posté le: Mer Mar 10, 2010 10:53 am Sujet du message:
Coucou .
Bon, ce n'est plus la Saint Valentin, je n'ai qu'à dire que ce chapitre est en l'honneur de la sortie de Final Fantasy XIII sur les côtes européennes (avec une journée de retard mais c'pas si grave).
Merci Miya, maître-beta-reader, pour la sympathique correction ^^.
Quoiqu'il en soit, bonne lecture . Ne vous endormez pas devant vos PC, hein...
Le Rendez-vous des Princes
Chapitre 2
Une fois de nouveau en sécurité et au chaud dans sa voiture, Shizuru souffla et ferma les yeux, inquiète. Il n'était que midi et demi et pourtant elle s'était persuadée en sortant du commissariat qu'il gelait déjà. Elle se massa les tempes et pensa furtivement qu'il faudrait qu'elle mette des chaînes sur les roues si elle ne voulait pas avoir un accident. La journée, les routes étaient en bon état et tout à fait praticables, mais elle n'était plus si certaine de mener l'enquête le jour. Les choses s'annonçaient mal. Et elle s'attendait à présent à faire des virées nocturnes suffisamment souvent pour s'inquiéter de la neige qui tombait toutes les nuits.
Alors qu'elle amorçait la montée vers Osomura, elle réfléchit à ce que Haruka lui avait dit avant qu'elles ne se quittent.
« Je ne peux pas mener l'enquête sur cette affaire, j'ai déjà trois dossiers que je ne peux pas mettre en hiatus », avait-elle expliqué, « mais je ne veux pas non plus que l'enquête tarde trop. J'ai peur de trouver d'autres vitrines dans les bois. »
Voilà pourquoi elle se trouvait ici. Haruka ne pouvait pas consacrer tout son temps sur un seul dossier mais avait trop d'honneur pour le laisser à l'abandon. Peut-être aussi que le commissaire avait raison de s'inquiéter de futures victimes. Le problème était de savoir quand. Le meurtrier, si c'était le même, avait attendu neuf ans pour tuer à nouveau, pourquoi?
Shizuru grommela seule dans l'habitacle, ce qu'elle n'oserait jamais faire si quelqu'un avait été à ses côtés. Ses doigts gantés de velours mauve tapotaient nerveusement le volant, à la recherche d'une possible solution. De toute évidence, il ne pouvait pas tuer au hasard, n'est-ce pas? Attendre si longtemps, c'était sans doute parce qu'il recherchait ses cibles, quelles autres solutions y avait-il? Elle prit un virage serré et le moteur vrombit quand la voiture grimpa encore quelques mètres. Si elle avait été à sa place, médita-t-elle, elle n'aurait pas attendu neuf ans pour tuer à nouveau si elle devait le faire au hasard. C'était si facile, le hasard! Ou un tueur impulsif? Un criminel passionnel? Elle chassa cette pensée aussi vite qu'elle le put. Un tueur passionnel n'empoisonnait pas ses victimes. Le meurtre par empoisonnement supposait forcément une préparation méthodique, un plan d'attaque.
Et les Wang avaient été empoisonnés. C'était ce qu'avait révélé l'autopsie. Les morsures, et elle grimaça en utilisant cette appellation, même en pensée, servaient à déverser un poison directement dans le sang en passant par la carotide. Facile. Efficace. Plus la victime était affolée, plus ça allait vite. Le problème, c'était que les experts avaient identifié le poison comme étant du venin. Du venin. Mais quelle idée! Et puis quoi encore, ne pouvait-il pas utiliser du cyanure ou de l'arsenic, comme tout le monde? Elle grinça des dents alors qu'elle passait devant les premières maisonnées. Tout ça n'avait rien d'un hasard. La substance utilisée devait forcément avoir un intérêt quelconque. Autre que brûler les vaisseaux sanguins dans lesquels elle passait, bien entendu.
En sortant du véhicule, Shizuru remarqua, non sans une certaine apathie, qu'Osomura semblait aussi hanté le jour que la nuit. Personne n'était dans les rues, même à cette heure-ci. Elle allait donc devoir démarcher les habitants elle-même, et elle avait horreur de ça. En plus de cela, elle savait déjà qu'il allait être difficile de tirer quelque chose d'eux. L'endroit n'était sans doute pas aussi peu accueillant pour rien. Les gens ne devaient pas aimer les étrangers.
Et ils ne devaient pas aimer les commissaires non plus.
Elle soupira et entra dans le Souffle de Kagutsuchi avec plaisir. Elle fut accueillie par un Yuichi un peu plus frais que la veille qui lui fit un sourire jovial avant de lui dire bonjour et de lui faire signe de se rendre dans le restaurant. Après avoir poliment retourné la salutation, Shizuru pénétra dans la grande salle et fut surprise de le trouver vide. Quelle heure était-il? Treize heures trente-quatre. Les archéologues n'étaient pas là?
« Ils ne rentrent pas le midi » fit une voix douce derrière elle, « je fais des bentos le matin pour eux », précisa-t-elle.
Shizuru se tourna vers Mai avec un sourire. « Ara, comme pour les enfants? »
La femme rousse éclata d'un rire frais avant de secouer la tête avec dérision. « On peut dire ça. » Elle se tourna vers la salle. « Je vous sers maintenant? Qu'est-ce que vous voulez? »
« S'il vous plaît, oui. » répondit la jeune femme avant de hausser les épaules. « Ce que vous voulez, Mai, ça m'ira sans doute très bien. » La cuisinière se fendit d'un sourire et lui fit un clin d'œil avant de retourner dans les cuisines. En marchant vers la table qu'elle avait occupée le matin même, Shizuru se demanda vaguement comment il était possible d'être si heureux pour si peu. Elle retira son écharpe et la plia consciencieusement avant de la déposer sur le dos de la chaise. Elle laissa tomber son sac à ses pieds et épousseta son manteau de la neige qui s'était posée sur lui avant de le retirer souplement et d'en ajuster les plis. Il fut posé avec précaution au dessus le l'écharpe et elle s'assit, impatiente.
L'odeur qui s'échappait des cuisines était pour le moins tentante.
Vingt minutes plus tard, alors qu'elle comptait le nombre de carreaux rouges et jaunes qui constituaient le carrelage, Mai déposa devant elle le plat jusqu'alors inconnu. Shizuru cligna des yeux. Mai devait avoir l'habitude de cuisiner pour de nombreuses personnes. L'énorme bol qui était devant elle débordait presque tant il était rempli. Elle releva la tête pour regarder la rousse, qui la regardait avec un sourire satisfait, les mains sur les hanches.
« Si vous en revoulez, n'hésitez pas », dit-elle simplement. Shizuru se demanda furtivement si le couple Tate parvenait à faire des bénéfices en servant d'aussi grosses assiettes à leurs clients et en leur proposant d'être resservis tout à la fois. Ou alors, horreur, c'était le prix qui était très élevé.
De toute façon, ce n'était pas elle qui payait les frais d'enquête. Manger, c'était des frais d'enquête, non? Bien sûr que oui. Elle n'allait quand même pas payer alors qu'elle n'avait pas demandé à être envoyée dans un trou perdu au milieu des montagnes! Elle avait accepté, nuance.
Comme elle voyait que Mai ne semblait pas pressée de repartir, elle décida de saisir sa chance sans plus attendre. « Mai? » commença-t-elle en triturant avec une nervosité toute étudiée le rebord de son bol. « Est-ce que je peux poser une question indiscrète? »
Il y eut un éclat furtif dans les yeux mauves de son interlocutrice et cette dernière lui répondit presque avec sécheresse. « Non, il n'y a pas de rat dans votre assiette, mademoiselle Fujino » s'emporta-t-elle en gesticulant des mains, « Pourquoi tout le monde veut que je mette du rat dans son assiette? »
Shizuru ria derrière sa main en entendant les complaintes de la cuisinière. Cette dernière sembla se rendre compte qu'elle s'était méprise et se calma immédiatement. Elle se gratta nerveusement l'arrière du crâne avec un sourire d'excuse. « Ah, désolée, j'ai cru... »
« Ce n'est rien. Enfin, maintenant, je me demande si je ne dois pas faire attention. » répondit Shizuru en se tapant doucement le menton du bout de doigts, faussement pensive. « Vous êtes certaine qu'il n'y a pas de- »
« Mademoiselle! » tonna Mai, les mains sur les hanches et le regard brillant d'amusement.
« Ara, je plaisantais, Mai, mes excuses. »
Cette dernière soupira et récupéra le torchon qui pendait sur son épaule. « Que voulez-vous me demander, dans ce cas? » demanda-t-elle avec curiosité.
Shizuru reprit son sérieux. « Ara... j'ai entendu dire qu'il y avait eu un meurtre il y a peu? »
Le regard de Mai s'adoucit immédiatement et elle tira une chaise vers elle pour s'y asseoir en déposant son torchon sur le dossier. « Ah, oui » commença-t-elle, « quelle histoire... »
« Que s'est-il passé? » demanda la blonde avec une fausse hésitation.
« Et bien », Mai sembla collecter ses pensées avant de reprendre d'une voix blessée. « Un homme et sa fille, adoptée à ce qu'on dit, ont été tués il y a quelques jours, oui. » Mai s'interrompit. « Vous devriez commencer à manger, mademoiselle, ça va refroidir. »
« Oh, excusez-moi. » Shizuru s'empressa de récupérer ses baguettes et entama son repas avec précaution. Mai se pencha vers elle et continua alors en conspirant. « Beaucoup de gens disent que c'est un vampire, mais ne les écoutez pas. » Elle regarda autour d'elle avant de poursuivre. « Il paraît que la fille de Serguey avait beaucoup de dettes. »
Shizuru releva la tête de son repas, délicieux, et répondit d'une voix intéressée. « Des dettes? »
« Oui... vous voyez, on dit qu'elle passait beaucoup de temps à jouer au poker à Furano » continua Mai avant de se redresser. « Enfin, moi ce que j'en dis de tout ça. »
C'était faux. Nina n'avait pas de dette et ne jouait pas au poker. Si l'on devait croire Erstin, bien sûr. Elles passaient la majeure partie de leurs soirées au cinéma et dans les bars. Rien de particulièrement dangereux à première vue. Shizuru se promit de tout de même d'éplucher les comptes en banque de deux victimes mais décida de ne pas y prêter trop garde.
Si elle était le tueur, elle ne tuerait pas pour de l'argent. Tout ça ne collait pas avec le profil qu'elle avait dans la tête. « Qu'est-ce que vous en pensez, Mai? Vous n'avez pas peur? » demanda-t-elle finalement, la voix apeurée.
Cette dernière pâlit mais secoua la tête. « Tout le monde a peur, mademoiselle, mais nous savons de qui il faut se méfier, vous savez »
« Oh? » De qui, exactement, Mai?
« Oui, vous savez... » Elle se pencha de nouveau vers elle en murmurant. « Cette étrangère qui vit dans les montagnes est arrivée juste avant que l'on commence à retrouver des animaux morts. Si vous voulez mon avis, la police ne devrait pas tarder à voir ce que nous savons déjà. »
« Vous pensez qu'elle est responsable? »
La rousse se passa une main dans les cheveux, visiblement mal-à-l'aise. « Non, bien sûr que non. Il ne faut pas accuser les gens sans preuve, mademoiselle », dit-elle comme pour se convaincre. « Mais méfiez-vous quand même. », reprit-elle après quelques instants en murmurant. « Il paraît qu'elle dort la journée et qu'elle se promène dans les bois la nuit. »
Il y eut un silence et Mai, persuadée d'avoir convaincu son auditoire, se retira après avoir lâché un « Et son énorme chien, là, une véritable bête sauvage. Il faudrait qu'elle le tienne en laisse ». Shizuru fut ainsi abandonnée à ses lugubres pensées et à son repas de reine.
Elle soupira de dépit. Il allait falloir faire le tri entre la réalité et les rumeurs. Voilà quelque chose qui ne l'enchantait pas. Mais alors pas du tout.
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La première maison à laquelle Shizuru décida de frapper était celle du maire. Yuichi lui avait indiqué le chemin lorsqu'elle lui avait demandé où elle pourrait le trouver, après lui avoir jeté ce regard suspicieux qui le caractérisait si bien. Shizuru n'était pas stupide. Elle savait que son statut d'enquêteur ne resterait pas longtemps dans les tiroirs et que son anonymat ne tiendrait pas jusqu'au lendemain. Elle ne cherchait même plus à être particulièrement discrète. Elle doutait que cela change quelque chose à l'affaire, de toute façon. N'importe quel imbécile pouvait remarquer qu'elle n'était pas de la région, c'était aussi évident que si cela avait été écrit sur son front. Et apparemment, on faisait autant confiance aux étrangers qu'aux représentants de l'ordre à Osomura, si l'on en croyait Haruka et les dires de Mai, qui la confortaient dans cette idée.
En plus de cela, Shizuru allait devoir sonner chez les gens pour leur demander expressément ce qu'ils pensaient de l'affaire. Il y avait mieux si on voulait être discret. Elle allait devoir compter sur son charisme, et sur lui uniquement, si elle voulait pêcher les bonnes informations. Et probablement faire preuve de patience, si elle devait écouter toutes les rumeurs saugrenues qui devaient circuler dans le village depuis l'annonce des meurtres.
Une fois arrivée devant la porte d'entrée blanche d'une maison trois fois plus grande que les autres, elle procéda à son habituel rituel. Elle réajusta son manteau, vérifia tous ces menus détails auxquels personne ne faisait attention, et remit rapidement sa chevelure en place avant de sonner.
Elle attendit un certain moment dehors, le nez enfoui dans son écharpe mauve assortie à ses gants, avant que quelqu'un ne vienne lui ouvrir. La petite brune qui se dévoila derrière la porte était une domestique. Elle portait une tenue noire et blanche impeccable et s'inclina lorsqu'elle s'effaça pour la laisser entrer. Shizuru fit quelques pas dans la grande entrée et dénoua un peu son écharpe. Il faisait chaud à l'intérieur. « Bonjour », commença-t-elle d'une voix égale et plaisante, « je suis Shizuru Fujino, je voudrais voir le maire. Est-ce qu'il est ici? »
La jeune fille se redressa et lui répondit avec un enthousiasme enfantin. « Enchantée madame, je suis Akane. Je vais voir si Kanzaki-sama est dans son bureau. » Elle lui présenta les quelques fauteuils qui formaient une ronde dans un coin du hall et continua en se dirigeant vers une porte latérale. « Asseyez-vous, je reviens dans deux minutes. » Et sur cette note, elle disparut derrière la porte.
Shizuru ouvrit son manteau et retira complètement son écharpe avant de s'asseoir en regardant autour d'elle. Elle n'aimait pas qu'on l'appelle « madame ». Ça la vieillissait cruellement. Les murs de la maison, ou plutôt du manoir, étaient très hauts. Le papier peint était élégant, jaune et blanc, et les escaliers vernis qui semblaient mener à l'étage supérieur bien entretenu. Celui qui vivait ici était un homme raffiné pensa-t-elle en voyant le carrelage parfaitement posé et la décoration impeccable. Et riche, réalisa-t-elle en sentant dans son dos le cuir mou du fauteuil. Elle croisa les jambes. La pièce était peut-être un peu trop impersonnelle à son goût, mais elle était très belle. Très propre. Très rangée. Un peu comme chez elle, en réalité. Les relents de perfectionnisme qui l'assaillaient parfois depuis quelques années avaient vu la maison de la jeune femme transformée pour être aussi parfaitement agencée que si trente domestiques travaillaient à l'intérieur. Shizuru ne supportait pas la poussière. Elle se glissait trop facilement sous les ongles. Et les ongles sales, c'était-
Akane la tira de ses pensées en revenant vers elle, souriante. La fille ne devait pas avoir dix-huit ans, songea Shizuru en la regardant marcher. « Kanzaki-sama vous attend » annonça l'adolescente avant de la guider vers la porte qu'elle avait empruntée quelques minutes auparavant. Bon sang, que ce « sama » était ridicule. Elles traversèrent un petit couloir peint en jaune paille et au carrelage crème en silence, avant d'arriver devant une porte blanche. Akane frappa docilement et attendit qu'une voix grave et douce ne se fasse entendre dans un « entrez » chaleureux avant de pénétrer dans la pièce. Elle s'effaça pour laisser le commissaire entrer et Shizuru put enfin être accueillie par l'homme qui occupait la salle.
Le bureau de Reito Kanzaki était également jaune et blanc.
Ce dernier se leva promptement avec une rare élégance et lui présenta une main manucurée, le costume noir taillé sur-mesure tombant parfaitement sur ses épaules, un sourire aimable et poli collé au visage. « Fujino-san, je suis ravi de vous rencontrer. » commença-t-il alors qu'elle lui serrait la main, « Je suis Reito Kanzaki, le responsable de la collectivité d'Osomura. »
Shizuru se rendit compte qu'elle venait de rencontrer son alter-ego avec une pointe de cynisme. S'il était l'assassin, elle avait du souci à se faire. « Enchantée. » répondit-elle avec un sourire calqué sur celui qui lui faisait face.
Reito Kanzaki fit un signe de tête en direction d'Akane et cette dernière déguerpit après avoir poliment salué Shizuru d'une courbette empressée. Il souffla un peu gardant son sourire intact et se tourna vers elle à nouveau. « Que puis-je faire pour vous, madame? Je devine que vous n'êtes pas d'ici. Vous souhaitez emménager? » demanda-t-il avec une curiosité mal camouflée.
Elle se retint de pouffer comme une adolescente mais ne put empêcher un sourcil sceptique de se lever. Emménager? Ici? Quelle idée. C'était un miracle que l'exode rural ne soit pas déjà passé par là. « Ara, je crois que vous faites erreur, Kanzaki-san. » répliqua-t-elle avec humour. Il ne se démonta pas pour autant et répliqua en lui présentant un siège. « Oh? Vous venez de Kyoto, je me trompe? Que venez-vous chercher dans le froid et la neige hivernale de Hokkaido? » Il termina sa phrase en s'asseyant à son tour sans relever le fait qu'elle pliait soigneusement son écharpe avant de la poser sur ses genoux.
« Des vampires? » répondit-elle aimablement en gardant son sourire innocent.
Le maire ignora le cynisme de la réplique et lui lança un regard intéressé. « Vous êtes venue enquêter. Depuis Kyoto? »
Elle posa ses mains sur son écharpe. « J'ai été appelée par le commissaire Suzushiro. C'est une amie. » commença-t-elle, « je suis effectivement ici pour enquêter. La moindre des choses était de vous prévenir de ma présence ici. »
Il hocha la tête et croisa les mains devant lui, les coudes posés sur son bureau. « D'accord, on m'a averti de la venue d'un enquêteur, j'aurais dû me douter que c'était vous », répondit-il doucement, « je suppose que vous savez mieux ce que vous avez le droit de faire que moi. Si je peux vous être d'une quelconque aide, n'hésitez pas. » Il sembla méditer quelques secondes avant de reprendre avec une curiosité et, elle osait le penser, inquiétude. « Vous logez au Souffle de Kagutsuchi ou à Furano? »
« Au Souffle de Kagutsushi. » Et comme elle devinait où cette conversation menait, elle ajouta innocemment « je compte rester jusqu'à ce que j'en sache plus. Je crois que ça va prendre un certain temps, étant donné les circonstances. »
« À qui le dites-vous », répondit-il, visiblement dépité. « Je peux m'engager à payer les frais d'hôtel, si vous le désirez, je ne sais pas si c'est compris dans les frais d'enquête. »
Jeu, set et match. « Ara, c'est trop aimable, Kanzaki-san. »
« Je vous en prie, c'est normal. » répondit-il avec un sourire qui lui prouva qu'il n'était pas dupe. Shizuru préféra ne pas s'en formaliser, heureuse d'avoir trouvé un moyen de ne pas payer ce qu'elle pressentait être des sommes d'argent exorbitantes, et passa à autre chose.
« Dans ce cas, merci », conclut-elle, « je ne suis pas certaine que j'aurais pu les avancer moi-même ». Ce qui était faux. Mais peu importe. Personne n'avait à savoir qu'elle était l'une des plus grandes fortunes d'Honshu depuis qu'elle avait récupéré le trésor royal que constituait l'héritage de ses parents. « Quoiqu'il en soit, avez-vous quelque chose d'important à déclarer avant que je ne vous pose quelques questions? »
Le visage de Reito Kanzaki sembla s'attrister. « Malheureusement, je crains que oui. » Devant le regard curieux du commissaire, il poursuivit. « Je suis probablement la dernière personne à avoir vu Serguey vivant. »
« Ara? »
« Je suis allé chez lui en début de soirée, Nina était déjà partie. J'étais venu lui dire que le terrain qu'il prévoyait d'utiliser pour construire son nouveau projet d'immeuble avait été déclaré non-constructible par la municipalité de Furano. » Il s'arrêta pour soupirer. « Il faut croire que rien n'a été comme prévu ce soir-là. »
La jeune femme se redressa sur son siège, intéressée. « À quelle heure êtes-vous parti? »
Il lui lança un regard égaré. « Je ne sais pas, je n'ai pas regardé. »
« Approximativement. Vous aviez déjà mangé? »
« Oui, c'était pendant la soirée. » Il s'enfonça dans son siège et sembla réfléchir, les yeux mi-clos. « Je dirais entre vingt-deux et vingt-trois heures. Nous avons discuté un bon moment. »
Shizuru s'agita sur son siège, sceptique. « Vous êtes allés le voir après le dîner? Pourquoi si tard? »
« Parce que je l'ai appris juste avant le dîner et que je ne voulais pas laisser la nourriture refroidir, pourquoi donc voulez-vous que j'y aille aussi tard? » répondit-il comme si c'était une évidence.
« Mais pourquoi ne pas avoir attendu le lendemain, alors? » renchérit Shizuru avec curiosité. Elle ne pouvait s'empêcher de trouver qu'il était étrange de quitter le village après le dîner pour aller dire à l'un de ses concitoyens qu'il ne pourrait pas mener un projet à terme. Un coup de téléphone aurait suffi. Ou alors, il était possible d'attendre le lendemain matin.
Elle fut étonnée de voir Reito Kanzaki soupirer avant de lever les bras en signe d'impuissance. « Je voulais qu'il le sache le plus vite possible. Je n’y serais pas allé au milieu de la nuit si je n’avais pas trouvé que c’était urgent. Il devait démarrer son projet dans deux jours! Je ne pouvais quand même pas attendre le lendemain pour l'informer. »
« Mais… vous auriez pu téléphoner, non? »
Il lui renvoya un regard éberlué. « Mais enfin, ce n'est pas quelque chose qu'on apprend à quelqu'un par téléphone! » Il gesticula des mains en perdant visiblement son calme. « Il travaillait sur ce projet depuis presque un an! Je voulais être là pour lui tenir compagnie, c'est mon travail et mon rôle! » répliqua-t-il, manifestement insulté.
Elle releva les mains placidement en signe de défense. « Ara, pardonnez-moi, Kanzaki-san, mais avouez que ça peut paraître étrange. »
« Bien sûr, bien sûr » répliqua-t-il en regagnant le contrôle de ses mains. Il se pinça l'arête du nez un instant avant de soupirer. « Je vous prie de m'excuser, je suis un peu sur les nerfs avec cette histoire. Votre présence ici me laisse présager le pire. »
« Je comprends » Elle lui fit un sourire encourageant auquel il répondit, visiblement apaisé. Un chantier. Peut-être faudrait-il creuser par là. « Savez-vous comment les habitants risquent de réagir à ma présence ici? » Il grimaça à l'entente de la question avant de répondre. « Mal. Les étrangers n'ont pas la côte ici. La moitié des habitants refuseront de vous parler. Les autres sont comme des fous depuis une semaine. » Il croisa les mains sous son menton, pensif et inquiet. « Ils s'accusent et se soupçonnent les uns les autres. Certains pensent même qu'il s'agit d'un véritable vampire! » Il secoua la tête de dépit à la mention de cette dernière phrase. « Ils ont peur, et les circonstances des meurtres laissent leur imagination vagabonder librement. J'ai même entendu parler de loup-garou! »
Shizuru laissa échapper un soupir. Elle avait justement craint cette réaction. Elle risquait fortement de ne rien tirer de son porte-à-porte. « Et vous? » demanda-t-elle tout de même avec une pointe d'hésitation. « Vous avez un avis sur la question? »
Il réfléchit un instant avant de secouer la tête. « Il y a bien Tomoe Marguerite, mais c'est juste une fille un peu dérangée, elle ne ferait pas de mal à une mouche. »
« Pourquoi elle? »
Il grimaça. « On dit que les morts ont été tués par morsure. Et elle a une impressionnante collection de serpents chez elle. » commença-t-il, « je pense que beaucoup d'habitants la soupçonnent pour cela, mais... » Il leva les yeux au ciel. « Elle a peur du noir. Comment voulez-vous qu'elle tue quelqu'un la nuit dans ces conditions? »
Shizuru ferma les yeux en se massant les tempes. Visiblement, il y avait un petit paquet de personnes peu fréquentables à Osomura. Entre l'éleveuse de serpents et la dresseuse de chiens, il ne manquait plus qu'une vieille folle et elle aurait le tiercé gagnant.
Une demi-heure plus tard et comme la plupart des gens travaillaient à cette heure-ci de l'après-midi, Shizuru décida de retourner à l'hôtel pour voir si elle ne pouvait pas se procurer une carte de la région et un annuaire afin de voir le nombre d'habitants qui lui restaient à aller voir. C'est-à-dire la quasi-totalité. Elle soupira en pensant que l'entretien avec le maire n'avait pas été très utile. L'homme était charmant mais ne semblait pas avoir beaucoup d'informations intéressantes à lui donner. Son histoire de visite au clair de lune était assez étrange, mais Shizuru songea en marchant dans le froid que tout à Osomura semblait sortir d'une autre planète. Une éleveuse de serpents? Et puis quoi encore? Elle n'en revenait toujours p-
Une vieille femme la regardait depuis sa fenêtre, une main décharnée agrippée sur le rideau en dentelle blanc, le visage fermé et le regard scrutateur. Shizuru s'arrêta et se tourna vers elle avec amusement. Lorsque son regard rouge croisa les yeux perçants de la vieille, cette dernière s'empressa de tirer le rideau afin de ne pas être vue.
Tiercé!
Trop tard, pensa gaiement la jeune femme en se dirigeant vers la maison de pierre blanche où la vieille se trouvait d'un pas presque sautillant. Elle allait pouvoir raccourcir sa liste de personnes à interroger dès maintenant. Elle grimpa les trois marches et frappa à la porte avec entrain et bonne humeur. Elle n'eut pas de réponse. Visiblement, les petits vieux avaient aussi connaissance de la technique du mort dans les contrées les plus reculées de Hokkaido. Combien de fois avait-elle dû frapper à la porte de ces vieux singes à Tokyo? Elle frappa de nouveau et entendit un bruissement de tissu -probablement de kimono- derrière la porte avant qu'une voix douce et fluette ne lui provienne depuis l'intérieur. « Oui, j'arrive, j'arrive. »
Déjà? Elle pensait pourtant devoir insister plus longtemps. La porte s'ouvrit sur une vieille femme qui n'était pas celle qu'elle avait vue à la fenêtre quelques minutes plus tôt. Voilà pourquoi elle n'avait pas eu à attendre trop longtemps. Son interlocutrice avait un visage enfantin malgré l'âge, et un sourire accueillant. Se sentant presque comme un enfant pris en flagrant délit de vol de bonbon, Shizuru s'inclina, chose rarissime, avant d'annoncer son identité.
« Bonjour, excusez-moi de vous déranger, je suis Shizuru Fujino. » entreprit-elle d'expliquer. « Je suis chargée d'enquêter sur les crimes qui ont eu lieu il y a quelques jours et j- »
Une voix criarde l'interrompit depuis l'intérieur de la pièce, la faisant grincer des dents tandis que l'autre femme fermait les yeux pour se protéger. « Fumi! Qu'est-ce que c'est? » Ladite Fumi lui fit un sourire d'excuse avant de l'inviter à entrer en silence, ce que Shizuru fit avec gratitude après quelques hésitations. Elle se tourna ensuite vers l'intérieur et la guida vers ce qui semblait être le salon.
Tout sentait le vieux dans cette maison, pensa Shizuru lorsqu'elle mit les pieds dans la petite pièce exigüe. Les meubles étaient disposés d'une curieuse façon, formant de larges allées ou alignés contre les murs au papier peint vert sale et vieilli. Plus loin, à côté d'une petite table, se trouvait la raison de ces étranges agencements de mobiliers.
Une vieille femme entassée sur un fauteuil roulant les regardait avec des yeux perçants et suspicieux. C'était celle qui était à la fenêtre quelques minutes auparavant. La voix de Fumi s'éleva doucement dans la pièce, comme une brise d'été. « Mashiro, viens, cette dame est là pour enquêter sur ce qui est arrivé à Serguey et Nina Wang. »
Le regard de la vieille s'éclaira d'un coup et elle se tourna complètement vers elles, intéressée. Fumi la rejoint, laissant Shizuru gauchement plantée à l'entrée du salon, et se posta derrière elle pour pousser le fauteuil roulant dans l'allée formée par les meubles vers un espace vide entre les fauteuils disposés dans un coin. « Fujino-san, je vous en prie, asseyez-vous » dit-elle alors avec douceur après avoir bloqué le fauteuil pour éviter qu'il ne roule vers l'arrière. « Vous voulez du thé? »
« Je veux bien, merci. » répondit Shizuru en retirant son écharpe et en la pliant sur ses genoux.
« Mashiro? » demanda-t-elle en se tournant vers la vieille femme aux cheveux blancs comme la neige.
« S'il te plaît, Fumi, tu es gentille. » répondit cette dernière en tapotant l'avant-bras de l'autre. Fumi quitta alors la pièce et laissa derrière elle les deux femmes se regarder en silence. Shizuru fut soulagée de voir que la vieille n'osait pas la regarder dans les yeux. L'avantage d'avoir les yeux rouges, songea-t-elle en se mettant à l'aise, était qu'elle avait toujours l'ascendant sur ses interlocuteurs. Toujours.
Sauf Haruka. Mais comment pouvait-on avoir l'ascendant sur une telle force de la nature?
Le silence pesant perdura un moment avant que Mashiro ne se redresse sur son siège et lui lance un regard apeuré. « D'où vient-il? » murmura-t-elle alors.
Shizuru cligna des yeux sans comprendre. « Je vous demande pardon? »
« Le rouge dans vos yeux » répondit l'autre avec sécheresse, « D'où vient-il? »
Shizuru lui fit son plus beau sourire et s'enfonça confortablement dans son siège. « Ara, c'est une longue histoire » commença-t-elle d'une voix enjouée, « c'est- »
« Oh! » Mashiro se pencha vers elle, intriguée. « Et cet accent, d'où vient-il? Quelle étrange fille vous êtes! »
La jeune femme éclata de rire avant de songer à s'en empêcher. Ce fut le moment que choisit Fumi pour entrer de nouveau dans la pièce avec un plateau sur lequel reposaient trois tasses de thé fumantes. Shizuru se força à reprendre son calme et répondit à la vieille avec amusement. « Je viens d'Honshu, c'est un accent qui vient de ma ville natale, Kyoto. »
Mashiro se tourna vers Fumi et tira sa manche lorsque cette dernière s'assit près d'elle. « Fumi! Quelle est cette fille que tu nous ramènes, on dirait qu'elle chante! » L'autre lui sourit, ce qui sembla l'apaiser, et prit sa main entre les siennes. « C'est parce qu'elle vient de loin, Mashiro, rien d'autre. »
Ces deux-là, pensa alors Shizuru en souriant, elle était curieuse de savoir ce qui pouvait bien les lier l'une à l'autre. Fumi se tourna vers elle avec bienveillance et lui proposa une tasse de thé que Shizuru prit avec déférence avant de lui demander de préciser la raison de sa visite. Shizuru se retrouva dans une impasse. Que pouvait-elle bien demander à deux petites vieilles sur un crime commis en pleine nuit dans les bois? Les deux femmes ne pouvaient que dormir.
« Vous êtes dans ce village depuis longtemps? » s'entendit-elle demander avec un peu trop de curiosité à son goût. Les deux femmes répondirent à l'unisson, et Shizuru dut se retenir de ne pas recracher son thé sur son pull. « Quarante-deux ans. »
« Ara... vous devez bien connaître le village alors. »
« Et comment! » s'écria Mashiro de sa voix criarde, manquant dans son énervement de renverser sa propre tasse, « nous connaissons la région par cœur, n'est-ce pas Fumi? » Cette dernière hocha la tête avant de reprendre calmement. « Mais nous ne sommes plus allées nous balader depuis un moment, Mashiro n’est plus en état. » Mashiro sembla grommeler quelque chose que la jeune femme ne comprit pas mais n'ajouta rien. « Je suis désolée, Fujino-san » reprit alors Fumi avec un sourire contrit, « mais je ne pense pas vous être d'une très grande aide pour votre enquête, nous n- »
« Bien sûr que si, Fumi, voyons! » répliqua l'autre en renversant définitivement sa tasse sur son kimono bleu ciel sans s'en rendre compte. « Je sais ce qu'il se passe, je vois des choses. »
Shizuru mit un certain temps à comprendre qu'elle ne parlait pas de visions surnaturelles mais du fait qu'elle passait probablement ses journées devant la fenêtre à regarder les allées et venues de tout le monde. Elle se pencha alors en avant et pointa son doigt vers l'extérieur. « Je vais vous dire, ma fille, depuis que les mineurs sont là, il se passe des choses étranges. »
« Vous voulez dire les archéologues? »
« C'est pareil » répliqua l'autre d'un mouvement négligent de la main. « Je les vois partir le matin et revenir le soir couverts de terre. »
Certes. Fumi leva les yeux au ciel et lui tapa gentiment la main. « C'est leur travail, Mashiro, ils creusent. » La vieille ne sembla pas d'accord et lui lança un regard de dédain avant de se tourner vers Shizuru à nouveau. « Ils ont réveillé le Diable, avec leur bric-à-brac! Pas étonnant qu'il y ait des morts. Je vous le dis, les prochains seront les Yumemiya. »
La jeune femme soupira imperceptiblement dans sa tasse. Quel merdier. « Les Yumemiya? » demanda-t-elle pour changer de sujet. Triomphante, Mashiro se redressa. « Oui, il paraît qu'ils ont eu un enfant avant de se marier. Ils sont maudits, je vous le dis, moi, mais personne ne m'écoute jamais. »
Fumi la contredit immédiatement. « Mais non, ce sont des rumeurs, ça! Arika est née bien après qu'ils se soient mariés! »
« Ils ont antidaté le mariage! » répondit l'autre avec agacement, « Tu penses bien, ils n'allaient quand même pas le crier sur tous les toits! »
« Ara... » Les deux femmes se tournèrent de concert vers Shizuru en l'entendant murmurer. « Vous n'avez rien vu d'autre, Mashiro-san? »
Cette dernière sembla réfléchir pendant que Shizuru priait mentalement de recevoir une réponse négative. « Si! » s'exclama-t-elle finalement, au grand dam des deux autres occupantes de la pièce qui échangèrent un regard désolé. « Il y a cette petite folle, avec ses serpents, là! » commença la vieille en s'agitant sur son siège. « Toujours aux petits soins avec eux, elle ne les quitte jamais! Une fois j'en ai retrouvé un dans la cuisine! » Elle grommela à nouveau quelque chose d'imperceptible en regardant sur le côté. Fumi en profita pour lui prendre sa tasse vide des mains et la reposer sur le plateau dans un claquement de porcelaine.
« Je crois que je ne vais pas vous retenir plus longtemps » déclara Shizuru en reposant sa tasse, qu'elle venait de terminer à une rapidité telle qu'elle sentait sa gorge brûler. Mashiro ne répondit pas mais lui fit signe de partir d'un geste sec de la main que la femme de Kyoto interpréta comme étant un au revoir.
Fumi se leva également avec un sourire d'excuse amusé et la raccompagna sur le pas de la porte. Shizuru déplia son écharpe et la remit autour de son cou avant de sortir, et la vieille ouvrit la porte d'entrée pour la laisser passer.
« N'en voulez pas à Mashiro, elle perd un peu la tête. » souffla-t-elle alors que Shizuru la dépassait. Cette dernière lui rendit son sourire et secoua la tête. « Ara, ce n'est rien, j'espère ne pas l'avoir trop effrayée. »
« Ne vous inquiétez pas », répondit l'autre, « elle s'en remettra bien assez vite. Par contre, hum... »
Shizuru pencha la tête sur le côté avec curiosité. « Oui? »
Fumi soupira et croisa les bras avant de reprendre avec anxiété. « Je pense que vous devriez faire attention au trappeur. C'est une femme si étrange! »
« Le trappeur? »
« Oui, comment s'appelle-t-elle, déjà? » Il y eut un moment de silence pendant lequel Fumi sembla réfléchir profondément avant que son visage ne s'éclaire, triomphant. « Ah! » s'exclama-t-elle alors, « Natsu... Natsumi Kruger, ou quelque chose comme ça. » Elle jeta un rapide coup d'œil autour d'elles avant de continuer avec empressement. « On dit qu'elle dort le jour et qu'elle chasse la nuit avec son chien. Vous savez, cette grosse bête. »
Non, pensa alors Shizuru, elle ne savait pas. Si l'on en croyait les dires des habitants, cette Natsumi Kruger était un chasseur de têtes nocturne accompagné d'un animal de cauchemar assoiffé de sang et de chair humaine. Elle peinait à croire que ce soit possible.
En rentrant à l'hôtel, quelques minutes après, elle continuait de repenser à ce curieux personnage. Elle était persuadée que les rumeurs qu'elle avait entendues jusque-là à son sujet étaient remplies d'exagération, justement parce que c'était des rumeurs, mais il était de notoriété publique qu'on ne faisait pas de fumée sans feu. Le chien en question devait véritablement être d'une taille impressionnante pour que les habitants en aient une peur aussi démesurée.
Elle retira son écharpe et dénoua son manteau avec précaution en avançant à l'intérieur à la recherche de Yuichi Tate. Elle repéra du coin de l'œil la note pendue au-dessus de l'interrupteur avec amusement et dépassa l'accueil vide en regardant autour d'elle avec curiosité.
Elle pensait que Yuichi serait derrière le bureau, probablement en train de mourir d'ennui et prêt à lui remettre ses clés en la voyant arriver. Après tout, il avait été là quelques heures plus tôt pour la regarder partir. Mais Yuichi n'était pas là. Peut-être ne s'attendait-il pas à la voir rentrer si tôt? Elle lâcha un petit soupir. Le service dans les villages était-il toujours aussi aléatoire?
Comme il y avait du bruit du côté de la salle où elle prenait ses repas, elle se dirigea vers cette dernière et traversa le couloir. Mai devait être encore occupée dans les cuisines, songea-t-elle. Peut-être que la rousse pourrait lui indiquer où trouver une carte. Peut-être même lui en prêterait-elle une?
Les bruits étouffés en provenance de la cuisine la confortèrent dans cette idée. Le restaurant était vide, mais la cuisinière devait être occupée à ranger la vaisselle ou préparer le repas pour les archéologues lorsqu'ils reviendraient.
« Mai? » appela-t-elle en se tournant vers la pièce.
Elle ne reçut pas de réponse. Mais les bruits continuèrent. C'était... de l'eau qui coulait? Elle fronça les sourcils et dépassa le comptoir du bar avec souplesse. « Mai? Vous êtes là? » demanda-t-elle une nouvelle fois en se glissant derrière le bar en silence. Pas de réaction. Le léger « glouglou » de l'eau qui s'écoule depuis un robinet continuait.
Bizarre, songea-t-elle en poussant du bout des doigts la porte de la cuisine.
Les cuisines étaient relativement grandes. Tout n'était que métal brillant et carrelage blanc. Il ne devait pas y avoir un seul rat dans cet univers de propreté, pensa-t-elle avec ironie en passant devant les plaques, les frigos, les réserves de pommes de terre et les comptoirs sur lesquels Mai devait préparer les repas. Elle se dirigea vers la source de l'eau et s'arrêta net lorsqu'elle l'eut trouvée.
La scène qui se déroulait sous ses yeux la fit cligner des yeux.
Dans un coin de la pièce, devant une porte dérobée, il y avait une table et à ses côtés un gigantesque évier qui se remplissait peu à peu d'eau et de mousse. Mais Shizuru ne prêta pas garde à la pièce, et elle ne vit ni la porte, ni l'évier, ni l'eau qui coulait, ni la mousse qui commençait à déborder.
Parce qu'à cette table était assise la plus belle petite fille qu'elle ait jamais vue.
Ses cheveux blonds étaient dénoués et cascadaient presque librement autour d'elle comme un halo doré, à peine retenus par un fin ruban noir qui les empêchait de venir se balader devant les yeux de la fillette, si bleus et si brillants que Shizuru crut qu'ils étaient faits de cristal. Imperturbable, la fille semblait infiniment plus concentrée sur la feuille de papier sur laquelle elle dessinait que sur le fait qu'une étrangère la regardait, mystifiée, depuis le pas de la porte.
Shizuru finit par se fendre d'un sourire nostalgique. Elle avait déjà rencontré une petite fille semblable à celle-ci, songea-t-elle en posant une main sur l'encadrement de la porte pour s'y appuyer. Si mignonne elle aussi, flanquée d'un uniforme d'école neuf et repassé à la perfection, toujours coiffée comme une princesse. Elle soupira.
Cette petite fille-là était bien vivante.
Comme elle avait la gorge sèche, elle toqua à la porte pour faire connaître sa présence. La petite fille ne réagit pas et continua de dessiner sans lui porter la moindre attention. Intriguée, Shizuru avança vers elle avec précaution.
Presque immédiatement, la fillette, qui devait avoir une petite dizaine d'années, fit volte-face et la regarda droit dans les yeux.
Il aurait été difficile de déterminer laquelle des deux semblait la plus effrayée.
Le commissaire se raidit et suspendit sa marche. Comme le silence s'éternisait, elle finit par remarquer que l'eau continuait de couler dans l'évier, quelque part sur le côté, et s'arracha aux yeux bleus de la petite pour aller fermer le robinet. Elle sentit le regard de la fille dans son dos lorsqu'elle se tourna vers l'évier et ce dernier ne la quitta pas pendant toute l'opération. Quand elle se retourna, elle vit que la petite blonde la regardait avec des yeux emplis de curiosité, grands ouverts. Attentive au moindre geste.
Mal-à-l'aise, Shizuru lui fit un petit signe hésitant de la main en murmurant un « bonjour » étouffé, réfugiée derrière un sourire aimable peu naturel.
La fille lui sourit alors et répondit à son geste avec enthousiasme, visiblement heureuse de voir une nouvelle tête, et enchaîna en faisant une succession de gestes et d'expressions qu'elle ne comprit pas. Shizuru cligna des yeux en réalisant l'évidence et se frappa mentalement le crâne pour ne pas avoir eu l'intelligence de le remarquer plus tôt, trop mystifiée par cette vision enfantine et nostalgique pour réfléchir.
La fille était sourde. Et Shizuru ne connaissait pas le langage des signes.
La petite blonde sembla réaliser son trouble et s'arrêta de gesticuler dans tous les sens pour lever les yeux au ciel et récupérer une feuille de papier vierge derrière elle, stylo en main. Elle griffonna quelque chose et fit signe à la jeune femme de s'approcher.
Bonjour, je m'apelle Alyssa.
Shizuru sourit. Elle commençait à comprendre qui pouvait avoir écrit la fameuse note scotchée au dessus de l'interrupteur près de l'accueil. Elle s'empara d'un stylo à son tour et répandit sur le papier son écriture fine et élégante.
Bonjour Alyssa, je suis Shizuru. Que fais-tu ici toute seule ?
Ce fut le moment choisi par Mai pour entrer dans la pièce en courant, faisant sursauter Shizuru par la même occasion. Alyssa ne réagit pas et se contenta de répondre rapidement. « Ah, Shizuru-san, merci! » s'exclama la rousse en la voyant. « Mon frère est passé, j'ai discuté et j'ai oublié que j'avais mis l'eau en route. » Elle se frappa le front et se dirigea vers l'évier pour enlever le château de mousse qui s'était formé au-dessus de ce dernier et Shizuru en profita pour lire ce que Alyssa avait écrit.
Ça, cé maman. Elle a du oublié l'eau encore une foi.
Shizuru ria en lisant ces quelques mots et lui fit un clin d'œil. La fille gloussa et se leva, emportant avec elle son dessin et ses crayons, avant de courir vers Mai, qui se baissa pour recevoir un baiser sur la joue, et de courir vers l'extérieur. Les deux femmes échangèrent alors un silence et un soupir bienheureux.
Quelle adorable fillette.
« Votre fille est adorable » murmura Shizuru en récupérant la première, un grand sourire sur le visage.
Mai ria en commençant sa vaisselle. « Je sais, tout le monde devient complètement gâteux dès qu'elle apparaît. » Elle sembla supprimer un nouveau rire avant de reprendre. « Même madame Kazahana ne peut pas s'empêcher de lui offrir des sucreries. »
« Kazahana? » demanda Shizuru en ayant déjà une petite idée de qui il pourrait s'agir.
« Oui, la doyenne du village. Une petite vieille qui passe ses journées à sa fenêtre. Si vous restez un peu avec nous, vous ne pourrez pas la manquer! » Mai plongea une dizaine d'assiettes dans l'eau et commença à les laver une à une. « Sinon, mademoiselle Fujino » reprit-elle avec amusement, « je ne peux pas dire que je ne suis pas contente que vous soyez ici étant donné que vous avez évité une énième inondation de ma cuisine -Shizuru laissa échapper un petit rire entendu-, mais que faites vous ici? Les clients ne sont pas censés visiter l'arrière du restaurant. »
Shizuru se mordit la lèvre. « Je voulais vérifier cette histoire de rats. »
Il y eut un clang sonore et elle éclata de rire en voyant le regard éberlué de Mai, qui venait de lâcher ses assiettes. Cette dernière s'adoucit en comprenant qu'il s'agissait d'une plaisanterie, et secoua la tête de dépit. « Ne me faites pas des peurs pareilles, enfin. »
« Ara, mes excuses, Mai. » Elle avisa la chaise laissée vide par Alyssa quelques minutes plus tôt et s'y assit avec souplesse. « Je vous cherchais. »
« Pourquoi donc? »
« Je n'ai pas été très franche avec vous tout à l'heure. » répondit l'autre avec un plaisant sourire. Mai fronça les sourcils et se tourna vers elle, délaissant momentanément ses assiettes pour lui lancer un regard curieux. « C'est-à-dire? »
« Je n'étais pas simplement curieuse, pour le meurtre des Wang » commença Shizuru en s'adossant contre le dossier de sa chaise, l'écharpe déjà sur les genoux. « Je suis ici pour enquêter dessus. Je crois qu'il est plus honnête de vous le dire. »
Mai laissa échapper un cri de surprise et croisa les bras en face d'elle en lui lançant un regard inquisiteur. « Vous êtes venue enquêter? Mais c'est la juridiction du commissaire Suzushiro, ici! »
« Je suis une amie », répondit la blonde en cachant sa surprise. Elle ne pensait pas que Mai lui lancerait une telle réplique. « Je suis commissaire à Tokyo, mais elle m'a demandé de me charger de l'enquête sur le terrain car elle est très occupée. »
Mai plissa les yeux un instant avant de soupirer et de se tourner à nouveau vers sa vaisselle. « Merci de me l'avoir dit, commissaire. » dit-elle finalement avec douceur. Apparemment, elle ne lui en tenait pas rigueur et Shizuru se sentit étrangement soulagée de ne pas avoir à présenter ses excuses. « Vous vouliez autre chose? »
« Ara, oui. » reprit Shizuru en se souvenant de la principale raison pour laquelle elle était venue au départ. « Je cherche une carte de la région. Où est-ce que je peux en trouver une? »
« Le mieux est d'aller à Furano, mais si vous voulez je peux vous prêter la mienne en attendant. Elle est un peu vieille, mais on ne s'en sert pas. » répliqua Mai en déposant la dernière assiette sur le côté et en s'emparant des premiers couverts.
Shizuru sourit. Les gens d'ici n'étaient peut-être pas si méfiants et inhospitaliers qu'elle le pensait.
Pendant la soirée, alors qu'on lui claquait la porte au nez pour la vingtième fois, elle décida de revoir son jugement. Reito n'avait pas menti, pensa-t-elle en resserrant son manteau autour d'elle. Les gens se méfiaient des étrangers. Les gens se méfiaient des forces de l'ordre. Les gens ne lui parleraient pas.
Dépitée, elle décida de revenir vers l'hôtel pour se mettre au chaud. Voilà encore quelque chose sur laquelle on ne lui avait pas menti, songea-t-elle amèrement. Il n'était pas dix-neuf heures et pourtant, elle avait déjà l'impression de voir le givre se former sur le sol à une vitesse telle qu'elle le voyait faire à l'œil nu. Non. Elle devait halluciner. Le givre ne pouvait pas grimper aussi vite. Alors qu'elle traversait une petite place, elle fut surprise de voir un bus apparaître au détour d'un virage et s'arrêter à une vingtaine de mètres d'elle.
Bien sûr, pensa-t-elle en regardant deux adolescentes sortir du véhicule, des bus transportent les habitants à Furano. Bus scolaire?
Les deux filles n'avaient pas l'air de s'entendre à merveille. Aussitôt le bus disparu, elles se tournèrent le dos et partirent chacune dans une direction opposée. Presque déçue, Shizuru compta ses options. L'une des deux filles devait être Tomoe. Elle ne devait pas se tromper. Comme les deux filles s'éloignaient, elle choisit de suivre celle qui était la plus proche.
Sans chercher à cacher sa présence, elle la rattrapa en faisant claquer les talons de ses bottes sur le sol durci par le givre -déjà?!- et ne fut pas surprise de la voir se retourner pour lui lancer un regard inquisiteur, visiblement peu impressionnée. « Qu'est-ce que vous voulez? »
Il faisait déjà sombre à cette heure de la journée. Shizuru ne distinguait de la fille qu'une touffe rebelle de cheveux roux désordonnés, mais son visage restait difficile à discerner. « Bonsoir mademoiselle, je- »
« Vous êtes perdue? » l'interrompit l'autre avec un sourire roublard, « dommage pour vous, c'est la zone ici, vous savez. »
Shizuru lui rendit un sourire entendu. « J'ai remarqué, oui. Mais non, je ne suis pas perdue. »
L'adolescente lui lança un regard critique. « Ah non? » Puis lui lança un regard atterré. « Vous êtes ici parce que vous le voulez alors? C'est nul. »
Le sourire de Shizuru s'élargit. « Pas tout à fait. Je suis là pour enquêter. » Les yeux de son interlocutrice s'agrandirent et elle la détailla de la tête aux pieds. Visiblement, remarqua alors Shizuru en la laissant se remettre du choc, le fait de ne porter qu'un blouson sur les épaules ne semblait pas la gêner. L'adolescente lui jeta un regard sceptique après l'avoir inspecté. « Vous êtes commissaire? Vous? Et bah. »
Shizuru tomba des nues. C'était si peu évident? « Ara... »
« Alors vous courrez après les gens la nuit pour leur soutirer des informations? » continua l'autre avec un sourire ironique. « Comment vous obtenez vos infos, exactement? »
Le sourire se fit plus suggestif et Shizuru dut faire un effort pour ne pas laisser l'irritation se voir sur son visage. Tomoe Marguerite ou non, cette fille était insupportable. Le commissaire soupira en fermant brièvement les yeux. « Je cherchais Tomoe Marguerite » souffla-t-elle finalement avec irritation.
Le sourire de l'adolescente disparut immédiatement pour être remplacé par un visage cruellement... offensé. « Et vous m'avez confondue avec elle? » s'écria la rousse en gesticulant des mains d'irritation. « Non mais... vous m'avez regardé? Comment vous avez pu- »
« A quoi ressemble-t-elle, exactement? » l'interrompit Shizuru. Visiblement, elle s'était trompée de personne. L'adolescente lui lança un regard sceptique avant de sourire à nouveau. Un sourire insupportablement narquois.
« Vous êtes sûre que vous êtes commissaire, vous? Vous devez être le fond du panier, hum... »
Shizuru lui rendit un sourire glacial emprunté à Nagi Homura pour l'occasion. « Si vous le dites. » Après avoir eu la satisfaction de voir la peur traverser le regard de son interlocutrice, son visage se fendit d'un sourire faussement aimable. « Puisque vous n'êtes pas Tomoe, vous allez me dire qui vous êtes, non? »
L'autre soupira avant de répondre avec une moue ennuyée. « Nao Yuuki. »
« Ah, Nao, auriez-vous l'amabilité de me dire à quoi ressemble Tomoe Marguerite, je vous prie? » demanda Shizuru avec un cynisme évident.
La fille lui rendit un regard meurtrier qu'elle préféra ignorer avant de lui répondre d'un geste vague de la main. « C'était l'autre. Celle avec la coupe de cheveux bizarre. » Elle tourna les talons et commença à partir, les mains dans les poches de son blouson. « Maintenant si vous voulez m'excuser, commissaire », ironisa-t-elle à son tour par dessus son épaule, « j'ai autre chose à foutre que de papoter avec vous sous la neige, alors salut. »
Et pour la seconde fois de la journée, Shizuru se sentit laissée en plan au milieu de la rue comme une imbécile. Comme elle ne voyait pas l'intérêt de courir après l'insupportable gamine avec qui elle venait d'échanger ces quelques mots si aimables, elle décida de retourner là où le bus s'était arrêté. En trottinant parce qu'il faisait froid.
Nao Yuuki n'était encore qu'une adolescente. Elle ne pouvait pas être le meurtrier des Wang si l'assassinat de ces derniers était relié à la mystérieuse femme tuée neuf ans plus tôt. Tomoe, pensa Shizuru en se dirigeant vers la place, semblait plus âgée, mais sans doute pas suffisamment pour être un potentiel tueur.
À moins qu'elle n'ait toujours été complètement dérangée, comme ce qu'en disaient les autres habitants. Les enfants tueurs existaient. De ça Shizuru était certaine. Et les enfants qui assassinaient avaient le culte du jeu. De la mise en scène. Parfois.
Et Natsumi Kruger, réalisa-t-elle, quel âge avait-elle? Au moins vingt ans. Sinon, ceux qui lui en avaient parlé n'auraient pas parlé de « femme », mais de « fille », comme ils l'avaient fait pour Tomoe. Ou alors, elle faisait fausse route.
Elle devait rencontrer cette femme. Et son chien.
La place était déserte lorsqu'elle y revint, et la nuit lui donnait une allure un peu féérique. Ou alors c'était les lampadaires qui lui donnaient cette étrange ambiance. Shizuru grimaça en ralentissant sa marche pour regarder autour d'elle. Elle ne se souvenait plus exactement quelle direction avait été prise par Tomoe Marguerite quelques minutes plus tôt. Il n'y avait pas encore assez de neige pour suivre les empreintes de pas.
Mais suffisamment pour cacher une plaque de verglas vicieuse. Si seulement Shizuru y avait pensé.
Il était dix-neuf heures seize lorsque les bottes du commissaire glissèrent sur le givre camouflé par quelques flocons blancs. Une demi-seconde plus tard, il y eut un bruit de chute sonore qui se répercuta sur les murs des habitations et la jeune femme se retrouva à demi-allongée sur le dos, son écharpe dénouée déversa sur la neige un chemin carmin entortillé sur lui-même, et elle lâcha mentalement une poignée de jurons empruntés à Takeda.
Un « ara » étouffé se fit entendre après quelques secondes d'inertie et elle se redressa avec lenteur, empêtrée dans son manteau pourpre et les gants glacés couverts de neige fondue. La première chose à laquelle Shizuru pensa fut de regarder autour d'elle afin d'être certaine que personne n'avait assisté à la scène et, sonnée, elle se remit sur pied avec difficulté avant d'avancer vers le Souffle de Kagutsuchi en titubant comme un ivrogne.
Tomoe Marguerite pouvait bien attendre quelques heures.
Posté le: Mar Mar 16, 2010 10:38 pm Sujet du message:
En relisant ton chapitre, malgré l'ambiance loin d'être joyeuse et détendue qui y règne, je ne peux m'empêcher de le trouver gentiment parodique sur les bords XD
Tout d'abord Shizuru, que tu nous présentes comme une enquêtrice aussi snob que parfaitement consciente de son talent...et pingre
Et Mashiro dans le rôle de la petite vieille agressive, qui passe ses journées scotchées aux fenêtres, ça je dois dire que ça m'a beaucoup fait rire ^^
Mais là où c'est réussi c'est que ce sont des traits de caractères qui ne sont pas en contradiction avec ceux du personnage d'origine: tu forces juste le trait et c'est ma foi loin d'être incohérent ^^
Bref, j'attends la suite avec beaucoup d'impatience, pour avoir la suite du déroulement de l'enquête bien sûr, mais surtout pour voir de quelle façon tu vas "arranger" le reste du casting des séries
Inscrit le: 21 Mar 2009 Messages: 164 Localisation: Sur le toit.
Posté le: Ven Avr 02, 2010 7:04 pm Sujet du message:
Yoh , c'est encore moi.
Ahem. Nouveau chapitre, youhou. Cette fois-ci, c'est pour fêter les vacances, étant donné que FF XIII s'est déjà fait avaler tout cru.
Miya: c'est vrai que l'ambiance du chapitre précédent est un peu légère par rapport au fond de l'histoire centrale, j'ai même eu un peu peur au départ que le côté "parodique", comme tu dis, ne gâche un peu la lecture. Mais pas d'inquiétude, je vais me rattraper bientôt pour l'ambiance, patience (mwaha).
Bref. Bonne lecture ^^.
Le Rendez-vous des Princes
Chapitre 3
Lorsqu'elle était passée au commissariat la veille, Haruka lui avait donné rendez-vous « tôt le matin » à l'écart du village, là où les victimes habitaient. Shizuru n'avait toujours pas trouvé comment interpréter cette expression. Haruka étant du genre à se lever à cinq heures du matin et elle à neuf, l'enquêteuse avait tout de suite vu qu'il risquait d'y avoir un conflit entre les horaires.
Peut-être aurait-elle dû demander quelques précisions à ce sujet.
Lorsqu'elle engagea son véhicule sur la pente enneigée qui menait à la maison désormais inhabitée des Wang, elle vit que son amie était déjà présente sur les lieux et l'attendait, adossée tranquillement contre l'un des murs du bâtiment, les bras croisés et les doigts jouant nerveusement sur les manches de son long manteau noir. Sa voiture était garée un peu plus loin pour laisser la place à celle de Shizuru lorsqu'elle arriverait. Cette dernière sourit en le remarquant. Haruka était toujours si prévoyante.
Le véhicule s'immobilisa quand elle arriva à hauteur de son amie et elle s'empressa de couper le moteur et de sortir en remettant en place son écharpe. Le commissaire la regarda, critique avant de lâcher un soupir consterné. « Tu es en retard. »
Shizuru réajusta son manteau et avança vers elle avec un sourire paisible jusqu'à être à sa hauteur. « Ara, tout dépend de ce que tu considères comme étant tôt le matin, Haruka. Il est huit heures trente. C'est tôt le matin. »
La blonde balaya ses excuses d'un revers de la main qui emporta quelques boucles d'or avec lui et se décolla du mur, l'écharpe négligemment nouée autour du cou. « Peu importe. » commença-t-elle. « Je suis désolée, mais j'ai si peu de temps. » Il y eut une pause et elle tourna les talons pour se diriger vers le garage en lui faisant signe de la suivre. « On va commencer par là. »
Shizuru la suivit en silence et les deux femmes se retrouvèrent face à une vieille Ford dont les pneus étaient complètement à plat. Haruka s'accroupit devant l'un d'eux, qui avait été enlevé et déposé sur le sol, et Shizuru fit de même. « Ici » dit-elle en pointant une large entaille du doigt. « D'après toi, est-ce que le tueur est du type à emporter un couteau avec lui en prévoyant de l'immuniser de cette façon? »
C'était une question rhétorique, bien entendu. Haruka savait déjà que le tueur ne pouvait pas avoir prévu que Nina rentrerait plus tôt ce soir-là et qu'il n'aurait pas le temps de ressortir pour l'attendre. Encore moins de crever les pneus. C'était une action accomplie dans l'urgence. « Non », répondit-elle tout de même en se relevant. « Tu penses qu'il a pris le couteau sur les lieux? »
Haruka se redressa à son tour et elles se dirigèrent toutes les deux vers l'entrée, côte à côte. « Peut-être. Je ne suis pas revenue ici depuis le lendemain du crime. Il aurait pu prendre un couteau de cuisine? » Elle retira de sa poche un trousseau de clés et déverrouilla avant de la repousser vers l'intérieur pour entrer. Shizuru la suivit.
L'entrée était un petit couloir qui donnait sur deux portes qui semblaient se faire péniblement face. Au fond du couloir, il y avait un porte-manteau vide. Haruka se dirigea sans hésiter vers la porte de gauche et pénétra dans ce qui devait être la cuisine. La femme de Kyoto entra à son tour et fit un rapide tour d'horizon. La pièce était de petite taille, et elle vit au premier coup d'œil que les experts l'avaient déjà passée au peigne fin. La table au centre était noire, toute simple, les murs étaient rouge-orangé, le carrelage était gris.
La blonde sembla farfouiller quelques instants dans les tiroirs et finit par sortir une panoplie de couteaux de différentes tailles et de formes diverses. Elle se tourna vers son amie et les déposa consciencieusement sur la table. Sans un mot, Shizuru les contempla et commença à en repousser certains sur le côté. Haruka la regarda faire, visiblement intéressée, avant d'en repousser d'autres elle-même. « Celle qui trouve le bon a gagné » lâcha-t-elle finalement avec le premier sourire de la journée.
Shizuru releva la tête pour voir la lueur de défi danser dans les yeux de son amie et lui fit un sourire entendu. « Quel est l'objet du pari? » demanda-t-elle en choisissant deux couteaux après quelques secondes d'hésitation. Haruka récupéra un autre couple de lames et se dirigea vers la sortie en tortillant entre ses doigts une mèche de cheveux blonds. « Je t'hérite à dîner. Tu payes. Ou pas. » dit-elle en quittant la pièce. Shizuru la rejoint, intéressée.
« Il y aura Yukino? » demanda-t-elle avec un sourire innocent alors qu'elles avançaient vers la voiture des Wang à bon pas.
Haruka tourna la tête vers elle et releva un sourcil ironique. « Parce que tu espérais que ce soit un dîner romantique, Fujino? »
« Ara, Haruka vient de briser tous mes espoirs les plus fous. », se désespéra l'autre avec un sanglot vaincu.
La blonde leva les yeux au ciel en se frappant le front de dépit. « Imbécile! » Elles s'agenouillèrent devant le pneu crevé comme deux prêtresses lors d'une cérémonie. « Bien », attaqua Haruka, « à toi l'honneur. »
Shizuru lâcha un faux soupir de concentration et vit Haruka se mordre la lèvre pour ne pas rire.
Elle allait gagner.
____________________ _____
Elle avait perdu. Elle n'en revenait toujours pas. Elle pensait pourtant avoir choisi le bon couteau, mais c'était Haruka qui avait fait le bon calcul. La vie était si injuste, pensa-t-elle en revenant à Osomura après avoir passé une heure à méthodiquement fouiller et mémoriser chaque détail de la maison des Wang et à parcourir de long en large le même chemin que Nina avait emprunté quelques jours plus tôt, jusqu'au rocher où on l'avait retrouvée.
A quoi bon faire des économies sur les frais d'hôtel s'il fallait payer le restaurant par la suite?
Pour couronner le tout, comme elle ne connaissait de Furano que le commissariat, Haruka s'était proposée pour choisir le restaurant en question. Nul doute qu'elle se ferait un plaisir de lui faire écouler sa fortune. Elle gara sa voiture au radar à côté du Souffle de Kagutsuchi, au même endroit où elle l'avait fait la première fois qu'elle était venue, et se dirigea vers la porte d'entrée en traînant des pieds. Comment Haruka pouvait bien avoir deviné non seulement la taille du couteau mais aussi avoir calculé en même temps que la force avec laquelle il avait été planté dans le caoutchouc avait fait que l'entaille était légèrement plus grande que la taille initiale de la lame utilisée?
Tout ça sentait l'arnaque.
Mis à part ce petit désagrément, Shizuru avait vite compris que les hypothèses que son amie avait émises à propose du déroulement de la soirée paraissaient justes. Il ne semblait pas y avoir d'autres solutions. Le meurtrier n'avait sans doute pas prévu le retour, qui était justement imprévisible, de Nina. Sinon, il n'aurait pas eu à récupérer un couteau de cuisine pour aller crever les pneus. Mais ça ne voulait pas dire grand-chose. Il aurait très bien pu rester dans la maison et sauter sur la fille au moment où elle entrait chez elle. Il aurait gagné du temps et de l'énergie.
Ou alors, il n'était pas censé la tuer au départ. Peut-être qu'il s'était retrouvé acculé et qu'il avait voulu jouer la sécurité. Mais de là à crever les pneus de la Ford et jouer au chat et à la souris avec la fille dans les bois. Il y avait tout un monde et une poignée de contradictions.
La seule explication était qu'il avait décidé de lui laisser une chance de s'enfuir. Mais qu'elle avait échoué en tombant. Crever les pneus aurait alors été une façon d'imposer les règles du jeu.
En clair, il aimait jouer. Shizuru n'était pas certaine d'apprécier l'attention.
Et cette histoire de crevaison de pneus l'irritait.
Elle avait aussi pu voir que si Reito Kanzaki était passé plus tôt dans la soirée, le moment des meurtres semblait trop éloigné de celui de sa visite. Presque trois heures si l'on en croyait ses propos. Mais aucun alibi et personne pour prouver qu'il était bien rentré chez lui entre vingt-trois heures et minuit. Il faudrait qu'elle parvienne à interroger Akane, la domestique, afin d'être certaine qu'il était bien rentré avant deux heures du matin. Cette dernière l'avait peut-être entendu rentrer. Il fallait vérifier. Après tout, si le meurtrier s'avérait être aussi vicieux que ce qu'elle pensait, Reito aurait très bien pu quitter la maison des Wang, attendre, et revenir. La seule personne susceptible de le disculper était Akane. Ou au contraire.
Yuichi était à l'accueil lorsqu'elle entra, visiblement occupé à griffonner quelque chose sur un carnet marron. Il releva la tête à son arrivée et ils s'échangèrent un sourire de politesse.
« Bonjour commissaire » bougonna-t-il simplement avant de retourner à son calepin avec ennui.
Elle avança vers l'intérieur et s'approcha de lui en dénouant son écharpe. « Monsieur » répondit-elle avec amabilité. « Est-ce que tout va bien? Vous semblez morose. »
Il soupira en faisant un geste insouciant de la main et secoua la tête. « Bah, peu importe. » Comme elle lui renvoyait un regard sceptique, il haussa les épaules. « Rien qui puisse vous aider dans votre enquête, mademoiselle. »
Il valait mieux ne pas insister. « Ara, excusez-moi. » commença-t-elle avant de reprendre avec plus de confiance. « C'est bien que vous soyez ici, je devais vous prévenir. »
Il se gratta la joue, mal rasée, en lui lançant un regard interrogateur. « Me prévenir? »
« Je risque de rentrer tard ce soir » exposa-t-elle en époussetant une épaule de sa main gantée. Il y avait un flocon de neige qui s'était égaré dessus. « Si vous ne voulez pas que je vous réveille encore à une heure du matin, peut-être que vous feriez mieux de me donner les clés pour cette fois? »
Il se redressa et lui lança un regard suspicieux. « Que je vous donne les clés? »
Shizuru préféra jouer la carte de l'ironie et laissa échapper un petit rire. « Yuichi, je ne vais pas m'enfuir avec! »
« Ah. » Une pause. « Oui, c'est pas faux. » Il se tourna vers le mur où étaient accrochées les clés de l'hôtel tout entier et s'ébouriffa les cheveux en cherchant celle du numéro 32. Shizuru attendit patiemment qu'il lui remette et le remercia chaleureusement avant renouer son écharpe et de ressortir.
Elle était curieuse de savoir pourquoi Yuichi Tate était aussi bougon. Elle n'aurait sans doute qu'à demander à Mai lorsque l'heure de déjeuner arriverait. La rousse était si bavarde que Shizuru peinait à croire qu'elle puisse garder le moindre secret. C'était une chance pour elle. Mai semblait l'apprécier, ce qui rendait la chasse aux informations d'autant plus facile lorsqu'elles se retrouvaient face à face. En se dirigeant vers une habitation dans le but de frapper à la porte de l'un des villageois, Shizuru songea avec ironie que ça contrebalançait la difficulté avec laquelle elle obtenait des autres habitants qu'ils acceptent de lui dire ne serait-ce qu'un bonjour.
Mais aujourd'hui était un autre jour. Aujourd'hui, c'était dimanche. Et le dimanche, les gens étaient chez eux. Shizuru avait donc l'occasion d'aller faire du porte-à-porte avec un peu plus de chances de réussite que la veille. Et récupérer l'adresse de Tomoe Marguerite, si possible.
Mais avant tout, pensa-t-elle alors qu'elle marchait avec précaution pour ne pas risquer de glisser, le souvenir d'une embarrassante chute encore frais en mémoire, il faut que je vois Akane. C'était le plus important. Elle se demanda furtivement pourquoi elle n'avait pas eu le réflexe de vérifier les dires de Reito Kanzaki immédiatement. C'était pourtant élémentaire.
Arrivée devant la porte blanche de la maison Kanzaki, elle appuya sur la sonnette et vérifia rapidement son apparence en attendant qu'Akane, ou un autre domestique s'il y en avait, vienne lui ouvrir.
Encore quelque chose qu'elle aurait dû demander plus tôt. Si elle continuait de travailler avec autant d'efficacité, les futures victimes, s'il y en avait, pouvaient se faire du souci pour leur vie.
La porte s'ouvrit sur Akane, qui se garda bien de montrer un éventuel étonnement. Elle se courba gracieusement et lui fit un sourire resplendissant très travaillé. « Bonjour, madame! » Elle s'effaça pour laisser Shizuru entrer mais cette dernière resta plantée sur le pas de la porte avec un sourire d'excuse.
« Ce ne sera pas nécessaire, Akane, je ne suis pas là pour voir monsieur Kanzaki. »
L'étonnement se peignit sur les traits de la fille, qui la regarda sans comprendre. « Oh. »
« Ara, excusez-moi, je voulais juste vous demander un renseignement. »
« Oh? Oui, bien sûr! » répliqua la domestique avec enthousiasme. « En quoi puis-je vous être utile? »
Shizuru se tapota le menton du bout des doigts et afficha une moue pensive. « Je voulais savoir où je pouvais trouver Tomoe Marguerite. Vous savez où elle habite? » Akane fronça les sourcils de concentration avant de pointer du doigt la direction à prendre. « Je crois qu'elle habite quelque part de ce côté. » Elle sembla hésiter. « Je n'y vais jamais, mais ça doit être la maison avec un serpent sur la porte, ça lui ressemblerait bien. »
« En effet. »
La domestique tritura un instant son uniforme avant de reprendre avec une moue gênée. « Vous vouliez savoir autre chose? Je suis désolée mais je ne peux pas rester trop longtemps, j'ai du travail à faire. »
C'était une fille adorable.
Shizuru s'ébroua mentalement. « Ah, oui. » Il y eut une pause. « Excusez-moi. » reprit-elle avant de sortir un calepin violet de la poche de son manteau pourpre et de poursuivre avec aise. « Kanzaki-sama m'a dit hier qu'il s'était rendu chez les Wang dans la soirée la nuit du meurtre. Vous savez à quelle heure il est rentré? »
Il était sans doute inutile de prendre ses précautions quant à une éventuelle discrétion. De toute façon, elle était déjà grillée. Shizuru était persuadée que plus elle serait directe, moins les gens se méfieraient. Les informations considérées comme étant importantes étaient celles qu'on avait l'habitude d'arracher en usant de toutes les stratégies possibles. On se méfiait moins de ce qui semblait n'avoir qu'une importance secondaire. Ce qu'on demandait directement sans prendre de pincettes. Elle l'espérait du moins. Heureusement, Akane semblait plutôt du type naïf.
Cette dernière avança un peu vers elle et se retrouva dehors avec elle sur le pas de la porte, intéressée. « Ah oui, c'est cette histoire de projet architectural? » Elle leva les yeux au ciel et agita des bras avec entrain. « Kanzaki-sama était tellement en colère quand il a vu qu'il avait été reporté! Il est parti juste après le dîner et... hum. » Elle pencha la tête sur le côté en plissant les yeux, concentrée.
Shizuru préféra garder le silence. La fille n'avait pas l'air très futée. Mieux valait ne pas trop la brusquer. Elle risquerait de se braquer et de toute façon, le commissaire savait n'avoir pas grand-chose d'autre de mieux à faire pour le moment.
« Il est rentré un peu après que je me sois couchée, je l'ai entendu monter. » conclut finalement Akane avec un sourire victorieux.
Shizuru soupira. Même lorsqu'elle ne faisait preuve d'aucune subtilité, il fallait encore qu'elle précise très exactement ce qu'elle voulait savoir pour obtenir une information potable. À quelle heure se couchaient les domestiques, ici? À Kyoto, lorsqu'elle était encore une enfant, il lui semblait que les domestiques ne se couchaient jamais. Toujours occupés à faire quelque chose, finir le pavé, refaire les lits, préparer le petit déjeuner ou briquer les escaliers. Ils devaient aller se coucher aux alentours de minuit, peut-être une heure du matin. Et se levaient tôt. Cinq ou six heures. Avec le recul, elle se rendait compte à quel point ses parents étaient durs avec leurs employés. Les horaires étaient pour le moins barbares.
Mais c'était sans doute le point de vue de quelqu'un qui ne savait pas se lever avant neuf heures.
Comme Akane ne semblait pas disposée à en dire plus, Shizuru dut se résoudre à poser la question la plus explicite possible. « Vous pouvez me donner une heure approximative? »
Comme prévu, la confusion commença à se voir dans les yeux de la fille. La naïveté avait ses limites. N'importe quel imbécile à ce stade était en mesure de comprendre que la question n'était pas plus anodine qu'une demande en mariage. « Je, euh, mais vous... » bégaya-t-elle en croisant nerveusement les doigts.
« C'est juste de la routine, Akane », reprit immédiatement l'enquêteuse pour éviter que l'information tant espérée ne lui échappe. « Je ne soupçonne pas Reito Kanzaki de quoi que ce soit. Je ne fais que vérifier. »
C'était la stricte vérité. Elle n'était pas obligée de préciser qu'il y avait peut-être un peu plus qu'une simple vérification derrière sa question, mais c'était son travail que de s'assurer que les informations qu'on lui donnait n'étaient pas des mensonges.
Apparemment soulagée, la fille se détendit un peu. « Ah. Et bien. » Une pause pensive. « Je ne sais pas. » Superbe. Tout ça pour ça, songea Shizuru en s'efforçant de ne pas grimacer. Elle venait de perdre dix minutes dans le froid pour rien. Avant qu'elle ne puisse ajouter quelque chose, le visage de la domestique s'éclaira comme si la réponse venait de lui tomber dessus. « Je vais me coucher vers vingt-trois heures en général donc... il ne devait pas être vingt-trois heures trente quand il est rentré, enfin je pense. » Elle ne semblait pas certaine des informations qu'elle avançait, pourtant.
Mais il était rentré.
De toute évidence bien avant deux heures du matin.
« Je crois que ça ira. Je vous remercie », soupira Shizuru en faisant quelques pas en arrière, « je ne vais pas vous retenir plus longtemps. »
La jeune fille s'inclina à nouveau avec un plaisant sourire de nouveau inconsciemment déposé sur le visage et se retira derrière le pas de la porte. « De rien, madame. Bonne chance! » répondit-elle avec enthousiasme avant de refermer derrière elle.
Il y eut un claquement. Et le silence.
De nouveau seule, Shizuru tourna les talons et descendit les quelques marches qui menaient au perron pour retrouver le sol blanc et poudreux. Un souffle de vent vînt lui caresser la joue et joua avec ses cheveux tandis qu'elle se tenait immobile à contempler ses possibilités.
Lorsque Haruka l'avait conduite au rocher contre lequel Nina s'était effondrée, elle avait été effarée. Le commissaire l'avait fait redescendre à pied pas le chemin givré qui reliait la demeure des Wang à la route, et ensemble elles s'étaient enfoncées dans les bois hostiles sur les pas de la jeune femme. Shizuru avait eu du mal à ne pas perdre l'équilibre. Et une fois la route laissée derrière elles, elle avait frissonné. Il faisait si sombre, à l'intérieur. Les sapins épineux les avaient griffées à plusieurs reprises alors qu'elles marchaient calmement pour éviter de glisser.
Le ciel, on le voyait pourtant. Le plus souvent, les ouvertures qui permettaient de le distinguer formaient d'innombrables puits de lumière qui faisaient scintiller le givre qui recouvrait les pieds des arbres et le sol stérile.
Mais ça ne suffisait pas à rendre les bois moins inhospitaliers.
La pente était abrupte. Shizuru n'avait pas douté un seul instant que celui qui commençait à courir sur celle-ci n'avait plus aucune chance de s'arrêter.
Aucune.
Elle-même peinait à marcher sur le sol, tantôt glissant, tantôt recouvert de cailloux entourés de givre qui fuyaient sous les talons et manquaient de la renverser.
Elle avait aussi constaté la violence de la course qui avait eu lieu à cet endroit. Le passage de Nina avait été un véritable bulldozer. La fille avait filé si vite! La plupart des branches qu'elle avait croisées étaient cassées. Souvent, il y avait encore des traces de sang qui témoignaient du choc lorsqu'elles s'étaient rencontrées.
Elles avaient continué de descendre. S'étaient finalement arrêtées devant un gros rocher qui avait été méticuleusement nettoyé.
Quelle tristesse.
La jeune femme épousseta son manteau et se dirigea vers la ruelle que la domestique lui avait indiquée. Le bruit de ses pas était étouffé par la neige. Elle se demandait... que serait-il arrivé si Nina avait décidé de suivre la route? Un sentiment d'angoisse lui barrait l'estomac en imaginant que peut-être, peut-être. Il n'aurait peut-être pas réussi à l'attraper. Alors qu'elle observait autour d'elle les portes des maisons qui défilaient sur les côtés, elle spéculait sur sa propre faculté d'analyse. Qu'aurait-elle fait, elle, si elle avait été à sa place? Se serait-elle lancée elle aussi dans les bois, vers l'inconnu et à aveuglette dans un univers aussi hostile? Ou aurait-elle couru le long de la route en espérant aller plus vite que son poursuivant? Elle ne savait pas. Elle espérait ne jamais avoir à faire face à un choix comme celui-ci.
La porte de la maison présumée de Tomoe Marguerite n'avait pas de couleur. Comme toutes ses voisines, elle était faite de bois sombre qui absorbait les pâles rayons de soleil pour ne renvoyer que l'image d'une surface noire, mate et sans relief. Shizuru trouva pourtant qu'elle était singulièrement différente. Ce qui la distinguait de ses homologues, c'était le serpent en métal qui était juché sur la poignée de la porte et celui qui s'enroulait nonchalamment sur la surface brune.
Shizuru cligna des yeux en se retrouvant face à l'énigmatique porte et hésita même à frapper. Elle songea qu'il était tout à fait normal que la plupart des habitants se méfient de celle qui habitait derrière une telle monstruosité. Elle-même n'était pas tellement rassurée. Il ne fallait pas être un génie pour mettre en relation le venin trouvé dans le sang des victimes et les serpents élevés par... quelqu'un qui ne devait pas être complètement d'aplomb.
Après avoir remonté le col de son manteau et réajusté son écharpe, elle expira profondément pour se donner du courage. Elle n'avait pas parfaitement distingué les traits de la jeune femme lorsqu'elle était sortie du bus l'autre soir, mais elle se souvenait ne rien lui avoir trouvé de particulièrement étrange. Elle espérait ne pas s'être trompée.
Elle frappa en se demandant pourquoi seule la maison du maire était dotée d'une sonnette, ce qui était quand même bien plus pratique que de devoir tambouriner aux portes. Elle n'eut pas le temps de ruminer cette pensée. La poignée tourna et elle vit le serpent qui se trouvait dessus lui faire une drôle de révérence avant de se retrouver face à une jeune fille au regard complètement égaré.
Elles restèrent un moment à se regarder sans rien dire. La jeune fille semblait trop étonnée pour dire quelque chose ni faire le moindre geste, et Shizuru ne parvenait pas à détacher les yeux de la coupe de cheveux la plus étrange qu'elle ait jamais rencontrée. Elle se reprit finalement lorsqu'elle se rendit compte que son vis-à-vis la regardait de la tête aux pieds comme si elle était un extra-terrestre.
« Ara, bonjour mademoiselle » commença-t-elle après s'être discrètement raclé la gorge, « vous êtes bien Tomoe Marguerite? »
La fille cligna des yeux et sembla se rendre compte qu'on venait de lui poser une question avant d'ouvrir la porte en grand.
« Bonjour! » s'écria-t-elle en s'inclinant sèchement.
Comme elle n'ajoutait rien et semblait attendre quelque chose, Shizuru se força à ne pas rire en répétant sa question. « Tomoe Marguerite? »
La fille releva la tête immédiatement. « C'est moi! »
« Je suis le commissaire Shizuru Fujino, je suis chargée d'enquêter sur- »
« Oh. » Difficile de placer plus de déception dans une phrase. Un ange passa sans que Shizuru ne se décide entre éclater de rire ou voir jusqu'où elle pouvait embarrasser son interlocutrice. Ce fut Tomoe qui reprit la parole la première en tortillant une longue mèche de cheveux. « On m'a parlé de vous. »
Shizuru releva un sourcil sceptique. « Vraiment? »
« Les nouvelles vont vite, vous savez », répondit l'autre en haussant les épaules avant de lui couler un regard incertain. « Vous voulez entrer? »
« Vous voulez que je meure de froid? »
Tomoe écarquilla les yeux avant de s'écarter brusquement. « Non! Bien sûr que non, entrez, entrez. »
Et Shizuru entra.
____________________ _____
« Quoi?! »
Shizuru lança un regard circulaire autour d'elle pour s'assurer qu'aucun des autres clients du restaurant où elles se trouvaient n'avait entendu l'exclamation incrédule de Haruka. Elle vit Yukino lui offrir un sourire d'excuse auquel elle répondit par un rictus de son invention.
La jeune femme était charmante. Shizuru avait fait sa connaissance une heure plus tôt en poussant la porte du restaurant où Haruka lui avait donné rendez-vous. En posant ses yeux sur elle, le commissaire n'avait pu s'empêcher de penser qu'elle et la grande blonde formaient un couple pour le moins atypique.
À côté de la carrure athlétique et du tempérament de feu de sa compagne, Yukino Kikukawa était une petite femme menue et discrète qui savait manifestement comment se faire oublier pour mieux observer les gens qui l'entouraient. Brune, les cheveux courts en bataille et une paire de lunettes carrées déposée sur son nez, la jeune femme avait encore un visage d'adolescente et le sourire candide que seuls les enfants savaient faire. Pourtant, il avait suffi à Shizuru de rencontrer son regard brillant d'intelligence et acéré comme le tranchant d'une lame de rasoir pour comprendre que ce n'était pas quelqu'un à prendre à la légère. Quelques minutes plus tard, quand Haruka avait fait les présentations, elle avait appris que Yukino était profiler. Depuis, elle ne cessait de se demander ce que la jeune femme à lunettes avait appris sur elle rien qu'en observant son comportement.
Mille et une choses, sans aucun doute. Mais elle avait au moins la grâce de ne pas le lui faire remarquer à voix haute et la politesse de ne pas lui lancer de regards affutés.
Calme, posée, douce. Yukino Kikukawa était la parfaite antithèse de Haruka Suzushiro. On se demandait bien ce que ces deux-là pouvaient faire ensemble.
Une fois attablées devant un repas chaud, les trois femmes n'avaient pas cessé de parler de tout et de n'importe quoi. Shizuru apprenait patiemment à connaître la femme qui avait réussi à faire renoncer Haruka à ses rêves de grandeur, et elle avait en échange le bonheur d'avoir enfin des informations sur l'histoire de cet étrange couple. Haruka avait toujours été quelqu'un de secret. Yukino semblait être moins avare. Finalement, elle avait décidé que Yukino Kikukawa lui plaisait et que son amie avait de la chance de l'avoir trouvée.
Alors, si une heure auparavant elles ne connaissaient l'une de l'autre que ce que Haruka avait bien voulu leur raconter, c'est-à-dire pas grand chose, elles échangeaient déjà des regards entendus lorsque la blonde faisait une faute de prononciation ou lorsque, comme ici, elle faisait part de son ébahissement au restaurant tout entier.
« Haruka, cesse de crier s'il te plait » répliqua calmement Yukino en piochant de la nourriture avec ses baguettes.
Sans se formaliser de la demande de sa compagne, Haruka lança à Shizuru un regard atterré. « Tu as quitté Anh? »
Shizuru posa son menton sur deux mains jointes et la pencha sur le côté avec un sourire innocent. « Tu dis ça comme si c'était une surprise. »
« Mais c'en est une! » s'énerva la blonde en balançant ses baguettes entre ses doigts. « Je veux dire, vous êtes, vous... »
Le sourire de Shizuru se fit plus curieux. « Nous sommes quoi? »
« Mais vous êtes si sortables! » s'écria Haruka en ouvrant les bras en signe d'impuissance. Une petite voix s'éleva à côté d'elle avec une discrétion relative.
« Semblables, Haruka. »
« Semblables », répéta la blonde en se rasseyant convenablement.
C'était si vrai. Anh Lu et Shizuru étaient semblables. Elles pensaient de la même façon, avaient un comportement similaire et partageaient les mêmes idées. Elles se ressemblaient. C'était pour cela que personne n'était jamais surpris de les savoir ensemble. Finalement, c'était l'ordre normal des choses.
« Ara, c'est vrai, mais ça ne suffit pas forcément, Haruka. »
La blonde revint pourtant à la charge avec exaspération. « Mais vous étiez un si joli couple! »
Shizuru éclata de rire. « Ce n'est pas parce qu'on faisait un joli couple qu'on devait nécessairement rester ensemble », commença-t-elle avec une lueur amusée au fond des yeux. « Si? »
« Je suis d'accord », commenta Yukino, l'air de rien, en mâchouillant tranquillement un morceau de poisson. Haruka lui lança un regard de reproche avant de soupirer. Elle rendait visiblement les armes. Ce n'était pas comme si elle avait son mot à dire dans toute cette histoire, de toute façon.
« Oui », reprit-elle sans enthousiasme en tapotant le bout de ses baguettes sur la table, « bien sûr, mais.... je suis surprise. » Shizuru n'osa pas la contredire.
« Ara, j'ai vu ça. Je ne comprends pas pourquoi pourtant. »
Elles avaient été un couple solide, c'était vrai. Mais quand un psychologue et un commissaire chargé d'affaires sordides se retrouvaient sous le même toit le soir en rentrant du travail, il y avait souvent des étincelles. Shizuru en avait eu assez d'avoir à supporter les regards scrutateurs et inquiets de sa compagne, qui en avait eu assez de parler dans le vide et d'avoir l'impression de devenir un meuble. Et justement parce qu'elles se comprenaient si bien, elles avaient fini par abandonner l'idée de sauver ce qui pouvait l'être. Aucune des deux n'en avait envie.
Elles avaient arrêté de se parler. Pour éviter de continuellement entrer en conflit. Un jour, Shizuru avait fait ses bagages et était partie. Elle ne doutait pas un seul instant que cela avait été un soulagement pour toutes les deux. Elle n'avait plus jamais entendu parler d’Anh et c'était très bien comme ça.
« Vous aviez l'air tellement bien toutes les deux. »
« Nous l'avons été, sans doute. »
« Et plus maintenant? »
« Plus depuis longtemps. »
« C'est triste. »
« Je ne trouve pas. » Shizuru fit tourner son verre avec une moue ennuyée. « C'est beaucoup mieux comme ça. »
Un ange passa avant que Yukino ne se penche vers elle, visiblement intéressée. « Pourquoi es-tu partie? »
« Ara... » Shizuru se demanda un moment comment expliquer la situation sans pour autant répondre à la question qui lui était posée. « Disons que contrairement à moi, Anh est parvenue à rester elle-même. » Elle fit une pause en constatant qu'elle venait de constater une évidence avant d'essayer d'éclaircir un peu ses idées. « Moi j'ai trop... changé, j'imagine », reprit-elle finalement. Le regard de la jeune femme était bienveillant, mais elle se sentait épiée. « On ne se supportait plus », conclut-elle calmement en préférant poser son regard sur la moue penaude de Haruka plutôt que sur le visage enfantin de son intrigante compagne.
Yukino récupéra un autre morceau de poisson, visiblement inconsciente du trouble qu'elle provoquait chez son interlocutrice et lui fit un sourire entendu. « Le travail? »
« Oui. »
Haruka enroula une mèche de cheveux bouclés autour de ses doigts avec agacement et se renfonça dans son siège en croisant les jambes. « Tu es célibataire alors? »
« Tu crois que je serais venue m'enterrer dans ce trou perdu si j'avais quelqu'un, Haruka? » répliqua l'autre en riant. Quelle idée. Même pas en rêve!
La blonde ne se démonta pas pour autant et elles échangèrent un regard de connivence. « Et manquer une superbe affaire de tourtes? »
« Meurtres, Haruka. »
« Meurtres. Je suis sûre que tu serais venue quand même. »
Shizuru pondéra un instant sa réponse. Elle aurait tout aussi bien pu s'occuper de Shiho Munakata plutôt que de venir à Furano écouter des paysans séniles lui raconter des commérages. Elle savait que lorsqu'elle reviendrait à Tokyo, le meurtrier de la jeune fille serait toujours dans la nature. À moins que la police judiciaire aie un incroyable coup de chance. Ou qu'elle parvienne à envoyer la bonne personne sur l'affaire.
Elle en doutait. Car la bonne personne, c'était elle. Elle était certainement la seule à pouvoir arrêter ce malade.
« À Tokyo aussi, j'en avais une. »
Haruka releva un sourcil sceptique. « Qui est? »
« Des corps broyés dont les restes sont étalés sur les murs. »
« Charmant », grimaça la blonde. Yukino pâlit.
L'air de rien, Shizuru entreprit de manger une boulette de riz avec élégance. « Je trouve aussi. » Les deux autres femmes lui rendirent un regard vide qu'elle feint de ne pas remarquer. Elles échangèrent ensuite un regard désolé et se concentrèrent sur leurs assiettes respectives. Après quelques minutes de silence d'un confort relatif, Haruka releva la tête pour relancer la conversation, le regard brillant de curiosité.
« Tant qu'on y est, est-ce que tu- »
Elle fut interrompue par sa compagne qui releva ses baguettes vers elle d'un mouvement menaçant du poignet. « Ne me dis pas que tu ne vas pas parler boulot maintenant. »
« Mais enfin », s'offusqua la blonde sans remarquer le rictus effronté qu'arborait Shizuru en la voyant se faire rabrouer par la petite brune, « c'est ridicule de ne pas en frapper quand on en a l'occasion! »
La femme de Tokyo vint à la rescousse de son amie en prenant un air détaché. « Je suis d'accord. »
« Mais- » Yukino s'arrêta et son regard se reporta tour à tour sur les deux commissaires qui avaient du mal à cacher leur excitation à la simple idée de partager leurs informations. Shizuru se rendit compte qu'elles devaient donner au profiler l'impression d'être des joueurs de poker accros. La brune remit ses lunettes en place sur son nez et soupira, défaite. « Vous êtes vraiment tous les mêmes. »
Shizuru considéra que cette marque de faiblesse constituait une autorisation et reporta son attention sur la grande blonde qui semblait être arrivée à la même conclusion et qui lui lançait à présent un regard intéressé.
L'image des joueurs de poker lui sembla soudain peu appropriée. Il n'y avait pas de place pour le bluff entre elles deux. Il n'y en avait jamais eu. Elles n'étaient pas comme ces hommes d'affaires qui négociaient leurs informations. Elles n'étaient pas comme John Smith et ses jeux d'esprits tordus qui avaient bien failli avoir raison de sa santé mentale quelques mois plus tôt. Quelque part, le commissaire songea qu'il était rassurant d'avoir pour amie une femme loyale à qui elle pouvait donner toute sa confiance.
Elle aurait confié sa vie à Haruka. Elle savait que la réciproque était vraie.
Finalement, elles étaient plutôt comme deux toxicomanes. Du moment que la solidarité était là, aucune des deux n'était capable de parler d'autre chose que de travail pendant plus d'une heure. Ou même de penser à autre chose.
« Tu as du nouveau pour les Wang? »
Shizuru se renfrogna imperceptiblement à cette question et préféra lui renvoyer la balle. « Tu as du nouveau sur le corps anonyme? »
Le sourire de Haruka se transforma en grimace contrite. « Non », avoua-t-elle. Et ça n'était pas surprenant. Shizuru n'avait pas l'impression qu'il soit possible de retrouver l'identité de la jeune femme après autant de temps passé sans avoir la moindre piste.
« Tu as ta réponse », répliqua-t-elle calmement en ignorant l'impression qu'elle avait d'être passée à la loupe par Yukino.
Haruka fronça les sourcils, visiblement étonnée. « Tu veux dire que tu n'as rien trouvé du tout? »
« Ara, ce n'est pas exactement ça. » Elle déposa ses baguettes en les alignant de façon à ce qu'elles soient parfaitement parallèles et s'essuya posément les mains pour se donner le temps de rassembler ses idées. « Ils... » Elle hésita. « La plupart refusent de me parler. » Haruka lui envoya un regard qui signifiait je te l'avais bien dit qu'elle ignora. « Le reste », reprit-elle, « est un attroupement de véritables commères. Impossible de savoir ce qui est vrai de ce qui est inventé. Ça prend du temps figure-toi. » Elle plia sa serviette et la déposa patiemment sur la table avant de continuer avec exaspération. « Et ils passent leur temps à accuser tout le monde et n'importe qui. Et puis, et puis... oh, ils sont tous si étranges! »
« Comment ça, étranges? »
Shizuru prit une seconde pour décider par où elle devait commencer. « Et bien, il y a cette vieille folle constamment à sa fenêtre qui épie mes moindres faits et gestes, une domestique qui se couche à vingt-trois heures, une- »
Haruka lui coupa la parole en s'étouffant avec le contenu de son verre, amusée. « Qu'est-ce qu'il y a d'étrange à se torcher à vingt-trois heures, exactement? »
Ce fut au tour de Shizuru de manquer d'air lorsqu'une petite voix vint corriger son erreur. « Coucher, Haruka. »
« Coucher » répéta l'autre.
« Les domestiques de mes parents ne se couchaient jamais à vingt-trois heures » lâcha-t-elle avant de lier à nouveau ses mains pour reposer son menton dessus.
La blonde cligna des yeux. « Tes parents étaient des tyrans, Shizuru. »
« Peut-être, mais il n'empêche que- »
« C'est bon. Qu'est-ce qu'il y a d'autre d'étrange? »
« Cette fille qui élève des serpents chez elle. Tomoe Marguerite. » Elle vit Haruka se redresser en entendant cette information et Yukino la gratifia d'un regard rempli d'un nouvel intérêt.
« Des serpents? » répéta le commissaire avec une lueur d'espoir dans ses yeux mauves.
Shizuru eut des scrupules à étouffer dans l'œuf cet espoir naissant, mais si l'information était intéressante, elle devait également faire valoir les arguments favorables à la jeune fille. « Je sais ce que tu penses. Mais sincèrement, je doute qu'elle puisse être le tueur. » Il y eut un silence surpris chez le couple qui lui faisait face. « Elle a peur du noir », déclara-t-elle pour appuyer son point de vu, « sa maison est tellement éclairée que j'en ai encore mal aux yeux. »
Elle gardait un souvenir indélébile de sa visite chez Tomoe Marguerite. On n'oubliait pas les instants où l'on tombait amoureux.
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Partout où elle posait les yeux, elle ne voyait que la blancheur opalescente des murs et pouvait sentir autour d'elle la lumière diffuse qui l'empêchait de percevoir correctement la profondeur du couloir où elle était entrée. Devant elle, Tomoe Marguerite avançait d'un pas sûr et elles se retrouvèrent bientôt dans le salon.
La petite pièce était moins aveuglante que le corridor par lequel elles étaient entrées, mais elle baignait tout de même dans un flot de lumière surnaturelle qui fit frissonner Shizuru sous l'épaisseur de son manteau. En observant la jeune fille qui rangeait à présent quelques magazines en hâte pour leur permettre de s'asseoir, le commissaire ne put que constater une nouvelle fois l'étrangeté qui lui faisait face.
Tomoe Marguerite avait deux profils. Le premier était celui d'une femme aux cheveux longs, plutôt jolie, le second était celui d'une petite fille dont les cheveux coupés au carré faisaient ressortir une moue boudeuse. Shizuru n'avait jamais rien vu de semblable. C'était comme si la jeune fille n'arrivait pas à se décider entre l'enfance et l'âge adulte. Elle avait un pied dans chaque tranche de vie.
« Je sais pourquoi vous êtes ici » commença Tomoe en rangeant les derniers magazines sous une table basse avant d'inviter le commissaire à s'asseoir.
Shizuru lui répondit par un sourire aimable. « Ara, ce n'est pas si difficile à deviner. »
La fille cligna un instant des yeux. « On doit vous le dire souvent, mais vous avez un drôle d'accent. »
« Ça arrive. »
Elles se jaugèrent du regard, assises l'une en face de l'autre.
Tomoe finit par céder la première. « Vous êtes ici parce qu'on vous a parlé de mes serpents » lâcha-t-elle d'une voix lasse.
Shizuru retira son écharpe. « Ara, en effet. » Tomoe la regarda la plier soigneusement sans faire de remarque et se leva pour aller récupérer une bouteille de saké dans un petit meuble. « Que voulez-vous savoir, commissaire? »
Shizuru sortit son calepin de sa poche. Tomoe sortit deux verres. « Quel âge avez-vous? »
« J'ai vingt-et-un ans. »
« Et qu'est-ce que vous faites dans la vie? » Tomoe déposa les deux verres sur la table basse et ouvrit la bouteille de saké en répondant d'une voix neutre. « Je suis vétérinaire. »
« Oh. Et vous êtes spécialisée dans les reptiles? »
Le saké coula dans chacun des verres. « Pas vraiment non. C'est juste une passion que j'entretiens à côté de mon travail. » Elle tendit à Shizuru un verre et engloutit le sien en une seconde avant de la reposer négligemment sur la table et de se rasseoir. Le commissaire la regarda faire avec intérêt. La fille l'intriguait. Et en regardant le verre qu'elle avait dans les mains, elle se rendit compte qu'elle lui rappelait un peu l'adolescente qu'elle avait été.
Ça n'était pas si loin.
« Combien en avez-vous? » demanda-t-elle avec une réelle curiosité. Tomoe Marguerite fit un mouvement évasif de la main.
« J'ai arrêté de compter. » Elle fit une pause et sembla réfléchir avant de soupirer et d'offrir à Shizuru un sourire d'excuse. Le premier. « Beaucoup. » Le commissaire s'apprêta à lui demander si les serpents qu'elle possédait étaient venimeux mais la jeune fille la coupa dans son élan en se redressant brusquement. « Est-ce que vous... » Elle hésita quelques secondes. « Est-ce que vous voulez les voir? »
La question prit Shizuru au dépourvu mais elle s'efforça de ne rien laisser paraître. Elle espérait que Tomoe ne remarquerait rien. C'était sans doute une très mauvaise idée. Elle aurait bien dit non, si le regard de Tomoe n'avait pas été si rempli d'espoir. À la place, elle s'entendit prononcer avec un faux enthousiasme un « Ara, oui, pourquoi pas? » et se laissa guider par la jeune fille dans une autre pièce.
Lorsqu'elle vit que la jeune femme l'emmenait au sous-sol, elle s'assura qu'elle avait bien son arme de service à portée de main, cachée sous un pan de manteau, bien en sécurité sur sa hanche. Rassurée, elle posa sa main dessus, au cas où.
Les escaliers qui accédaient au sous-sol étaient blancs eux aussi. Elle commençait à avoir mal aux yeux et se demanda comment Tomoe Marguerite faisait pour vivre perpétuellement dans un tel espace. Elle entendit un claquement sonore lorsque la fille déverrouilla la lourde porte derrière laquelle était caché son zoo, et sa main se crispa sur son arme.
Elle inspira lourdement.
Elle n'aurait pas dû accepter de venir.
Ses jambes continuèrent pourtant de descendre les marches qui lui faisaient face et bientôt elle entrait dans l'antre des serpents, derrière une Tomoe Marguerite qui semblait avoir retrouvé sa bonne humeur à la vue de ses petits pensionnaires. Enfin, « petits » était sans doute inapproprié.
Derrière les vitres, chacun à sa place, des dizaines de serpents vivaient dans des espaces aménagés spécialement pour eux. Les serpents de la même espèce évoluaient ensemble, mais toutes les espèces semblaient être tenues à l'écart les unes des autres et Shizuru surprit deux serpents se faire face à travers une vitre, sans doute curieux.
« Même s'ils sont enfermés, faites attention à ne pas vous approcher trop des vitres », la prévint Tomoe alors qu'elle-même déposait le plat de sa main contre un mur de verre. À l'intérieur de la cage transparente se trouvait un serpent aux écailles blanches qui se faufila rapidement sous un rocher artificiel en voyant la petite main se poser près de lui. Tomoe gloussa et se retira.
Shizuru avança vers d'autres « aquariums », et observa les longs reptiles ramper tantôt avec langueur, tantôt avec empressement, dans leurs milieux.
« Est-ce que certains sont dangereux pour l'homme? » demanda-t-elle, fascinée par un petit serpent roux... qui lui montra ses crocs lorsqu'elle s'approcha trop près et précipita sa petite tête contre le verre. Il retomba en arrière sonné, tandis qu'elle faisait quelques pas en arrière en clignant des yeux. « Ara... »
Derrière elle, Tomoe rit. « Je vous avez dit de faire attention. » Elle fit signe à la visiteuse de la suivre et se dirigea vers le fond de la pièce où une énorme cage de verre s'étendait le long du mur. « Il y en a quelques-uns dont il faut se méfier, oui », commença-t-elle pour répondre à la question qui lui avait été posée quelques minutes auparavant, « mais la plupart du temps, le venin met plusieurs heures avant de paralyser les membres ou de provoquer la mort. » Elle lui désigna du doigt le petit serpent qu'elles venaient de laisser derrière elle. « Celui-là possède un venin très dangereux, mais il est trop petit pour pouvoir être mortel pour l'homme. Il n'y a pas assez de volume. »
Shizuru ne répondit pas. Elle était persuadée que le petit serpent continuait de la regarder en la narguant. Elle frissonna. Il était possible de récupérer le venin en grande quantité et d'en faire une arme mortelle. Sans problème. En reportant son regard sur Tomoe, elle songea d'abord qu'elle était trop jeune pour avoir commis un meurtre neuf ans plus tôt. Mais peut-être qu'elle s'était contentée de donner au meurtrier le venin dont il avait besoin.
Personne n'avait jamais prétendu qu'il agissait seul.
Elle laissa son regard vagabonder sur la gigantesque cage vide qui était en face d'elle, immobile alors que Tomoe tapotait sur la vitre avec patience. « Vous connaissiez Nina Wang? Elle avait à peu près votre âge, non? »
La jeune femme ne cessa pas de taper sur la vitre. « Elle prenait mon bus » commença-t-elle, « mais on ne se parlait jamais. » Il y eut du mouvement dans le fond de la cage. Ce fut si bref que Shizuru se demanda si elle ne venait pas de rêver. Tomoe continuait de parler d'une voix dénuée de toute intonation. Morose. « Elle ne parlait pas beaucoup aux gens d'ici. À part Nao et, ah mince, vous savez, la femme qui se promène toujours avec un gros chien blanc? »
Natsumi Kruger? Elle et Nina se connaissaient? « Ara oui, je vois de qui vous parlez. » Shizuru essaya de faire abstraction du tapotement insistant qui commençait à l'agacer et fut soulagée lorsque Tomoe cessa.
Cette dernière regardait fixement à l'intérieur de la cage avec un sourire bienveillant et ajouta sans vraiment être là : « Je crois qu'elles étaient amies. »
Shizuru voulut répliquer quelque chose pour en savoir plus mais lorsque son regard fut happé par la forme derrière la vitre, elle oublia tout.
Il était beau.
Paresseux, il semblait s'étirer comme pour s'éveiller d'un long sommeil. Lentement. Langoureusement. Sa tête s'éleva au-dessus du sol et il commença à avancer.
Shizuru le trouva gracieux. Fin et élégant.
Ses écailles étaient brunes, presque rouges, le dos zébré de blanc et le ventre jaune.
Gigantesque. Magnifique.
Un roi venait d'entrer.
Tomoe brisa le silence religieux qui s'était imposé de lui-même et sortit Shizuru de sa transe. « Magnifique, n'est-ce pas? »
Un murmure ébahi lui répondit. « Qu'est-ce que c'est? »
« C'est un cobra royal. »
Shizuru n'en doutait pas un seul instant. Le reptile, interminable, continuait d'évoluer tranquillement sans s'apercevoir du sort qu'il avait jeté sur ses spectatrices. « Il est si grand! »
« Il paraît qu'ils peuvent atteindre cinq mètres de longueur », exposa la jeune femme à ses côtés avec fierté, « mais celui-ci ne mesure que trois mètres vingt. » Elle reprit après avoir laissé à l'autre femme le temps d'enregistrer l'information. « Vous me demandiez si j'avais des serpents dangereux pour l'homme. Nous avons de la chance qu'il n'aie pas l'habitude de nous chasser. »
Trois mètres vingt! Il faisait presque deux fois sa taille!
« C'est incroyable » souffla-t-elle en ne résistant pas à l'envie de déposer le plat de sa main près de lui. Il ne lui accorda même pas un regard. Derrière elle, Tomoe continuait de parler.
« On dit même que c'est un cobra comme celui-ci qui aurait tué Akira Inoue. »
« Akira Inoue? »
La fille lui lança un regard perplexe. « Oui, vous... » Elle s'interrompit, comme frappée par une illumination, et soupira. « Ah, non, vous ne pouvez pas savoir. » Comme Shizuru ne put s'empêcher de la regarder avec insistance et scepticisme, la vétérinaire s'empourpra et reposa les yeux sur le cobra qui était en face d'elles. « Ça fait partie de la légende des trois frères, vous en avez peut-être déjà entendu parler, c'est assez populaire ici. »
Mai lui en avait parlé lorsqu'elle était arrivée mais elle ne se souvenait plus véritablement de quoi il avait été question. De statues? Ce n'était pas quelque chose comme un monument? Elle ne savait plus. Il y avait eu quelque chose à propos de randonnée, non? « Ara oui, mais très vaguement » finit-elle par dire après avoir capitulé. Elle n'aurait qu'à redemander plus tard.
« Il faudrait que vous alliez voir la doyenne si ça vous intéresse », lui expliqua Tomoe d'une voix blanche, visiblement à moitié immergée dans la contemplation de son pensionnaire favori, « il existe des dizaines de versions différentes, c'est sans doute elle qui a le plus de chances de connaître la vraie. »
Shizuru grimaça. Elle n'était pas plus pressée que cela de revoir Mashiro Kazahana. « Je préfère éviter. »
Tomoe éclata de rire et lui lança un regard entendu. Apparemment, tout le monde pensait que la petite vieille était scandaleusement outrageante. « Vous pouvez aller voir l'un des archéologues alors. Ils font des fouilles près des Trois Frères, ils doivent s'être renseignés. »
____________________ _____
« Tu dis qu'elle est étrange, mais tu n'as pas l'air traumatisée » commenta Haruka avec un sourire narquois. « Je ne savais pas que tu avais un faible pour les serpents, tiens. »
« Je te prie de bien vouloir garder tes sous-entendus vaseux pour toi, Haruka. »
« Bien, bien, c'est tout », se défendit la blonde en relevant les mains devant elle. « Je me renseignerai pour le venin. »
Shizuru finit son verre. « Et pour la légende, vous la connaissez? » demanda-t-elle avec affabilité.
Haruka secoua la tête. « Tu sais que je ne prête pas attention à ce genre d'histoires. Et toi Yukino? »
« Il me semble que c'est une histoire d'amour qui tourne mal » répondit la petite brune avec une moue pensive, « mais je ne vois pas ce qu'un serpent vient faire là-dedans. »
Les deux commissaires échangèrent un regard devant un tel manque d'originalité. « Une histoire d'amour qui tourne mal? » Haruka pouffa lorsque Shizuru reprit l'expression avec un sourire moqueur.
Yukino répondit en levant les yeux au ciel. « Oui enfin, tu vois, avec un prince et une bergère, tout ça. »
« Ara. » Les trois femmes méditèrent sur ce dernier mot en silence avant que Haruka se redresse sur son siège. « Quoi d'autre? » demanda-t-elle en ignorant Yukino qui poussa un soupir excédé.
Shizuru fit un sourire d'excuse au profiler avant de répondre. « Il y a cette femme qui revient souvent dans les conversations. Natsumi Kruger. »
Yukino la reprit, sans doute par habitude. « Tu veux dire Natsuki Kuga. »
« Peut-être, personne ne sait exactement comment elle se nomme. »
La blonde croisa les bras et la mit en garde immédiatement. « Je l'ai déjà rencontrée. Je pense que tu devrais te méfier. »
« Moi je ne pense pas » la contredit Yukino avant de redonner toute son attention à Shizuru, qui n'en finissait pas de se demander comment ces deux-là pouvaient se supporter. « Je crois au contraire que c'est la seule personne à qui tu peux faire confiance. »
Aussitôt, et Shizuru l'avait prévu, le visage d'Haruka prit les couleurs de l'outrage et elle s'écria: « Confiance à un civil? Potentiel suspect en plus de ça? Tu es molle! »
« Folle. Et non, pas du tout. » Yukino ne laissa pas le temps à son impétueuse compagne de répliquer. « J'ai discuté un moment avec elle, elle est un peu bizarre, mais je pense vraiment qu'elle pourrait t'aider dans ton enquête » finit-elle en se tournant vers la femme aux yeux rouges, qui s'efforçait jusqu'alors de ne pas s'impliquer dans la conversation.
« Ara, je ne crois pas que ce soit une bonne idée. » Et ça n'en était pas une. Elle ne pouvait pas se permettre de faire confiance à quelqu'un qui avait autant de soupçons pesant sur les épaules. Elle ne pensait pas en avoir envie de toute façon.
La brune s'indigna. « Vous les flics! » Devant le silence médusé des deux autres, elle reprit avec exaspération. « Vous êtes vraiment incapables de faire confiance à qui que ce soit. »
Haruka croisa les bras, outrée. « C'est faux. »
Shizuru appuya cette dénégation d'un mouvement hochement de tête énergique. « Ara, tout à fait. » Aucune des deux ne se formalisa de la mauvaise foi qui suintait de chacune de leur réponse.
« Oui bien sûr », répliqua Yukino en levant les yeux au ciel, « vous faites confiance à d'autres flics. La belle affaire. »
« Certains flics. » commenta Shizuru pour plus de précision. Elle n'allait quand même pas faire confiance à n'importe qui. Haruka hocha énergiquement la tête à son tour pour lui donner raison avant de gratifier sa compagne d'un regard réprobateur.
« Je te signale que tu es flic aussi, Yukino. »
La jeune femme secoua la tête en retirant ses lunettes et en sortant un mouchoir pour les nettoyer. « Non, je suis profiler », commença-t-elle, « c'est différent. Et avoir quelqu'un sur le terrain à qui tu peux faire confiance est important pour une enquête comme celle-ci, non? » Elle se tourna vers Shizuru avec un sourire d'excuse avant de reprendre en la désignant du bout de ses montures. « Enfin regarde-toi, Shizuru, tu ne connais rien de cette région. » Sans manquer la lueur d'irritation qui dansait à présent au fond des yeux de la femme de Tokyo, elle poursuivit pour s'expliquer tranquillement mais avec fermeté. « La montagne est dangereuse pour les gens qui ne sont pas initiés, tu risques beaucoup. Kuga est peut-être un coupable potentiel, mais elle connait suffisamment Osomura et les alentours pour t'être utile. Si j'étais toi, j'y penserais. »
Il y eut un soupir à côté d'elle et un murmure résigné. « Yukino, c'est un suspect. »
Elle finit de nettoyer ses verres et les remit sur son nez en continuant de batailler. « La seule chose qui la rend suspecte, c'est le fait qu'elle ne soit pas d'ici. » Il y eut un silence d'approbation. La jeune femme récupéra du riz et termina sa pensée. « Elle a le rôle du bouc émissaire, c'est tout. »
« Ara, peut-être », répondit Shizuru avec un sourire aimable, « mais ça ne veut pas dire qu'elle est innocente. » Haruka huma son affirmation, les bras toujours croisés. « Il y a son chien et le fait qu'elle soit dans les bois la nuit. »
Yukino ouvrit les bras en signe d'impuissance. « C'est un trappeur, c'est normal! »
Shizuru lui répondit par une moue sceptique tandis qu'Haruka secouait la tête, visiblement peu convaincue.
« Vous êtes tellement de mauvaise foi! »
Haruka se redressa. « Non, nous sommes professionnelles » répondit-elle avec placidité comme si cette déclaration suffisait à démontrer qu'elle avait raison.
Non loin d'elle, Shizuru jouait avec son poisson en l'écoutant. « Ara, tout à fait. »
Le profiler soupira en signe de défaite et laissa passer l'orage. Elle venait de comprendre qu'elle n'avait pas la moindre chance de gagner un argument contre les deux jeunes femmes lorsqu'elles étaient dans la même pièce. Elle releva la tête pour avoir confirmation d'un doute. « Et est-ce que ça vous arrive de ne pas être d'accord sur quelque chose? » souffla-t-elle avec un sourire défait.
Pour toute réponse, Shizuru lui fit un sourire goguenard et Haruka lui coula un regard d'excuse.
Posté le: Sam Avr 03, 2010 10:02 pm Sujet du message:
Briseglace a écrit:
Yoh , c'est encore moi.
Ahem. Nouveau chapitre, youhou. Cette fois-ci, c'est pour fêter les vacances, étant donné que FF XIII s'est déjà fait avaler tout cru.
(oui je vais donner dans le hors sujet vu que je n'ai pas le temps de lire la fic dans l'immédiat, mais j'assume )
Tu as déjà fini FFXIII donc? Espèce de brute XD
_________________ Et vous, vous dites chocolatine ou pain au chocolat?
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Posté le: Dim Avr 04, 2010 9:07 am Sujet du message:
Hell, non (j'ai même pas de console pour l'instant XD). Je parlais pour vous, ahem . Surtout que quand je suis un FF, il me faut bien un an pour le finir et être certaine de ne rien avoir oublié...
Posté le: Mar Mai 11, 2010 7:15 pm Sujet du message:
Ha ha j'ai (quoi enfin XD ça va hein) lu le chapitre 3. Enfin du coup j'ai dû relire le chapitre 2. Et...
Tu as droit à toute ma reconnaissance pour avoir sorti "le matin était encore jeune"...
Pour le reste, ben je vais faire super original et dire que j'attends la suite. J'aime vraiment ce que tu fais avec les personnages, en fait.
"Tiercé"
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Posté le: Mar Mai 25, 2010 4:45 pm Sujet du message:
Yoh , c'est moi (si vous trouvez aussi cette phrase idiote, tapez 1).
Nouveau chapitre, avec un peu de retard (un peu). J'ai eu un énorme souci (que j'ai d'ailleurs toujours) avec mon ordinateur. Du coup, je ne pense pas poster le chapitre suivant avant un moment, car je dois le réécrire intégralement (oui, il a disparu avec quelques autres dizaines de Go de dossiers, comme c'est balot), et franchement... c'est chiant, hein.
Boaf.
Bonne lecture ^^, celui-là est top (j'ai décidé de m'envoyer des fleurs à moi-même, ça rassure)!
Titange: "de rien", si j'ose dire, quand bien même je ne comprends pas tellement ce qui me vaut cette reconnaissance .
Miya: Merci pour la correction ^^ (ça n'a rien à voir, mais j'espère que tu n'as ni côte, ni nez cassé, hum).
Le Rendez-vous des Princes
Chapitre 4
« Commissaire? »
Derrière elle, la question posée d'une voix mal assurée la fit s'arrêter alors qu'elle rejoignait le couloir qui la mènerait vers la sortie. Elle se retourna pour faire face à l'étrange jeune femme qui se trouvait à quelques mètres d'elle, gauchement adossée contre le chambranle d'une porte. « Oui? », demanda-t-elle, alerte.
« Est-ce que... » Tomoe semblait hésiter et n'arrêtait pas de repousser ses longues mèches de cheveux vers l'arrière. Le silence se fit plus pressant et elle finit par se jeter à l'eau avec une expression égarée. « Est-ce que vous me soupçonnez? »
« Je ne soupçonne personne, Tomoe » répliqua doucement Shizuru avec un sourire qui se tordit en une moue ironique, « et je soupçonne tout le monde. »
Sans vraiment l'écouter, la vétérinaire reprit la parole en regardant ailleurs, comme si elle n'était plus vraiment là. « Les gens pensent que je suis folle. »
Alors que les deux femmes retombaient dans un silence pesant et inconfortable, Shizuru pensa avec cynisme qu'elle était la dernière personne à qui Tomoe Marguerite aurait dû faire cette confession. Elle aurait aimé avoir de la compassion pour la jeune fille, elle l'aurait vraiment souhaité, mais elle se rendit compte avant même de tenter l'expérience qu'elle n'y parviendrait jamais. Les suspects n'étaient jamais innocents. Ils ne le devenaient que le jour où elle, Shizuru Fujino, décidait qu'ils l'étaient. En attendant, son cœur était fermé. Et c'était très bien comme cela.
La seule chose qu'il restait, c'était la curiosité un peu morbide qui la caractérisait si bien. Ce fut pour cette raison qu'elle se contenta d'un bref « Pourquoi? », détachée et pourtant attentive à la moindre intonation de l'autre femme.
Tomoe soupira et reporta son regard sur elle. « Vous faites partie de ceux-là, je crois » commença-t-elle avec un sourire triste, « ceux qui ne croient que ce qu'ils voient. »
Shizuru sut alors où cette conversation allait les mener.
Vampire. Ou loup-garou?
N'importe laquelle de ces deux considérations était de toute évidence une affabulation décérébrée. Plusieurs personnes semblaient pourtant partager un avis solide selon lequel un vampire roderait dans les montagnes.
Shizuru ne croyait pas aux vampires. Elle savait par contre qu'il ne devait pas être si difficile d'inventer une arme permettant de se faire passer pour l'un d'eux.
« Ara, en effet... ça me semble évident », répondit-elle sans se départir de son sourire. Quelle détective serait-elle après tout, si elle commençait à s'attacher à ce genre de rumeurs? Il fallait des preuves, des témoignages, des indices, n'importe quoi. Quelque chose pour soutenir une argumentation, pas seulement des histoires anciennes importées d'Europe et des traces de morsures. La piste des serpents était bien plus prometteuse que celle du chasseur d'homme.
La jeune femme soupira une nouvelle fois. « C'est bien ce que je pensais. » Elle ferma les yeux. « Pourtant, si vous faisiez attention, vous remarqueriez qu'il se passe des choses étranges ici. » Elle n'ajouta rien d'autre.
« Quel genre de choses? »
« Je ne sais pas. » Tomoe pencha la tête sur le côté, complètement perdue dans ses pensées et Shizuru la regarda faire en fronçant les sourcils. « Parfois, vous vous sentez suivie, mais il n'y a personne derrière vous. Parfois, vous entendez des pas à côté de vous, mais il n'y a rien. Il arrive que le vent change brusquement de sens, ou qu'une brise se lève d'un seul coup pour retomber aussitôt. »
« Ce ne sont que des impressions, Tomoe », répliqua doucement Shizuru, « rien d'autre. »
« Non commissaire. C'est parce que vous n'y prêtez pas attention. »
Shizuru secoua la tête de dépit sans rien ajouter. Elle se retourna pour sortir et lorsque la porte tourna sur ses gonds, elle fut accueillie par la pâleur désormais familière du paysage et le froid brûlant d'Osomura. Elle avança sur le perron et pivota afin de faire une dernière fois face à la collectionneuse de serpents, qui la regardait de loin, toujours adossée contre le chambranle de la porte du salon.
« Nous nous reverrons peut-être » s'exclama-t-elle avec force afin qu'elle l'entende depuis l'intérieur. La jeune femme hocha la tête et répondit, le visage fermé. « Nous nous reverrons sûrement, commissaire. »
Shizuru ne répondit pas.
____________________ _____
Elle se demandait à présent si ça n'avait pas été une sorte de promesse ou de menace. Elle hésitait entre les deux. Dans tous les cas, il était certain qu'il valait mieux éviter de revoir Tomoe Marguerite avant un moment.
Shizuru tourna sèchement le volant et donna un coup d'accélérateur afin de dépasser un virage serré. Elle détestait déjà cette route sinueuse. Comme il faisait nuit, elle avait l'impression de revenir plusieurs jours en arrière, lorsqu'elle avait gravi cette montagne pour la première fois vers Osomura. Inconnu alors, le village lui avait semblé inhospitalier et perdu. À présent, il était mystérieux et secret. Elle se demandait si la constante écharpe de brume qu'elle distinguait entre les arbres de jour comme de nuit était le fruit de son imagination.
Le dîner avec Haruka et Yukino s'était achevé une petite demi-heure auparavant et elle était maintenant sur le chemin du retour. Il n'y avait pas de musique dans l'habitacle, elle était bercée par le bruit étouffé du moteur. Il faisait nuit noire, elle ne savait pas quelle heure il était, exactement.
Elle l'aurait nié si on lui avait fait remarquer, mais elle était tendue. Elle, Shizuru Fujino, était anxieuse à l'idée de devoir rentrer à l'hôtel en pleine nuit.
Cette montagne la mettait mal-à-l'aise, et elle était frustrée de ne pas trouver d'explication à cet état d'esprit. Alors, elle était attentive et regardait régulièrement autour et derrière elle, démesurément rassurée d'avoir contre sa hanche le poids familier de son arme de service.
La vigilance n'avait pourtant jamais fait partie de ses qualités. À moins que ce ne soit de la simple peur, mais elle refusait d'aller jusque-là. Pour l'instant. Il y avait quelque chose d'anormal dans cette région, quelque chose qu'elle n'arrivait pas à saisir et qui exacerbait sa propre paranoïa.
Les paroles de Tomoe Marguerite, qui semblaient si irrationnelles quelques heures auparavant, ne lui paraissaient plus si affabulatrices.
La jeune femme soupira pour la énième fois depuis qu'elle était entrée dans sa voiture, pour se rassurer ou par dépit, et tapota nerveusement le volant.
Comme si cela ne suffisait pas, un point de lumière commença soudainement à danser au loin, quelque part dans l'ombre des bois.
Qu'est-ce que...
Shizuru sursauta et manqua de tourner son volant dans le mauvais sens. Les freins crissèrent et elle stoppa brutalement son véhicule, remercia sa ceinture de sécurité qui venait de l'empêcher de passer à travers le pare-brise, et scruta la nuit, alerte.
Il y avait bien de la lumière dans les bois. Quelqu'un y était.
C'était probablement une lampe de poche. Quelque chose de ce genre. Shizuru frissonna et détourna les yeux pour les reporter sur la route, face à elle, qui attendait patiemment d'être gravie. Peut-être valait-il mieux faire comme si elle n'avait rien vu. Personne n'irait vérifier qu'elle était ici à cet instant, elle n'aurait qu'à dire qu'elle n'avait rien remarqué et c'était tout.
Décidée, elle appuya doucement sur l'accélérateur après être repassée en première et essaya de faire le moins de bruit possible. Elle avait la désagréable impression d'être épiée.
Alors qu'elle commençait à avancer, elle freina à nouveau et s'arrêta sur le bas-côté. Et si c'était le tueur? Si le lendemain matin les habitants retrouvaient un nouveau corps? Est-ce qu'elle s'en voudrait? Est-ce qu'elle aurait des remords?
Shizuru n'aimait pas avoir de remords, ils étaient encombrants et empêchaient les gens bien de faire leur travail. Et elle était quelqu'un de bien, du moins le pensait-elle. Son travail à elle était d'enquêter et de permettre l'arrestation d'un assassin. Son esprit commença à entrer en ébullition alors que ses yeux se tournaient à nouveau vers la lueur dansante au milieu des bois.
Si c'était le tueur, elle avait une occasion en or de l'arrêter. Elle ne pouvait pas se perdre, elle avait juste à suivre la lumière, comme les moustiques. Et pour revenir, il lui suffirait de retrouver la route. Elle était armée. Elle était entrainée, elle avait de bons réflexes, ce n'était pas comme si elle risquait vraiment quelque chose. Si elle l'arrêtait, elle pourrait quitter Osomura. Cette seule pensée la décida à agir.
Elle pourrait quitter Osomura.
Rien ne pouvait avoir plus d'importance. Cette région et ce village la rendaient malade. Elle n'était pas stupide au point de ne pas se rendre compte qu'elle n'agissait pas comme à son habitude depuis qu'elle était arrivée.
Elle oubliait des choses élémentaires. Elle était distraite, elle faisait des cauchemars. Les habitants la mettaient mal-à-l'aise, elle qui était pourtant si sociable. Elle avait bien failli décider de laisser derrière elle une occasion sur laquelle elle se serait habituellement jetée à corps perdu. Elle devait partir avant qu'il ne se passe autre chose.
La survie en quelque sorte.
Elle déboucla sa ceinture et sortit de sa voiture. Ferma, verrouilla. Dégaina son arme et commença à avancer avec prudence. Il n'était pas si loin. Elle grimpa agilement le talus et ignora le craquement de la neige sous ses bottes. Après avoir pris une grande inspiration, Shizuru s'enfonça dans les bois, l'arme au poing.
La lumière ne dansait plus. Elle devinait qu'il devait s'être arrêté. Peut-être qu'il regardait quelque chose, ou qu'il avait posé la lampe sur un rocher. Pour s'éloigner. Peut-être qu'il venait de lui tendre un piège et qu'elle s'y avançait comme une imbécile.
Elle prenait le risque.
Elle continua d'avancer, imperturbable, les yeux dardant de droite à gauche, se retournant parfois rapidement pour vérifier qu'elle n'était pas suivie. Ses doigts ne tremblaient pas sur la gâchette. Elle n'avait pas peur. Elle était un commissaire réputé. Elle savait se servir de son arme, elle l'avait déjà fait. Elle n'avait pas peur.
Shizuru Fujino n'avait peur de rien.
La lumière s'éteignit.
Shizuru Fujino était dans le noir.
Mais elle n'avait pas peur. Elle le croyait très fort. Elle se força à garder son calme et continua de marcher en ligne droite vers l'endroit où se trouvait la lumière quelques secondes auparavant. D'une façon qu'elle jugeait silencieuse.
Ses yeux s'habituaient déjà à l'obscurité et elle distinguait les formes des troncs d'arbres et le relief. Elle marchait en travers d'une pente semblable à celle que Nina Wang avait dévalée quelques jours auparavant. Son pied droit glissait régulièrement sur du givre et manquait de la faire basculer sur le côté. Des pierres s'évadaient sous ses pas. Elle devait pourtant garder son arme face à elle.
Elle entendait parfois le cri d'un oiseau. Le bruissement du vent contre les troncs. C'était comme si la forêt respirait.
Quelques minutes après avoir commencé à marcher dans l'obscurité, elle déboucha sur un petit espace dégagé où la lueur de la Lune parvenait à se refléter. Il n'y avait pas d'arbres car l'endroit était occupé par un gros rocher.
Elle le contourna avec précaution en scrutant les alentours.
Elle ne vit rien.
Après avoir fait le tour, elle s'adossa contre la roche glaciale et soupira. Il n'était plus là. Ou alors, il l'observait de loin. Shizuru se demanda furtivement s'il n'y avait pas quelque chose de surnaturel à cette entière situation. Pas étonnant que les habitants pensaient qu'il s'agissait d'un vampire. On pouvait dire qu'il avait l'art de la mise en scène.
Elle constata au bout de quelques secondes à scruter la profondeur des bois qu'elle était incapable de déterminer précisément la direction depuis laquelle elle était venue. Elle se demanda si elle devait s'en inquiéter ou si elle devait plutôt se focaliser sur la désagréable situation dans laquelle elle venait de s'empêtrer.
Il était sans doute encore ici. Elle allait se défendre.
Elle s'arracha à la roche et recommença à avancer autour du gros caillou en s'efforçant de contrôler sa respiration. Où était-il? Elle leva les yeux. Était-il dans un arbre? Ses yeux descendirent jusqu'au sol. Allongé dans le noir? Elle regarda le rocher. Faisait-il le tour en même temps qu'elle?
Elle tourna brusquement les talons et entreprit de courir dans l'autre sens.
Elle n'avait pas fait trois pas qu'un énorme chien blanc se jeta en travers de son chemin, crocs à découvert et oreilles aplaties sur le crâne.
La bête était énorme. Shizuru dérapa sur le sol et fit plusieurs pas en arrière, les yeux écarquillés. Elle doutait qu'un chien puisse avoir une taille aussi impressionnante. Pas plus qu'un loup. Alors qu'elle contemplait avec horreur l'animal sauvage qui s'avançait à présent vers elle comme s'il allait lui sauter dessus, elle entendit des branches craquer dans son dos et se retourna à moitié, le bras tendu vers la source du bruit.
Elle fut accueillie par le canon d'un fusil.
Derrière le canon, une femme la regardait, le visage fermé et les deux mains fermement campées sur le fusil avec lequel elle la menaçait. Dans la nuit, Shizuru ne distinguait rien d'autre qu'une peau blême, presque livide sous la lumière lunaire, et une mer de cheveux noirs qui se confondaient avec l'obscurité des bois derrière elle.
Shizuru et l'inconnue se regardèrent un moment avant que le commissaire ne sente du mouvement sur le côté. Elle n'eut pas le temps de réagir. Déjà, l'énorme animal blanc s'élançait vers elle.
« Duran! »
L'ordre avait claqué. Aussitôt, la bête se ramassa sur lui-même et stoppa sa course pour se contenter de jeter à la femme de Kyoto un regard méprisant et de passer près d'elle sans plus lui accorder d'attention. Il se posta aux côtés de la femme au fusil et ne bougea plus.
Les deux femmes se tenaient toujours mutuellement en joue. Fusil d'un côté, revolver de l'autre.
Shizuru attendit que la panique qu'elle venait d'expérimenter se tarisse avant d'oser parler. La femme qui lui faisait face ne pouvait être personne d'autre que Natsuki Kuga.
Accrochée à la ceinture du trappeur, une lampe de poche éteinte semblait narguer l'enquêteuse.
Après avoir passé une éternité à se scruter sans parler, la brune brisa le silence d'une voix grave et sèche. « Pourquoi vous me suivez? »
Shizuru respira profondément pour calmer ses nerfs en espérant que cela passerait inaperçu et afficha une mine sceptique. « Je suis censée répondre à cette question? »
Il y eut un moment de silence pesant pendant lequel le chien, Duran, recommença à grogner en lui montrant ses interminables crocs. Shizuru sentit un filet de sueur froide couler dans son dos rien qu'à le regarder faire.
Finalement, Natsuki Kuga soupira bruyamment, visiblement agacée. « Qui êtes-vous ? » lâcha-t-elle en repositionnant correctement le canon de son fusil avec aise.
Shizuru lui fit un sourire goguenard. « Vous êtes Natsuki Kuga. »
Elle s'attendait à voir l'étonnement se peindre sur le visage de son interlocutrice. C'était comme cela que ça fonctionnait, d'habitude. C'était elle qui tirait les ficelles. Aussi, elle eut la mauvaise surprise de constater que cette dernière lui lançait à la place un regard narquois qui ressemblait beaucoup à celui qu'elle avait déjà vu chez Nao Yuuki. « Ah », commença l'autre, faussement grave, « vous êtes le commissaire Fujino. »
Visiblement, la rencontrer ne l'enchantait guère. Shizuru n'était elle-même plus certaine de vouloir la côtoyer. Elle s'efforça de se placarder sur le visage une expression sereine et un petit sourire ambigu avant de reprendre.
« Ara, je suis flattée d'être reconnue. »
La brune hausse des épaules et tapa légèrement du pied sur le sol pour calmer l'énorme animal qui se dressait à ses côtés et qui menaçait de bondir à tout moment. « Les rumeurs vont vite », souffla-t-elle simplement en posant un regard d'appréciation sur le chien, qui était à présent sagement assis, les oreilles droites et les yeux fixés sur une Shizuru médusée.
Elle expira fortement par le nez sans lâcher l'animal des yeux. Il n'était pas vraiment temps de jouer. « Maintenant que les présentations sont faites, il va falloir baisser votre arme » ordonna-t-elle avec une nonchalance déguisée. Elle espérait qu'elle n'apparaissait pas aussi tendue qu'elle l'était réellement.
Natsuki Kuga s'ébroua sans obéir. « Baissez la vôtre d'abord. » Shizuru cligna des yeux. La fille venait de s'ébrouer. Comme... le chien à ses côtés. Elle se demanda furtivement lequel était le plus animal des deux.
« Je ne peux pas », répondit-elle en lui lançant un regard rempli d'humour, « c'est vous qui êtes le suspect ici. Je ne peux pas vous faire confiance. » En prononçant ces paroles, elle se souvint de l'insistance avec laquelle Yukino avait voulu qu'elle ne considère pas Natsuki Kuga comme un suspect. Elle avait trouvé ça intrigant. À présent, cela lui échappait complètement. Elle comprenait seulement mieux pourquoi Haruka l'avait mise en garde. Les deux silhouettes qui lui faisaient face étaient pour le moins inquiétantes.
La bête qui se trouvait aux côtés de la brune se redressa légèrement en tournant la tête sur le côté. Son maître le regarda faire avec intérêt avant de scruter la profondeur des bois à son tour. Shizuru n'avait rien entendu. Elle ne voyait pas ce qu'ils pouvaient bien surveiller. Elle voulait juste ne plus avoir l'impression qu'elle allait se faire dévorer dans les minutes qui allaient suivre.
Elle allait faire des cauchemars cette nuit.
La femme et l'animal échangèrent un regard. Shizuru eut l'impression de se retrouver dans une dimension parallèle. Elle aurait pu jurer avoir vu de la complicité entre les deux mystérieux compagnons. Natsuki se tourna de nouveau vers elle.
« Vous savez comment rentrer à Osomura, commissaire? » demanda-t-elle, morose et visiblement pas plus que ça intéressée par la réponse. Le sourire placide de Shizuru s'affaissa sur lui-même.
Elle ne savait plus d'où elle était arrivée.
Elle n'en avait plus la moindre idée.
Comme si elle avait deviné ses pensées, le regard de la brune fut traversé par un éclat victorieux avant qu'elle n'ajoute, sans sourire mais définitivement amusée : « Si j'étais vous, je ferais confiance à la seule personne qui peut me sortir de là. »
Shizuru serra les dents. Elle n'avait plus envie de faire comme si cette situation la mettait à l'aise. « Je ne baisserai pas mon arme. »
« Dans ce cas moi non plus », répliqua le trappeur en grattant son énorme bête entre les oreilles. « On a l'air bien, là. »
La tête du loup blanc lui arrivait au-dessus de la hanche.
Shizuru soupira et afficha une moue pensive. « Votre fusil est plus dangereux », conclut-elle avec une mauvaise foi qui n'était plus à démontrer, « baissez-le en premier. »
Natsuki Kuga grogna. Elle grogna. « Toutes les armes tuent de la même façon, non? » Shizuru ne répondit pas. La brune soupira, résignée, et releva son arme avant de la balancer sur son épaule avec la force de l'habitude. La femme de Tokyo se persuada que le chien se détendit en la voyant faire. Combien de temps fallait-il pour dresser un tel animal de cette façon?
Rassurée de ne plus avoir le canon d'une arme à feu pointé vers elle, Shizuru reprit sa contenance habituelle. Après tout, son revolver à elle était encore en position. « Qu'est ce que vous faites dans les bois à cette heure-ci? » demanda-t-elle avec un sourire neutre.
« Je fais mon travail. » Natsuki Kuga la regarda, moqueuse et pas du tout gênée d'être mise en joue. « Vous aussi, j'imagine. »
Shizuru grimaça intérieurement en l'entendant. Elle n'était pas certaine d'apprécier le sous-entendu contenu dans cette dernière. Oui, elle faisait son travail. Non, elle n'avait pas d'horaires précis. Il arrivait à n'importe qui de suivre des lumières dans les bois seul au milieu de la nuit pour traquer un tueur. Ça ne pouvait pas être si étrange. Elle avait l'impression qu'une fois de plus, les habitants de ce maudit village la prenaient pour une imbécile.
Elle recula de quelques pas jusqu'à s'adosser au rocher derrière elle avant de poursuivre son interrogatoire improvisé. « Pourquoi avoir éteint votre lampe? »
Elle avait froid. Il faisait froid. Elle frissonna sous son manteau.
Natsuki la quitta des yeux pour observer à nouveau l'obscurité avant de lui répondre. « Je vous ai entendu arriver. »
« Vous m'avez tendu un piège? »
« C'est vous qui m'avez suivie, c'est vous qui êtes responsable. »
Shizuru se renfrogna. « J'étais pourtant silencieuse. » Elle le pensait. À part quelques branches qui avaient craqué sous son pas, il ne lui semblait pas avoir fait tant de chahut.
Le loup s'étira avant de quitter le côté de la jeune femme pour flâner entre quelques arbres. Cette dernière se gratta la joue avant de lui répondre avec une honnêteté cuisante. « Vous faites autant de bruit qu'un troupeau de moutons à clochettes. »
Oh.
Shizuru prit sur elle pour ne pas fléchir sous l'insulte. Il fallait dire que ça n'était pas de sa faute. Elle était entraînée pour mener des enquêtes en ville, pas pour gambader dans les bois l'hiver. Évidemment qu'elle avait fait du bruit. C'était l'ordre normal des choses.
Alors qu'elle s'apprêtait à répliquer quelque chose de désagréable pour donner le change, la brune se tourna vers elle avec sècheresse. « Je vous ramène au village. »
« Ara, c'est très aimable » répliqua-t-elle avec cynisme, « mais j'ai laissé ma voiture sur la route. »
Le chien revînt vers Natsuki et cette dernière commença à s'avancer dans l'obscurité. « Dans ce cas je vous ramène à votre voiture. »
____________________ _____
Trois jours.
Il s'était passé trois jours depuis cette étrange rencontre et Shizuru n'avait toujours rien de concluant sous la main. Elle avait continué, inlassablement, de faire du porte-à-porte avec l'espoir que peut-être l'un des villageois se déciderait à lui raconter quelque chose qui n'était ni une rumeur, ni une affabulation. Peine perdue.
C'était toujours les mêmes histoires qui revenaient. La majorité des habitants pensaient que Natsuki Kuga était la responsable de leur situation. Pour ceux-là, c'était l'évidence même. Le problème, c'était que les seuls arguments qu'ils avançaient étaient qu'elle n'était pas de la région et qu'elle possédait un énorme loup blanc. C'était mince, finalement. Même si la jeune femme ne lui avait pas fait une très bonne impression, Shizuru ne pensait pas qu'elle puisse l'arrêter au motif qu'elle n'était pas née à Hokkaido.
Beaucoup accusaient leurs voisins. Juste pour le plaisir d'accuser leurs voisins, parce qu'ils faisaient du bruit, parce qu'ils avaient changé leur toiture avant eux, ou parce qu'ils étaient amis avec quelqu'un qu'ils n'aimaient pas.
Tomoe Marguerite revenait souvent également. Mais il fallait bien avouer qu'il y avait plus de raisons de la soupçonner que les autres. Les serpents qu'elle collectionnait étaient la source du venin utilisé lors du crime. Mais il était de notoriété publique qu'elle les aimait. Le tueur aurait aussi bien pu se servir de cela pour diriger les soupçons vers elle en choisissant précisément le venin comme poison. Elle paraissait un peu déphasée, mais Shizuru avait du mal à l'imaginer courir après Nina Wang dans la nuit alors qu'elle ne supportait pas de traverser la ruelle qui séparait l'arrêt de bus de sa maison.
Il y avait Reito Kanzaki et ses drôles d'habitudes. Elle ne connaissait pas beaucoup de maires qui se déplaceraient après le dîner pour aller voir l'un de leurs concitoyens. Il y avait Yuichi Tate qui ne cessait de lui lancer des regards suspicieux dès qu'elle s'avançait vers lui comme s'il avait peur qu'elle lui pose une question à laquelle il ne pourrait pas répondre. Et qui semblait morose pour une raison qui lui échappait.
Et puis une assez conséquente proportion d'habitants n'excluait pas la possibilité que les meurtres soient le fait d'un animal ou d'une créature surnaturelle. Elle avait entendu un nombre incalculable de théories présentant Natsuki Kuga, encore elle, comme un vampire sanguinaire qui chasserait les hommes accompagnée de son chien damné. Elle avouait que ces deux-là étaient étranges, mais pas au point de leur attribuer la capacité de se nourrir de sang humain. D'autant plus qu'on avait injecté du poison dans le sang des victimes.
On ne leur avait pas sucé le sang.
Par voie de conséquence, la thèse du loup-garou, assez à la mode également, se perdait aussi. Les morsures étaient bien trop précises et propres pour être l'œuvre d'une bête sauvage.
Mashiro Kazahana se distinguait en étant persuadée que le Diable en personne se serait déplacé.
Shizuru soupira, adossée près de la fenêtre de sa chambre d'hôtel. Et Haruka qui ne trouvait pas qui était la femme énigmatique tuée neuf ans plus tôt. Elle aurait donné n'importe quoi pour savoir son nom. Elle faisait confiance à la blonde pour la retrouver, car elle savait que lorsqu'elle se fixait un objectif, elle n'abandonnait pas tant qu'elle ne l'avait pas atteint.
Mais l'attente était insupportable.
C'était un morceau du puzzle que Shizuru pressentait comme étant essentiel. Sans lui, ils ne trouveraient pas.
Alors pour patienter, elle regardait par la fenêtre de sa chambre les archéologues qui s'apprêtaient à partir. Il n'était pas encore neuf heures. Elle ne dormait plus très bien depuis qu'elle avait rencontré le loup blanc. Duran. Elle ne cessait de le voir, prêt à lui sauter à la gorge à la moindre occasion. Toutes les nuits, elle courait dans les bois pour échapper à une menace qu'elle ne parvenait pas à identifier.
Dehors, ils étaient tous là. Les vingt-et-un archéologues qui, à cet instant, empoignaient leurs sacs à dos avec bonne humeur avant de les jeter sur leurs épaules. L'insouciance de ces drôles d'oiseaux faisait plaisir à voir. Sans eux, Osomura serait d'une tristesse insupportable. Comme tous les matins depuis trois jours, une femme rousse hurla le départ avec un enthousiasme enfantin comme si elle était le commandant en chef d'un régiment d'infanterie qui se préparait à charger dans les troupes ennemies. La veille, Shizuru avait appris de Mai qu'elle s'appelait Midori Sugiura.
Un drôle de personnage.
Visiblement, elle était la responsable du chantier en cours. Shizuru avait l'intention de lui parler. Ce soir. Pendant la journée, les archéologues étaient quelque part elle-ne-savait-où dans la montagne, et elle n'avait pas l'intention de se perdre en essayant de les retrouver. Peut-être savait-elle quelque chose à propos du conte des Trois Frères. Elle n'avait pas osé demander à Mashiro, de peur de devoir à nouveau écouter ses prédictions apocalyptiques lui annonçant la mort de toutes les personnes ne vivant pas comme au siècle passé.
Elle s'apprêta à descendre pour le petit-déjeuner -qui était le seul moment intéressant de la journée- lorsqu'un cri d'enfant résonna dans la rue.
« Claire! »
Shizuru se précipita vers la fenêtre, qu'elle venait de quitter, et l'ouvrit malgré le froid mordant de l'aube, afin de pouvoir observer la situation. Depuis le troisième étage, elle était à un point stratégique, s'il y avait un souci, elle pourrait très bien réagir. Elle posa sa main sur son colt avec fébrilité et scruta rapidement la ruelle en dessous d'elle, prête à dégainer si-
Elle s'arrêta dans son élan.
Un gamin de sept ou huit ans courait dans la rue, écartant la neige sur son passage et s'empêtrant dans son énorme manteau par la même occasion. Il perdit son écharpe sans s'en rendre compte et, sous les sifflés moqueurs des archéologues amusés, se jeta dans les jambes d'une femme élancée aux cheveux blonds coupés en carré qui portait avec fierté une énorme pioche sur le dos. Les rires redoublèrent quand cette dernière commença à remuer sa jambe, mal-à-l'aise, dans l'espoir que le petit homme finisse par la lâcher.
« Wouh, Claire a un amoureux! », s'exclama un homme en continuant de serrer les bretelles de son sac à dos pendant que les autres s'amusaient de l'inconfort évident de la jeune fille.
Sans prêter attention aux quolibets des adultes, le garçon continuait de pleurer en s'accrochant chaque seconde un peu plus fort à une jambe qui ne cessait de le secouer. « Claire, ne pars pas! »
Cette dernière soupira et sembla chercher de l'aide en lançant à ses collègues un regard suppliant. Ils lui firent de grands sourires narquois. Le Salut vient d'un peu plus loin. En tournant la tête sur le côté, Shizuru vit une femme d'une quarantaine d'années aux cheveux noirs comme de l'encre s'élancer dans la neige à son tour en ramassant l'écharpe du gamin. « Raki! », s'écria-t-elle avec mauvaise humeur, « viens ici tout de suite! »
« Claire, je veux pas aller à l'école! » supplia l'enfant tandis que, Shizuru le supposait, sa mère arrivait à sa hauteur et tentait de le récupérer. « Laisse-moi venir avec toi! »
La blonde et la brune échangèrent un regard d'excuse mutuelle et Raki se laissa finalement attraper par sa mère qui lui remit son écharpe en vitesse et le tira vers une voiture garée un peu plus loin. « Tu verras Claire plus tard, elle doit travailler, ça suffit maintenant. »
« Mais maman... »
Non loin d'eux, la blonde s'inclina profondément en faisant fi du poids qu'elle portait sur les épaules tandis que les autres archéologues continuaient de rire. « Je suis désolée, madame Yumemiya! »
La brune répondit quelque chose que Shizuru ne comprit pas. Son attention était ailleurs. Elle avait entendu parler de la famille Yumemiya par quelques voisins, mais elle n'avait jamais réussi à les voir. Ils refusaient de lui ouvrir. Ainsi, elle observait pour la première fois deux membres de cette famille si mystérieuse. La mère l'intriguait. Elle paraissait tendue. Sa réaction par rapport au comportement somme toute assez amusant de son fils lui semblait disproportionnée.
Comme si elle avait déjà bien d'autres choses à faire et à penser.
Elle s'écarta de la fenêtre et se décida à descendre manger quelque chose avant de sortir, perdue dans ses pensées. Elle devait sans doute se faire des idées. La paranoïa faisait partie intégrante de son métier, mais mieux valait vérifier que conclure à l'avance qu'elle se trompait. Mai semblait être la source d'information la plus sûre pour ce genre de choses.
C'était pour cela qu'elle descendait, évidemment. Ce n'était pas pour le sublime petit-déjeuner qui l'attendait ni pour avoir le plaisir de discuter avec la cuisinière de tout et de rien, d'Alyssa et des rumeurs qui circulaient, non. Elle était très professionnelle. Un enquêteur ne se laissait évidemment pas attendrir par les gens qu'il devait soupçonner. Elle descendait avant tout pour se renseigner. Évidemment, voyons.
Quelques minutes plus tard, elle était assise à la table qui semblait désormais lui être attribuée et attendait que Mai vienne s'asseoir à ses côtés comme elle en avait pris l'habitude. Elle repensait à Natsuki Kuga. Les propos de Yukino la veille ne la quittaient plus.
Après avoir marché pendant quelque temps en silence, elles finirent par sortir de la forêt et Shizuru retrouva avec plaisir la route goudronnée qu'elle avait quittée, si longtemps auparavant. Devant elle et visiblement peu stressée par le fait qu'une arme à feu était toujours pointée dans son dos, Natsuki Kuga la guida à travers le talus. Bientôt, ses pieds foulaient à nouveau la surface plane et lisse du serpent de bitume sur lequel sa voiture l'attendait. Quelque part.
« Je crois que ma voiture est un peu plus haut » annonça-t-elle simplement. Maintenant qu'elle n'avait plus besoin d'elle, elle était certaine que la jeune femme et la monstruosité qui lui servait de chien la laisseraient sur la route pour finir de retrouver son véhicule.
Il faisait vraiment très froid. Elle ne savait pas quelle heure il était, mais elle avait l'impression que le givre avait fini de grimper sur les arbres.
La réponse sèche et sans appel de la brune la prit par surprise. « On vous accompagne. »
Elle préféra ne rien ajouter. Elle ne voulait pas montrer à la jeune femme à quel point elle était soulagée d'avoir quelqu'un avec elle. Suspect ou pas, Natsuki Kuga semblait vouloir la protéger pour l'instant de quelque chose qu'elle ne saisissait pas. Le chien tournait autour d'elles, partait, revenait, faisait quelques tours encore en grognant puis allait ailleurs. Inlassablement. Le trappeur regardait régulièrement sur les côtés, et Shizuru voyait ses mains se crisper par intermittence sur son fusil, toujours sur son épaule. Comme si elle s'assurait qu'il était bien là. Au cas où.
« Natsuki? »
La jeune femme tourna légèrement la tête sans pour autant se retourner pour la regarder. « Oui? »
Shizuru décida de remettre son arme à sa place, sans se presser. De toute évidence Natsuki Kuga n'était pas menaçante à cet instant. Elle le croyait. « Est-ce que c'est un moment approprié pour vous poser quelques questions? »
Elle haussa les épaules en regardant Duran revenir vers elles, tranquille. « Je pense pas, commissaire. »
« Ara », commenta Shizuru avec une fausse bonne humeur, « c'est gentil de me donner votre autorisation. »
Elle sentit son interlocutrice se tendre. « Je ne vous ai pas- » Avant de soupirer bruyamment et de se taire.
Le silence se réinstalla tandis qu'elles avançaient l'une derrière l'autre sur la route goudronnée. Shizuru le brisa en croisant les bras autour d'elle pour se réchauffer. « Vous connaissiez Nina Wang? »
Natsuki ralentit légèrement l'allure jusqu'à ce qu'elles se retrouvent côte à côte. « Oui. »
« Oui? »
« Oui. »
Le commissaire soupira un nuage d'air froid. « Vous la connaissiez comment? C'était une amie? »
La brune rejeta sa longue chevelure derrière elle d'un geste négligent de la main. « C'était l'une des rares personnes qui m'adressaient la parole. »
Duran aboya plus loin et les deux femmes firent toutes les deux un mouvement brusque vers leurs armes respectives avant de soupirer lorsqu'il revint vers elles en trottinant calmement. Elles échangèrent un bref sourire avant de se détendre à nouveau. Ce fut Natsuki qui parla la première. « Les gens ne m'aiment pas » commença-t-elle, « et la plupart préfèrent faire comme si je n'existais pas. »
« Mais pas Nina? »
Elle hocha la tête. « Pas Nina. Nous discutions souvent lorsque je descendais au village. Je passais par chez elle. » Elle s'interrompit un moment comme pour collecter quelques souvenirs avant de sourire tranquillement. « Je crois qu'elle m'aimait bien. » Le sourire se changea en rictus. « Je devais l'intriguer. »
« Mais vous n'étiez pas proches », considéra Shizuru en regardant devant elle. Au loin, elle distinguait la silhouette de sa voiture qui l'attendait sagement sur le bas-côté.
Natsuki appela Duran et attendit que le loup arrive à sa hauteur avant de répondre. « Comme des amies? » demanda-t-elle, « non, nous n'étions pas amies. »
Elles avaient continué de marcher en silence. Elles n'avaient plus échangé un mot jusqu'à la voiture. Arrivées là, Natsuki lui avait dit d'être prudente et avait tourné les talons. Shizuru l'avait regardée s'enfoncer à nouveau dans les bois, Duran à ses côtés, en songeant qu'elle aurait bien aimé bénéficier de sa protection jusqu'à l'hôtel.
Elle avait tant de questions à lui poser!
À présent, elle pensait que peut-être Yukino n'avait pas eu tort de lui conseiller de placer sa confiance dans la jeune femme. Après tout, un profiler savait à peu près cerner ce genre de personnes. Non?
Mai interrompit ses pensées en posant devant elle un thé fumant. Un délicieux thé fumant. Sans demander la permission comme elle l'avait fait les premières fois qu'elles avaient discutées, elle s'assit en face d'elle avec un sourire bienveillant. « Vous avez bien dormi, commissaire? »
« Comme une marmotte, Mai. » s'exclama la femme de Kyoto, un grand sourire frais sur les lèvres. « J'ai un sommeil de plomb. »
La rousse leva les yeux au ciel. « Vous ne dormez pas tant que ça, vous savez », s'exaspéra-t-elle, « Yuichi est impossible à lever le matin. Je me demande parfois où il trouve le courage de se bouger lorsque quelqu'un arrive la nuit. »
« J'ai cru comprendre, oui », commenta l'autre avec un sourire de connivence. Elle trempa ses lèvres dans le thé afin de tester la température et Mai la regarda faire avec impatience. « Alors? Que pensez-vous de celui-ci? »
Shizuru fit mine de se pencher intensément sur la question. « Ara, il est très bon » débuta-t-elle, « mais je crois que je préférais celui d'hier. »
L'hôtelière hocha la tête pour marquer son approbation. « Je trouve aussi. Je voulais que vous le testiez pour en être sûre. »
« Qu'est-ce qu'il y a dedans? » demanda Shizuru, curieuse, avant de reprendre une gorgée prudente pour éviter de se brûler.
« Du jasmin et de la violette. »
« Du jasmin? »
« Oui », commença la rousse en s'ébouriffant les cheveux. « C'était une idée de Fumi. Elle a bon goût en général. »
Fumi? Fumi... Oh. C'était la femme qui vivait avec Mashiro. Shizuru se souvenait d'elle. Elle était cependant incapable de se remémorer les saveurs du thé que la vieille femme lui avait servi. Elle continua de boire le sien avec aisance tandis que Mai commentait les événements survenus quelques minutes plus tôt.
« Je me demande pourquoi ce petit s'est autant attaché à cette fille, quand même », finit-elle en triturant le torchon qui semblait ne jamais la quitter. « Elle n'est pas spécialement bavarde ni sympathique. »
Shizuru reposa sa tasse vide et croisa ses mains sous son menton, pensive. « Raki fait partie de la famille Yumemiya n'est-ce pas? »
Mai hocha la tête. « Oui, c'est le fils cadet. Il a eu sept ans l'été dernier je crois. » Lorsque Mai disait « je crois », cela voulait dire qu'elle était certaine de ce qu'elle avançait mais qu'elle préférait faire comme si elle ne prêtait pas attention à ce qu'elle disait. Une sorte de façon qu'elle avait de se convaincre que non, elle ne savait pas par cœur les jours des anniversaires des enfants du village et que non, elle ne suivait pas leur croissance avec une grande attention.
« Vous pouvez me parler d'eux? » Et Shizuru savait que Mai pouvait parler de n'importe qui.
« Vous ne les avez pas vu? » demanda-t-elle, étonnée.
« Non », répondit Shizuru en tapotant le dessus de sa tasse, « ils refusent de m'ouvrir lorsque je frappe chez eux. »
La restauratrice fronça les sourcils et posa ses coudes sur la table en affichant une moue pensive. « C'est étrange. Ce sont des gens plutôt sociables. » Elle pencha la tête sur le côté. « Ils ont sans doute peur. »
« Peur? »
« Oui », continua Mai avec un sourire triste, « pour les enfants. » Comme Shizuru se contenta de la regarder avec attention, la rousse poursuivit. « Shiro et Rena ont deux enfants. Il y a Raki, le petit bonhomme de tout à l'heure, et Arika, qui devrait bientôt avoir dix ans, je crois. Avec ce qui est arrivé... » Elle s'arrêta et contempla le carrelage. « Vous savez », hésita-t-elle avant de plonger ses yeux mauves dans ceux de Shizuru, « Nous aussi, nous avons peur pour Alyssa. Yuichi n'est pas tranquille. Je comprends que les Yumemiya essayent de se protéger. »
Shizuru ne pouvait s'empêcher de se demander s'il n'y avait vraiment que de la peur dans l'histoire. Les gens qui avaient peur n'hésitaient pas à se mettre sous la protection de la police, alors pourquoi lui refuser l'entrée? Elle préféra garder pour elle cette pensée et se promit d'y revenir lorsqu'elle serait seule. Pour le moment, elle voulait se concentrer sur l'explication potentielle du comportement de l'hôtelier. « C'est pour cette raison qu'il est si bougon? » Elle ne se rendit pas compte immédiatement qu'elle venait de se poser la question à voix haute.
Mai ne sembla pas se formaliser de son scepticisme et soupira en se pinçant l'arête du nez. « Vous savez qu'Alyssa est sourde. » Shizuru hocha la tête. Mai reprit avec douceur. « Ce n'est pas facile d'évoluer dans un endroit où les gens ne parlent pas votre langue. Nous envisageons depuis un moment de déménager. »
Shizuru se redressa avec un intérêt non feint. Elle s'était justement posée la question de savoir comment Alyssa faisait pour communiquer avec les autres dans un endroit aussi reculé et si elle allait dans un centre spécialisé plutôt qu'à l'école. « Vous parlez du langage des signes? »
Mai acquiesça lentement. « Yuichi et moi, nous avons appris assez vite, mais nous sommes les seuls à Osomura à connaître le langage des signes. Enfin, nous l'étions jusqu'à il y a quelques temps. »
Shizuru fronça les sourcils. « Vous l'étiez? »
Le visage de la rousse s'assombrit. « L'étrangère le connait aussi. » Les yeux rouges de Shizuru s'écarquillèrent. Natsuki parlait le langage des signes? Où pouvait-elle l'avoir appris? Elle n'avait pas l'air d'être quelqu'un qui se passionne pour les études, ça ne collait pas avec l'image qu'elle avait d'elle. Mai ne lui laissa pas le temps de poser ses interrogations à l'oral. Déjà, elle poursuivait avec inquiétude: « Je surprends souvent Alyssa en train de lui parler. Je crois qu'elle vient à la sortie de l'école spécialement pour ça. Depuis... quelques temps, Yuichi va la chercher à l'avance. » Elle se tordit les mains en regardant dans le vide. « Je ne veux pas qu'elle l'approche. »
Shizuru comprenait. Mais Shizuru ne comprenait pas. Les gens avaient peur. Mais elle avait la sensation qu'ils ne se méfiaient pas des bonnes personnes.
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Vers vingt-deux heures, Shizuru parcourut dans l'obscurité le deuxième étage d'un pas aérien jusqu'à la chambre de Midori Sugiura. Les archéologues avaient pour habitude de veiller tard le soir en traînant dans le restaurant, mais l'enquêteuse n'avait pas vu la femme rousse parmi eux. Aussi, après avoir jeté un long regard dans la salle où une quinzaine de personnes jouaient aux cartes avec insouciance en fumant quelques cigarettes, elle s'était glissée jusqu'à l'accueil. Comme Yuichi n'était pas là, elle avait un peu farfouillé dans les tiroirs du bureau sans se gêner jusqu'à trouver le registre et avait récupéré le numéro de la chambre de Midori Sugiura.
La femme partageait cette dernière avec une certaine Youko Sagisawa. Le médecin.
Arrivée devant le numéro en question, elle vérifia son apparence, plus décontractée qu'à son habitude étant donné qu'elle n'était même pas chaussée, et frappa doucement contre le bois clair. Il y eut du mouvement dans la pièce et la porte s'ouvrit après seulement quelques secondes d'attente sur une grande femme rousse dont le regard semblait continuellement pétiller d'amusement.
Midori Sugiura sourit amicalement en voyant sa visiteuse. « Bonsoir commissaire. » Shizuru lui rendit son sourire avant de lâcher un soupir faussement exaspéré: « Ara, je suis déjà démasquée. »
L'archéologue éclata de rire et lui lança un regard curieux sans se départir de son sourire. « Tout le monde sait qui vous êtes, vous savez. Vous avez besoin de quelque chose? »
« Vous auriez quelques minutes à m'accorder? » demanda Shizuru après avoir repris son sérieux. La bonne humeur de son interlocutrice était contagieuse. Midori lui faisait un peu penser à Mai à cet égard. Elle continua avec un sourire d'excuse. « Je suis désolée de venir si tard mais c'est difficile de parvenir à vous parler pendant la journée. »
Midori s'écarta avec un soupir de négligence. « Ne vous excusez pas de faire votre travail, commissaire », lança-t-elle en avançant vers l'intérieur de la pièce et en lui faisant signe de la suivre, « je me demandais quand vous viendriez. » conclut-elle alors que Shizuru fermait la porte derrière elle.
La chambre de Midori Sugiura était à peu près la même que la sienne. La seule différence était qu'il y avait deux lits au lieu d'un. Youko Sagisawa n'était pas là. Alors qu'elle scrutait les meubles de la pièce avec minutie depuis sa position au centre de la pièce, elle vit du coin de l'œil Midori se laisser tomber sur son matelas avec nonchalance. « Alors », commença cette dernière après s'être mise à l'aise, « qu'est-ce que je peux faire pour vous? »
« Hum, pourquoi ne pas commencer par le plus facile? », répliqua le commissaire avec amabilité. « Comment vous vous êtes retrouvée ici, par exemple? »
« Ah! », s'exclama l'autre avec un grand sourire taquin, « vous aussi vous trouvez que ce n'est pas l'endroit rêvé pour passer ses vacances? »
« Ara, à-peu-près, oui. »
La rousse reprit la parole en s'asseyant en tailleur sur son matelas, « je travaille à Sapporo, je suis professeur d'histoire. Je suis spécialisée dans le début de la période féodale. Vous savez, les samouraïs, tout ça. » Shizuru hocha la tête et Midori lui fit signe de s'asseoir en face d'elle sur le matelas de sa compagne de chambre tout en poursuivant. « Il y a quelques mois, avec des étudiants et quelques chercheurs, nous avons réussi à localiser les vestiges d'un temple bouddhiste qui- »
Shizuru l'interrompit, plus curieuse que jamais. « Comment vous avez fait pour le localiser? »
Les yeux de la rousse pétillèrent et elle répondit avec entrain. « Les Trois Frères! Ces fichues statues n'avaient rien à faire au milieu de nulle part! Alors nous avons cherché s'il ne pouvait pas y avoir quelque chose à côté, et devinez quoi? »
La jeune enquêteuse pencha la tête sur le côté. « Vous avez découvert le temple? »
« Ah, vous allez trop vite, commissaire! » répondit Midori, taquine. « Non, nous avons trouvé des archives. Des histoires. Des contes. Ce genre de choses. Il y a eu des glissements de terrain à une certaine époque ici. Nous avons supposé que peut-être l'un d'eux avait emporté ce qui se trouvait à flanc de montagne dans la zone. C'est l'une de mes étudiantes qui a trouvé. »
« Laquelle? »
Le regard de Midori se remplit d'affection et son sourire se gonfla de fierté. « Claire. »
« Et donc vous êtes venus sans savoir s'il y avait quelque chose? »
L'archéologue secoua la tête. « C'est comme pour vos enquêtes, non? Vous ne savez pas si vous avez raison ou tort, alors vous décidez d'aller vérifier pour être sûre de vous, je me trompe? C'est pareil pour nous. » Elle lui lança un regard intéressé, les deux mains posées sur ses genoux. « La seule différence, c'est que nous enquêtons sur l'Histoire. Vous, sur des vies. »
Shizuru médita cette pensée avant de croiser les jambes avec élégance. « Et vous avez trouvé ce fameux temple. »
« Oui, nous l'avons trouvé. » Midori fit une pause, pensive. « Nous sommes en train d'essayer de dégager les vestiges. Je pense qu'il est assez petit, mais nous en avons encore pour quelques mois. »
Un ange passa. Shizuru n'arrivait pas à se décider si elle voulait interroger ou non la femme qui lui faisait face et qui, de toute évidence, était bien trop absorbée par ses fouilles pour se préoccuper d'autre chose. Elle soupira et se pinça l'arête du nez en fermant brièvement les yeux. Midori la regarda faire avec un regard compréhensif. « Allez-y commissaire, je vais faire ce que je peux pour vous répondre. »
La jeune femme se jeta à l'eau après avoir pris une seconde pour se concentrer. « Qu'est-ce que vous pensez de tout ça, vous? »
L'archéologue la regarda curieusement. « Vous voulez savoir si je suspecte quelqu'un? »
« Oui. Non. Pas seulement. » Shizuru soupira face à sa propre indécision. Elle avait beaucoup de choses à demander, mais ne savait pas par quelle question commencer. Son interlocutrice lui semblait être profondément honnête, elle était capable de le voir dans ses yeux. Yukino saurait certainement décrire son entière personnalité. La jeune enquêteuse se força à rester concentrée. Elle devait observer les réactions de Midori Sugiura pour avoir une chance de décrypter ses réponses dans le bon sens. « Vos archéologues étaient-ils en contact avec les Wang? Est-ce que l'un d'eux les connaissait? »
La rousse secoua la tête, sceptique. « Vous savez, nous partons tôt le matin et nous ne remettons plus les pieds au village jusqu'au soir. La seule personne que nous croisons de temps en temps, c'est le trappeur. Et encore, on la voit de loin. » Elle grimaça en poursuivant. « Son chien fait un peu peur. »
Les deux femmes échangèrent un petit rire nerveux en revoyant en pensée l'impressionnant animal. Midori se leva et se dirigea vers le bureau au fond de la pièce pour saisir une bouteille d'eau. « Mais les Wang... », reprit-elle en la débouchant tranquillement, « à mon avis, aucun de mes hommes ne savait qu'ils existaient avant d'apprendre qu'ils s'étaient faits assassinés. » Elle se rassit avec aisance. « Moi-même, je serais incapable de vous dire qui c'est si vous me collez une photo sous les yeux. »
« Donc vous ne suspectez personne. »
Le professeur avala une gorgée d'eau avant de répondre. « Et bien non. J'ai entendu les rumeurs, comme tout le monde. L'hôtelière est assez douée pour nous raconter tout ce qui se passe, alors on est tenu au courant. C'est pour ça que tout le monde sait qui vous êtes et ce que vous faites ici. » Elle s'interrompit un instant pour la détailler avant de lui sourire tristement. « Vous êtes un peu comme un oiseau de mauvais augure. »
Un oiseau de mauvais augure? Ce n'était peut-être pas loin de la vérité. Si un nouveau meurtre devait être répété, elle aurait la charge d'assumer son incapacité à résoudre l'affaire avant sa commission. Les habitants lui en voudraient probablement. Elle pensa furtivement à Mai et Alyssa. S'il devait leur arriver quelque chose.
Elle s'en voudrait sûrement.
Mais en attendant, la femme qui lui faisait face ne lui avait pas sorti un énième chapitre sur une bête surnaturelle. « Ça me rassure », lâcha-t-elle finalement en souriant. Rien que pour ça, c'était déjà une bonne chose de discuter avec quelqu'un de sain d'esprit.
Midori Sugiura s'étonna brièvement de sa réplique. « Ah oui? »
« Ara, oui. Au moins, vous ne me dites pas que vous pensez que c'est un vampire ou un loup-garou sorti des ruines du temple bouddhiste. »
Shizuru regretta d'avoir prononcé ces paroles en voyant la rousse froncer les sourcils, visiblement perdue dans une réflexion soudaine. Elle n'allait tout de même pas oser? « Vous savez », commença-t-elle en refermant pensivement la bouteille d'eau qu'elle avait toujours en main, « cette rumeur n'est peut-être pas aussi anodine qu'il y paraît. »
Elle avait osé. L'humeur de Shizuru retomba dans de lugubres catacombes en constatant que Midori Sugiura n'était peut-être pas aussi saine d'esprit qu'elle le laissait paraître. Elle appréhendait la suite. Comme elle avait besoin d'une confirmation, elle plissa les yeux en détaillant minutieusement les expressions faciales de l'autre femme. « Vous y croyez aussi? » demanda-t-elle avec une réelle curiosité.
Le sourire jovial de la rousse revint en force en l'entendant poser la question. « Je ne crois pas aux vampires, non », répondit-elle en posant la bouteille en plastique à côté de son lit. « Mais c'est tout à fait compréhensible. »
« C'est-à-dire? »
L'archéologue reprit son sérieux et croisa les bras. « J'ai passé quelques temps en Europe quand je faisais mes études », débuta-t-elle. « Mon professeur était un chercheur allemand qui étudiait l'esthétique des cimetières au Moyen-âge. Il attachait beaucoup d'importance au folklore pour avancer dans ses recherches. Du coup, j'ai moi aussi un peu fouillé dans les légendes qui parcourent le continent pendant mon séjour. » Elle fit une pause avant de poser sur elle un regard bienveillant. « Vous savez, les vampires ne sont pas une simple invention sortie de nulle part. »
Mais encore? Shizuru s'apprêta à répliquer mais l'historienne ne lui en laissa pas le temps.
Emportée par sa passion de l'histoire, cette dernière s'enflammait déjà. « Bien sûr, il y a une mythologie assez importante sur ces créatures, qui remonte à l'antiquité », continua-t-elle en gesticulant, comme si elle se parlait à elle-même. « On peut presque dire que les vampires ont toujours existé dans les contes populaires, sous plusieurs formes et avec des attributs différents. » Elle s'arrêta comme pour vérifier qu'elle n'avait pas dit de sottise et sembla heureuse de sa constatation.
Shizuru décida de puiser un peu dans la masse de connaissances que semblait détenir la rousse. Elle était à présent confuse. Midori lui parlait de contes européens. Mais jamais au Japon elle n'avait eu l'occasion de lire un conte où un vampire apparaissait. Elle entreprit de faire part de ce détail à son interlocutrice. « En Europe, oui. Mais je n'ai jamais entendu parler de vampire dans la mythologie japonaise. »
« Parce que c'est récent pour nous » répondit aussitôt l'autre femme en reposant son regard sur elle, enthousiasmée par la conversation en cours. « C'est au XIXème que ces histoires ont véritablement commencé à circuler. C'est à ce moment que le mythe s'est popularisé, tout ça. » Elle leva les mains en l'air pour donner plus d'effet à ses paroles tandis que Shizuru assimilait les informations avec intérêt. « Vous savez pourquoi? »
« Non, mais vous allez me le dire. »
La rousse claqua des mains en souriant à pleines dents. « Exactement. » Elle rassembla ses pensées avant de continuer, posément cette fois-ci. « C'est l'époque où les migrations se sont développées, avec les révolutions industrielles, tout ça. Les informations et les hommes ont commencé à circuler très vite. Tout le monde sait que les natifs n'aiment pas les immigrants. C'est la tendance générale encore aujourd'hui, et c'était bien pire à l'époque. Le vampire, ce n'est pas seulement de la mythologie, c'est aussi une métaphore. »
« De l'immigrant », conclut l'enquêteuse en décroisant les jambes pour s'asseoir en tailleur à son tour.
« De l'étranger, oui. »
Elle était curieuse de voir où cette conversation les mènerait. Elle avait l'impression d'être de retour au lycée. L'archéologue n'avait pas menti en disant qu'elle était professeur d'Histoire. Elle pouvait sentir la pédagogie dans chacune des explications que cette dernière lui fournissait, à la fois précise et simple. Toute à ces pensées, Shizuru repensa aux conversations qu'elle avait eues avec les habitants depuis qu'elle était arrivée. Pourquoi tous se méfiaient toujours de la même personne. Systématiquement. « Ça expliquerait... »
Midori la coupa dans son élan en relançant ses propres explications. « Les gens se replient sur eux-même en temps de crise. C'est pendant ces périodes que le mythe du vampire a le plus tendance à ressurgir. Pourquoi? Parce que les populations voient alors l'étranger comme celui qui vient épuiser les ressources des citoyens -aujourd'hui on parle de « nationaux »- en leur volant leur travail, leurs terres, tout ça. » Elle enchaîna en voyant que Shizuru avait deviné où elle voulait en venir depuis le début. « Les gens ont peur. Ils ont tendance à amalgamer les deux. »
« Alors c'est pour ça que- »
La rousse hocha la tête pour confirmer ses doutes, la mine plus sombre que lors de son exposé. « Que le trappeur est le coupable désigné? », demanda-t-elle sans attendre de réponse. « Vous trouvez aussi. Cette femme est une étrangère. Pour beaucoup, ça suffit à la condamner. C'est triste, mais je pense que c'est une réaction primitive de défense. On pourrait presque admettre que chaque village, chaque foyer de population... »
Shizuru acheva la phrase pour elle, le menton posé sur ses deux mains jointes. « ...a son vampire attitré. » Et Natsuki Kuga était celui que Osomura s'était trouvé. Tout simplement.
Midori Sugiura la regarda réfléchir avec un sourire triste. « Oui, parce que le vampire », conclut-elle enfin, « c'est simplement celui qui vient d'ailleurs. »
Posté le: Mer Mai 26, 2010 8:10 am Sujet du message:
Ha ha ha.
Non mais
Spoiler:
Rien qu'en entendant un enfant hurler "Claiiire", j'ai guetté le "Raki". Je sens que tout ce petit monde va partir en sucette XD...
Et toutes mes condoléances pour ton ordinateur... (parce que j'imagine bien que la fic n'est pas le pire que tu aies perdu dans les "quelques Go" XD)
Et j'aime bien ce que tu fais des personnages, parce qu'on est clairement pas dans l'univers Mai Himesque, on est d'accord, mais tu arrives dans chaque fic à les laisser eux-mêmes, et à leur garder en commun avec les personnages qu'on connait autre chose que juste leur physique et leur prénom. C'est cool, c'tout.
_________________ Et vous, vous dites chocolatine ou pain au chocolat?
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